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Les Irakiens ne doivent pas être abandonnés à leurs souffrances

Il ne faut pas s'attendre à ce que ce conflit prenne fin de sitôt - Article de Dominik Stillhart, directeur des opérations au CICR. Le texte original en anglais à été publié de 22 mai 2015 dans The Independent.

Dans le monde frénétique et complexe qui est le nôtre, il est inévitable que nous soyons tentés de simplifier les choses. En fait, nous n'avons pas le temps de faire autrement. Alors nous regardons, nous écoutons, nous condensons, puis nous consommons. Les nuances sont passées à la moulinette, les détails jetés au rebut. Au final, nous nous retrouvons avec une version diluée de la vérité. Pas très nourrissante, certes, mais digeste.

Prenez le cas de l'Irak. Je viens d'y effectuer une visite de cinq jours. Pour beaucoup, le conflit se résume à un affrontement unidimensionnel entre le groupe État islamique et une coalition de forces qui s'y oppose. Mais si l'on regarde les choses de plus près, on peut voir que les enjeux et les souffrances sont multiples.

... la première chose à faire si nous voulons régler les problèmes de l'Irak, c'est d'aider les Irakiens, tous les Irakiens.

Je me suis rendu dans un camp de personnes déplacées situé à la frontière entre la province de Bagdad et celle d'Anbar. Les déplacés n'ont rien d'autre que les vêtements qu'ils portent sur eux. Ils vivent dans des tentes. Dans le camp, il n'y a ni toilettes ni structures de santé, et pratiquement pas d'eau. Les enfants n'ont aucune possibilité d'instruction. Et toutes ces personnes vivent sous un soleil de plomb.

Dans l'une des tentes, j'ai rencontré une famille avec un nouveau-né. L'enfant était couché à même le sol, pleurant sa mère. Dans la tente surchauffée, le désespoir absolu de la famille en était presque accablant. Et ce n'était qu'une famille parmi les milliers d'autres, vivant dans des camps de fortune semblables installés de part et d'autre de la frontière séparant les provinces de Bagdad et d'Anbar. Personne ne sait combien de personnes vivent dans ces camps.

Dominik Stillhart visite un camp pour personnes déplacées situé en périphérie de Baghdad

Pour la plupart, c'est la deuxième ou la troisième fois qu'elles sont déplacées. Elles ne peuvent pas retourner à Ramadi en raison des combats qui continuent d'y faire rage. Elles ont fui Bagdad, où elles s'étaient réinstallées dans un premier temps, après avoir été menacées de mort. Une femme m'a expliqué que son mari et ses deux fils avaient été tués dans la capitale irakienne. Et elles ne peuvent pas poursuivre leur route, car elles risquent de se faire attaquer – par différents groupes, pour différentes raisons et à différents moments. Elles se trouvent dans un no man's land, au sens propre comme au figuré.

Dans le nord du pays, près de Kirkouk et à quelques kilomètres des combats, j'ai pu visiter trois villages situés dans une région riche en pétrole et en terres agricoles. Dans ces trois villages, tous les bâtiments, à l'exception de la mosquée, ont été rasés. Les habitants commencent à revenir, mais ils vivent dans des tentes installées près de leurs maisons détruites. Ils reconstruisent petit à petit leurs vies et leurs habitations, brique après brique.

Si j'évoque ces quelques instantanés de l'Irak d'aujourd'hui, c'est pour montrer que nous sommes face une mosaïque de conflits et de souffrances. Différents lieux et différentes causes. Le pays endure depuis des dizaines d'années les effets de la guerre, de l'intervention étrangère, des affrontements internes et du conflit entre sunnites, chiites et Kurdes. Autant de couches superposées d'insécurité et de violence. Tous ces conflits ont entraîné la disparition de centaines de milliers de personnes dont on n'a toujours pas retrouvé la trace.

Cette situation ne va pas se résoudre rapidement. En Irak, les vagues de conflit se succèdent sans relâche. Au cours des derniers mois, la situation humanitaire s'est fortement dégradée en raison de l'intensification des combats. Début 2014, il y avait 300 000 déplacés internes dans le pays. Ils sont désormais 2,7 millions. La situation va en empirant, et il ne faut pas s'attendre à ce que ce conflit prenne fin de sitôt.

Au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), nous avons lancé de nouveaux appels de fonds pour faire face à cette situation qui ne cesse de se détériorer. Le travail accompli par nos collègues sur le terrain est tout simplement incroyable. Nous sommes l'une des rares organisations à pouvoir nous rendre dans certaines des régions les plus difficiles d'accès. Nous sommes toujours perçus comme étant impartiaux, neutres et indépendants.

Depuis début 2015, le CICR a fourni des rations alimentaires et d'autres articles de première nécessité à plus de 500 000 personnes en Irak. Des secours médicaux vitaux ont par ailleurs été distribués à 45 structures de santé. Plus de 400 000 personnes ont bénéficié des efforts déployés par le CICR pour améliorer l'approvisionnement en eau. Nous continuons aussi de visiter des personnes privées de liberté. Les fonds supplémentaires levés, le cas échéant, nous permettront de venir en aide à près de 900 000 personnes.

Mais en quoi ce qui se passe en Irak nous concerne-t-il ? Tout comme la Syrie et à présent le Yémen, l'Irak est une pièce centrale de la confrontation plus large entre puissances régionales et mondiales, qui gagne peu à peu l'ensemble du Moyen-Orient. Les acteurs locaux essaient tous de tirer profit de la situation pour servir leur propre cause. Et une fois de plus, ce sont les civils qui paient le plus lourd tribut.

L'Irak n'est donc pas un conflit confiné que l'on peut laisser mijoter pendant des années (même si, à bien des égards, c'est exactement ce que l'on a fait). Ce qui se passe en Irak a des conséquences sur le plan local, régional et mondial. La douleur et les souffrances de toutes ces personnes ont des répercussions dans toute la région et au-delà. Et cela nous concerne tous.

L'Irak est peut-être au cœur du problème. Mais il est sans doute aussi au cœur de la solution. Si les problèmes de l'Irak pouvaient être réglés ou du moins commencer à l'être, nous serions sur la bonne voie.

Et la première chose à faire si nous voulons régler les problèmes de l'Irak, c'est d'aider les Irakiens, tous les Irakiens.