La migration et le déplacement interne figurent aujourd’hui au nombre des questions les plus urgentes de l'agenda international. Quand je rencontre des chefs d’État, des représentants de gouvernement ou encore des personnalités du milieu des affaires partout dans le monde, la migration est l'un des sujets que nous abordons le plus fréquemment.
Alors que certains aspects de la migration et du déplacement ne prêtent pour ainsi dire pas à controverse, la question de la migration et des déplacements de population irréguliers, non contrôlés et mal gérés suscite, elle, de vifs débats politiques.
Plus de 250 millions de personnes dans le monde vivent en dehors de leur pays d'origine, mais ce qui nous préoccupe plus particulièrement, ce sont les quelque 65 millions de personnes déplacées du fait de la violence et des conflits, ajoutées à celles qui se voient contraintes par d’autres circonstances d’immigrer clandestinement, autrement dit hors des cadres réglementaires régissant à la migration.
Sur les 65 millions de personnes déplacées du fait de la violence et de la guerre, à peine plus de 20 millions ont trouvé refuge dans un pays tiers, les autres ayant été déplacées à l’intérieur de leur propre pays, souvent à plusieurs reprises.
La région du Mexique et de l'Amérique centrale ne fait pas exception, elle qui connaît un des flux de migrants les plus importants. Le phénomène touche tout particulièrement le fameux Triangle du Nord. Le lien qui existe entre les causes profondes, les principaux moteurs de migration et la migration effective est plutôt complexe ; d’où des mouvements migratoires mixtes imputables à des facteurs multiples – mais avant tout à des inégalités en termes de qualité de vie et de sécurité – et revêtant des formes multiples.
Souvent, les politiques qui visent à réduire la migration provoquent l’effet inverse. En engendrant encore davantage de violence et d’insécurité, elles empêchent les gens de vivre dignement et les pousse sur les routes de l’exil. Les situations de vulnérabilité qui en résultent sont une source de vive préoccupation pour le CICR et pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans son ensemble. Le mandat du CICR est de fournir protection et assistance aux victimes de conflits armés et d'autres situations de violence. La situation des personnes contraintes de se déplacer du fait de la violence et de l'insécurité – en raison d’un conflit armé ou d'autres facteurs générateurs de violence – est dès lors une priorité humanitaire majeure.
Un défi mondial
Grâce à ses délégations dans une centaine pays, le CICR est présent sur les lieux d'origine de bon nombre de migrants et de personnes déplacées. Il a par conséquent une idée assez précise des besoins de ces personnes à toutes les phases du déplacement et peut, en coopération avec les partenaires du Mouvement, adapter sa réponse aux besoins spécifiques à chaque contexte.
Le CICR travaille au plus près des personnes concernées, qu’il s’agisse de déplacés à l’intérieur de leur pays, de réfugiés ou de migrants ayant traversé une frontière pour se rendre dans un pays étranger. Notre action est le plus souvent menée en coopération avec la Société nationale locale de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge et quelquefois avec d'autres institutions partenaires comme le HCR.
Les raisons qui poussent les gens à prendre la décision de migrer sont multiples et complexes. On peut relever notamment l'absence de possibilités d'emploi dans leur pays d'origine, la pénurie de services de santé et d'éducation, ou encore le désir de retrouver des membres de la famille installés dans d'autres pays. Dans la décision de partir, il y a souvent une part de libre choix et une autre de dure nécessité. Force est toutefois de constater que les conflits armés, en particulier, et les situations de violence, en général, sont des éléments déclencheurs de migration décisifs. Cela dit, quels que soient les motifs, les flux mixtes de population qui en résultent sont aujourd’hui un phénomène qui fait de l'élaboration de politiques un véritable casse-tête.
La situation est exacerbée lorsque les lois sont violées. Si le droit international humanitaire était pleinement respecté dans les conflits armés, les populations subiraient beaucoup moins les conséquences humanitaires auxquelles elles sont systématiquement confrontées.
Le respect du droit contribuerait grandement à empêcher les personnes d’abandonner leur foyer, d’une part. D’autre part, il permettrait d’améliorer considérablement le sort de celles qui sont déjà parties. Respecter et faire respecter le droit est essentiel si l’on veut s'attaquer à l’une des causes profondes du coût humain engendré par le déplacement forcé de personnes.
Tout au long de leur parcours, les migrants et les déplacés, souvent en situation d’extrême vulnérabilité, sont en butte à de multiples dangers. Arrivés à destination, ils peinent la plupart de temps à accéder aux soins de santé, au logement, à l'éducation ou à l'emploi. Ils peuvent devenir des cibles faciles et risquent d’être victimes d’abus, d'extorsion et d'exploitation, faute d’un réseau familial protecteur, d'informations suffisantes ou de documents en règle. S’ils ont un accident ou qu’ils tombent malades, ils ont des difficultés à se faire soigner convenablement. Certains perdent le contact avec leur famille. Des milliers meurent ou disparaissent en route chaque année. Sans compter tous ceux qui sont maintenus en détention prolongée pour être entrés ou avoir séjourné dans un pays étranger de façon irrégulière, en dépit du fait que la détention devrait toujours être une mesure de dernier ressort et limitée dans le temps.
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Pacte mondial sur les migrations
Permettez-moi d'ajouter quelques réflexions sur notre engagement en vue de l’adoption d’un Pacte mondial pour des migrations sûres, régulières et ordonnées. De nos jours, il s’agit d’une des actions les plus ambitieuses pour améliorer la situation des migrants. L'idée du Pacte a été soutenue par 193 États dans la Déclaration de New York de 2016. Nous avons donc affaire à une initiative prometteuse.
Le CICR s’intéresse de près à l’élaboration de ce nouvel instrument qui devrait être adopté en septembre 2018. Selon nous, trois aspects doivent être suivis avec attention :
- Tout d’abord, il ne saurait y avoir de compromis sur les obligations existantes au regard du droit international. Les États doivent respecter ces obligations, notamment en veillant à ce que leur législation et leurs procédures prévoient des garanties suffisantes pour protéger la sécurité et la dignité des migrants.
Cela implique de respecter les lois et normes internationales lorsque, par exemple, les services de maintien de l’ordre ont recours à la force ; et que, le cas échéant, cela se fasse dans le strict respect des principes et exigences de légalité, nécessité, proportionnalité, précaution et responsabilité.
Cela comprend aussi de respecter le principe de non-refoulement en toutes circonstances, et donc de veiller à ce que la législation et les procédures internes garantissent que nul ne soit renvoyé s'il existe des motifs sérieux de croire qu'il risquerait d'être soumis à des violations de certains droits fondamentaux dans le pays de retour.
- Deuxièmement, les besoins des migrants en matière d'assistance et de protection doivent orienter les réponses nationales et internationales. Des besoins spécifiques tels que ceux que peuvent avoir les membres de familles dispersées, les enfants non accompagnés en particulier, les personnes privées de liberté ou encore celles dont un proche est porté disparu.
- Troisièmement, l'accent devrait être mis sur la prévention des déplacements forcés dans les conflits armés et autres situations de violence, en particulier par un meilleur respect du droit et des efforts redoublés pour prévenir ces situations ou les résoudre.
En conclusion, il est essentiel de bien apprécier les causes complexes à l’origine des migrations : la pauvreté, les injustices, l’exclusion, les conflits armés, la violence, entre autres.
Face à cette réalité, aucun pays ne peut proposer à lui seul des solutions durables et engager des mesures efficaces qui soient conformes avec le droit national et international, et qui puissent contribuer au respect des droits des migrants et à l’atténuation des conséquences humanitaires indésirables associées à la migration.
Il s’agit d’un véritable problème d’ordre public qui nécessite que des solutions coordonnées et ambitieuses soient trouvées aux niveaux local, régional et mondial. C'est pourquoi, il est nécessaire que les États adoptent une approche collaborative visant à améliorer le bien-être des individus, plutôt que de dissuader les gens de migrer et de punir ceux qui décident de quitter leur communauté. Il faut trouver les moyens de concilier enjeux de sécurité et impératifs humanitaires.
Nous espérons que le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières viendra véritablement renforcer les engagements de la Déclaration de 2016, et qu’il contribuera à rendre plus prévisibles et humaines les interventions en faveur des personnes en migration de par le monde. Dans cette optique, le CICR et ses partenaires du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge resteront engagés dans cet important processus.
Nous restons également déterminés à contribuer à l’élaboration du Pacte mondial sur les réfugiés, en collaboration avec le HCR, qui est chargé d’en esquisser le projet.
Certes, un énorme travail reste à accomplir dans les mois à venir. Les deux pactes pourraient bien marquer un tournant dans la manière dont les États et la communauté internationale au sens large remédieront aux conséquences humanitaires liées à la migration et au déplacement de personnes.