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Sénégal : Katak-Mahamouda 2, les digues qui rétablissent les liens communautaires

Situés au nord de Bignona, département de la région Ziguinchor, Katak et Mahamouda 2 sont deux villages voisins qui ont longtemps souffert des effets du conflit en Casamance allant même jusqu’à créer un climat d’hostilité entre les populations des deux localités. Ces dernières ont, depuis la construction d’une digue dans chacune de leur village, dû taire leurs divergences et s’unir dans l’optique de profiter de ces ouvrages anti-sel et de retenue d’eau douce qui, au-delà de ces deux villages, impactent 3 000 personnes, dont des habitants de 4 autres villages environnants.

En 2019, lors de la réception définitive de la digue de Mahamouda 2, la joie était au rendez-vous. Hommes, femmes, jeunes, enfants, personnes âgées n'ont pas boudé leur plaisir pour entonner des chants du terroir et esquisser quelques pas de danse. Une vingtaine de familles avaient récolté plus de 40 à 50 sacs de riz.

« Ce n'était pas arrivé depuis plus de 15 ans, car les récoltes n'atteignaient pas ce chiffre auparavant. » nous avait dit Djibril Sambou, chef de village de Mahamouda 2.

Aujourd'hui, le constat reste le même à Katak où la plupart des populations se sont réjouies de la bonne moisson. « Maintenant la récolte est abondante alors que ce n'était pas le cas », soutient Ciré Diedhiou, habitante dudit village et présidente de l'Association des femmes de Katak — Mahamouda 2.

Ces deux ouvrages anti-sel et de retenue d'eau douce pluviale ont fortement impacté les activités rizicoles des deux villages.

« Nous poussons un ouf de soulagement depuis la construction des deux digues. Les puits ne tarissent plus et l'eau reste dans les rizières jusqu'à la maturité du riz. La riziculture est revenue à la normale. Les populations cultivent et récoltent sans problème », raconte Habibou Diatta, point focal de la digue de Mahamouda 2.

Voici l'histoire de ces digues qui ont rétabli les liens communautaires.

La régénérescence de la biodiversité

Au-delà de booster la riziculture, ces digues favorisent également la biodiversité.
« La digue a une grande utilité pour nous. Et cela se voit à travers la régénérescence des arbres qui donnent de quoi manger », explique Ciré Diedhiou.
C'est la même remarque pour son voisin voisin de Mahamouda 2 : « Si ces ouvrages avaient vu le jour depuis des années, nous devrions avoir beaucoup d'animaux », affirme Habibou Diatta. Même si ce dernier reconnaît que cela n'a pas toujours été le vécu des deux villages qui ont beaucoup souffert avant la construction de ces deux digues : « Jadis nous étions confrontés à la salinisation des terres. Les cultures n'avaient pas de rendement. Les terres ne parvenaient même pas à retenir l'eau de pluie. Il était alors très difficile d'abreuver le bétail ; d'autant que les puits tarissaient très vite. Ce qui causait la perte des animaux », se rappelle-t-il.

La biodiversité est régénérée tout autour de la digue de Katak. Ismaila Camara/CICR

La biodiversité est régénérée tout autour de la digue de Katak. Ismaila Camara/CICR

Les problèmes communautaires relatifs au conflit

A y voir de près la vie n'était pas un long fleuve tranquille pour les populations de Katak et de Mahamouda 2. Elles ont pendant de longues années subi les affres du conflit.

« Auparavant nous ne restions que chez nous à cause du conflit. Nous n'osions pas nous rendre dans la brousse pour chercher quoi que ce soit. Nous avons même perdu beaucoup de nos parents qui sont partis sans revenir. Et leurs proches ne se sont jamais aventurés à chercher leur dépouille », narre Hamidou Diatta. Lequel ajoute que le conflit a eu des conséquences désastreuses ayant conduit à une inimitié entre les deux communautés.

« Le courant ne passait pas entre les deux villages. Personne ne se déplaçait chez l'autre en cas de mariage ou baptême car les deux communautés ne s'entendaient pas. Chacun se méfiait de son voisin. La confiance et la tolérance n'existaient pas entre nous », laisse-t-il entendre.

Une situation que le chef de village de Mahamouda 2, Djibril Sambou, finit de décrire en ces termes : « Nos deux communautés se regardaient en chien de faïence, ne se parlaient plus ».

Des histoires de cohésion sociale

Aujourd'hui la mise en œuvre d'une digue dans chacune des deux localités a largement contribué à la cohésion sociale de ces deux communautés fortement impactées par le conflit en Casamance.

« Aujourd'hui, nous avons scellé l'unité grâce à la construction des deux ouvrages », souligne le chef de village. Ses propos sont largement partagés par le point focal de la digue de Mahamouda 2, Habibou Diatta qui déclare que : « Grâce au CICR les 2 communautés sont devenues les mêmes. Nous sommes vraiment devenus des frères et sœurs. Quand un membre d'une des communautés est dans le besoin, il se fait assister par l'autre. Lorsqu'un habitant de Katak a un baptême ou un mariage, la communauté de Mahamouda 2 vient assister à la cérémonie et vice versa. Maintenant nous avons une vision commune à travers ce bienfait qui a permis aux fils des 2 villages de se marier. »

Hormis ces cas de mariage avec leurs enfants, désormais issus des deux communautés, les deux digues ont aussi mis du baume au cœur de cette femme de Katak : « Avant, je ne m'arrêtais pas à Mahamouda 2 pour faire des salamalecs*. Aujourd'hui c'est tout le contraire. J'entre partout pour prendre des nouvelles des familles. Avant, mes enfants allaient à vélo au CEM* de Mahamouda 2 et rentraient à Katak car je ne connaissais personne là-bas. Mais, tout a changé. Maintenant j'y compte des amis, mes enfants y passent la journée », nous dit encore Ciré Diedhiou.

La participation communautaire

Pour la réussite de ces ouvrages de retenue d'eau permettant la résilience et l'autoprotection des communautés vulnérables, le département Eau et Habitat a travaillé de concert avec celui de la Sécurité économique. « En plus de faire le choix des sites abritant les deux digues, nos collègues de l'unité Sécurité économique ont également apporté leur soutien financier à travers le Cash For Work. Ce qui a permis aux populations qui ont massivement participé à la consolidation des digues en terre d'être rémunérées entre 10 mille et 15 mille francs CFA en fonction de l'effort fourni », tient à souligner Saran Ndiaye, responsable du programme WatHab au sein de la sous-délégation de Ziguinchor du CICR.

 Chants et participation communautaire lors de la construction des digues. Ismaila Camara/CICR

Chants et participation communautaire lors de la construction des digues. Ismaila Camara/CICR

Ces ouvrages, qui sont une aubaine pour les deux villages, permettent, à coup sûr, la retenue d'eau et la protection des terres contre la salinité. Ce qui favorise, du reste, l'élevage en permettant aux bétails de s'abreuver en eau douce et en augmentant la riziculture. Ces impacts des deux digues, qui sont désormais réels sur le quotidien des populations, augurent des lendemains meilleurs aux yeux de la présidente de l'Association des femmes de ces deux villages, Ciré Diedhiou, qui envisage déjà un avenir radieux pour les jeunes générations de Katak et de Mahamouda 2.

 *Salamalecs : salutations, signes de politesses.
 *CEM : Cours élémentaire moyen