Libye : des déplacés reviennent à Tawergha pour reconstruire leur vie
« Tu ne pars de chez toi que quand ta maison ne te permet plus de rester », c’est l’un des vers poignants d’un poème bien connu de Warsan Shire, intitulé « Home », qui retranscrit bien la réalité vécue par des milliers de familles de Tawergha, dans le nord-ouest de la Libye.
Lorsque le conflit a éclaté en 2011, de nombreuses familles ont été contraintes de fuir et ont enduré plus d'une décennie de déplacement. Tawergha a perdu 95% de sa population en 2011.
La ville porte encore les cicatrices du conflit qui a duré dix ans ; les murs en béton criblés d'impacts de balles, les carcasses de voitures qui jonchent le sol et les rues désertées sont autant d'illustrations tragiques de la brutalité passée. Dans une ruelle, une cloche d'école brise le silence d'un matin d'hiver ensoleillé.
Selon le HCR, en mai 2021, environ 7000 des 40 000 habitants que comptait autrefois la ville sont revenus. Parmi eux, beaucoup vivent chez des parents, d'autres ont pu regagner leurs maisons partiellement réparées ou se sont installés dans les salles de classe d'une école transformée en abri pour accueillir les familles qui n'ont nulle part où aller.
Avec la cessation des hostilités, de nombreuses familles déplacées ont regagné leur lieu d'origine, pour se retrouver confrontées aux séquelles traumatisantes de la violence. Leurs maisons ont été entièrement ou partiellement détruites, les infrastructures et les services essentiels se sont dégradés, et une situation socio-économique fragile rend le relèvement encore plus compliqué pour la plupart des déplacés de retour.
L'électricité, l'eau, le gaz, les transports et tous les autres moyens de subsistance étaient inexistants, notamment dans le domaine de la santé et de l'accès à l'eau potable.
Les gens ont travaillé dur pour rétablir certains services essentiels, au moins dans leurs foyers. Ils ont creusé des puits et rebranché les lignes électriques. Ils ont reconstruit leurs maisons, une pièce après l'autre.
Nous avons parlé avec trois femmes libyennes de leur expérience à leur retour chez elles après des années de déplacement.
*Les noms ont été modifiés
Mariam, Aida et Fatema sont toutes les trois institutrices. Elles ont en commun bien plus qu'une profession. Elles ont partagé le double fardeau de la douleur et de la tristesse d'être loin de chez elles. Leurs parcours ont néanmoins été différents.
Aida éprouve des sentiments partagés sur son retour à la maison
« J'ai eu des sentiments partagés lorsque je suis revenue pour la première fois en 2019. Quelques personnes étaient déjà rentrées à ce moment-là. C'était à la fois une ville qui revivait grâce aux déplacés de retour, mais l'ambiance restait sombre et triste à cause des destructions », raconte Aida, enseignante à l'école locale d'Al Quds.
Aida se souvient du moment où elle est arrivée chez elle : « quand je suis entrée et que j'ai vu ma maison brûlée, je me suis allongée par terre pour essayer de me sentir à nouveau chez moi ».
Les semaines suivantes, elle a continué d'attendre le moindre signe de vie dans son quartier.
Un jour, alors que je nettoyais la maison, j'ai soudain entendu des coups à proximité. On aurait dit que quelqu'un commençait à réparer sa maison. Toute excitée, je me suis précipitée dehors pour vérifier, guidée par le son. C'était bien mes anciens voisins qui étaient de retour et j'ai couru les embrasser.
Lorsqu'elle s'est définitivement installée, Aida a planté des légumes, de la coriandre et des petits pois dans son jardin.
Fatema a pu à nouveau dormir paisiblement
Fatema nous gratifie d'un sourire timide. Son histoire explique sa retenue.
À son retour à Tawergha, sa fille handicapée de 10 ans est décédée à cause du froid enduré par la famille lorsqu'elle séjournait chez des parents à Tawergha. Leur maison n'ayant ni fenêtres ni électricité, ils ne pouvaient pas se réchauffer.
« Son souvenir me brise le cœur, mais je remercie Allah que ma fille soit morte dans sa ville natale et qu'elle ait pu au moins voir Tawergha pendant quelques jours », déclare Fatema.
De retour à la maison, j'ai pu enfin dormir en paix. C'est comme si je n'avais jamais pu dormir vraiment pendant toutes ces années loin de chez moi.
« Le poids qui pesait sur nos cœurs ne s'est envolé qu'une fois rentrés ».
Mariam : il n'y avait ni portes, ni fenêtres, mais je me sentais en sécurité.
Pour Mariam, qui a été déplacée cinq fois en huit ans, rien n'est plus important que la stabilité et la sécurité.
Et c'est ce qu'elle a ressenti à nouveau lorsqu'elle est entrée dans sa maison détruite à Tawergha en 2019.
Lorsqu'elle a fui Tawergha en 2011, elle était enceinte et a tout laissé derrière elle, sauf son sac à main et les certificats de naissance de ses enfants.
Comme de nombreux habitants, elle pensait qu'elle serait de retour après quelques semaines ou quelques mois. Au lieu de cela, elle a dû vivre dans cinq villes et a découvert que sa maison avait été détruite en regardant les informations à la télévision.
« J'ai compris que c'était ma maison quand j'ai vu la petite voiture rouge de mon jeune fils sur le balcon. C'était la cuisine. Vous voyez là ? C'est là que les enfants avaient l'habitude de jouer. »
Le rôle du CICR
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a récemment procédé à plusieurs évaluations des besoins dans la ville. Il a soutenu l'amélioration de certaines installations essentielles, comme l'école de Fatema et Aida, qui a bénéficié de dons de mobilier de la part du CICR, tels que des armoires, des chaises et des bureaux.
« Les besoins humanitaires à Tawergha sont divers, interconnectés et énormes. Chaque fois que nous venons ici et que nous effectuons une évaluation, nous découvrons une nouvelle aggravation des besoins », explique Gagik Isajanyan, membre de l'équipe du CICR.
De nombreux Libyens, en particulier ceux qui sont de retour chez eux, peinent à se relever et tentent de repartir de zéro dans des quartiers endommagés ou détruits et dans une économie (fondée sur le conflit) affaiblie.