Genève / Munich (CICR) – Alors que le conflit armé en Libye entre dans sa huitième année, la situation humanitaire de la population ne cesse de se détériorer sur fond de combats persistants, de violences et d'insécurité, a déclaré aujourd'hui le président du Comité international de la Croix‑Rouge (CICR), Peter Maurer, après une visite de trois jours dans le pays.
Le CICR a récemment intensifié ses opérations en Libye, qui est plongée dans le chaos économique, l'anarchie généralisée et des luttes de pouvoir entre groupes armés depuis la révolution de 2011.
Les risques liés au conflit empêchent de nombreuses personnes de rentrer chez elles, ce qui se traduit par l'un des taux de déplacement par habitant les plus élevés en Afrique.
«On peine à concevoir toute l'étendue des effets du conflit en Libye », a dit M. Maurer après s'être rendu à Tripoli, Tobrouk et Benghazi pour évaluer la situation humanitaire et s'entretenir avec des hauts responsables des autorités libyennes. « La violence urbaine et le déplacement sont des réalités quotidiennes pour les Libyens depuis 2011, tandis que beaucoup de migrants – cherchant désespérément à rejoindre l'Europe – sont pris au piège dans le pays et victimes de mauvais traitements.»
Des chiffres tragiques révèlent la détresse des personnes touchées par le conflit, qu'elles soient résidentes dans le pays ou migrantes : pas moins de 1,3 million de personnes ont ainsi besoin d'une aide humanitaire. On estime le nombre de déplacés internes à 200 000 personnes (soit 3 % de la population), dont bon nombre ont vu leur maison détruite par les frappes aériennes et les tirs d'artillerie lourde en zone habitée. Les hôpitaux doivent faire face à une pénurie chronique de matériel médical ; 20 % d'entre eux ont dû fermer leurs portes. On observe partout dans le pays une augmentation des activités criminelles comme les kidnappings, la contrebande, le trafic d'êtres humains et les enlèvements contre rançon.
«Des efforts résolus doivent immédiatement être déployés pour atténuer les souffrances en Libye – c'est une évidence. On manque cruellement de leadership sur cette question au niveau international. Mais pratiquer la politique de l'autruche ne fera qu'aggraver la situation à l'avenir», a prévenu le président du CICR à l'issue d'une série de réunions constructives avec les autorités libyennes.
«Nous prévoyons de renforcer considérablement notre assistance et restons déterminés à agir en tant qu'intermédiaire neutre entre toutes les parties pour aider les victimes directes du conflit armé et de la violence. Nous reconnaissons aussi que nous devons adapter nos activités humanitaires pour profiter des atouts de la population très instruite de ce pays à revenu intermédiaire.»
Enjeux migratoires
Les troubles qui secouent la Libye offrent un terrain propice à l'exploitation des migrants. La situation est préoccupante : les migrants sont nombreux à être détenus dans des conditions inhumaines et à faire l'objet de mauvais traitements, et des milliers d'entre eux croupissent dans des centres de détention administrative.
L'instabilité politique et le vide sécuritaire qui règnent actuellement en Libye font craindre au CICR que les lieux de détention ne respectent pas les exigences structurelles de base et n'assurent pas les conditions matérielles indispensables pour que les migrants détenus bénéficient d'un traitement humain et digne.
«Nous encourageons vivement les décideurs à soutenir la Libye dans l'élaboration de politiques migratoires qui proposent des alternatives à la détention et prévoient des mesures de protection des migrants vulnérables», a déclaré M. Maurer.
Le CICR est conscient des préoccupations légitimes des États en matière d'économie, de cohésion sociale et de sécurité, et reconnaît qu'ils ont le droit de réglementer la migration. Néanmoins, en vertu du droit international, les migrants ne peuvent pas être retenus contre leur gré ou renvoyés dans un pays potentiellement dangereux pour eux. Les États sont tenus d'examiner les dossiers individuellement avant de refuser l'entrée de migrants sur leur territoire ou de les expulser.
Le nombre de migrants en provenance d'Afrique qui perdent la vie au cours de leur périple reste largement sous-estimé. Le CICR encourage les autorités des États concernés à coopérer avec lui et à renforcer leurs services judiciaires et de médecine légale pour que des mesures soient prises afin d'élucider le sort des migrants disparus.
«L'Europe doit contribuer à garantir le respect de la dignité humaine dans les politiques et les mesures migratoires», estime M. Maurer. «Le succès des politiques migratoires européennes ne devrait pas se mesurer au nombre de personnes qui ont été arrêtées aux portes de l'Europe. Il convient plutôt de se demander comment les migrants ont été traités, quelles lois ont été appliquées et si la dignité humaine a été respectée.»
Le CICR maintient une présence constante en Libye depuis 2011. Aux côtés du Croissant-Rouge libyen, il mène une action strictement neutre et impartiale au bénéfice de l'ensemble de la population du pays. Les volontaires du Croissant-Rouge travaillent souvent jour et nuit, en dépit des dangers et des difficultés, pour alléger les souffrances des personnes en détresse. Le CICR prévoit de renforcer cette année son aide d'urgence aux victimes du conflit, notamment en multipliant les distributions de nourriture et d'articles ménagers de première nécessité, en fournissant davantage de matériel médical et un plus grand soutien aux établissements de santé et en aidant les membres de familles dispersées à rétablir le contact avec leurs proches, en particulier les migrants détenus. Nous espérons en outre obtenir l'accès aux lieux de détention dans l'ensemble du pays.
Informations complémentaires:
Aurélie Lachant, CICR Genève, +41 79 244 64 05
Christoph Hanger, CICR Genève, +41 79 574 06 36
Shahin Ammane, CICR Tunis, +216 26 903 485