RD Congo : quand l’insécurité alimentaire s’ajoute aux maux de la violence
Dans la province du Tanganyika, après avoir fui la violence, les habitants ont commencé à revenir sur leurs terres en 2019 et 2021. Depuis, ils tentent de reprendre le cours d’une vie normale, en produisant notamment les tubercules censés nourrir enfants et parents. Problème, une maladie appelée "la mosaïque du manioc" provoque d’importants dégâts sur leurs cultures.
Sous un manguier, à quelques mètres de sa case, Safi Asani pèle un tas de minces tubercules secs de manioc. Ces derniers ont été sortis de terre avant leur maturité pour éviter qu'ils ne pourrissent. « Ils m'ont été offerts par une voisine. On s'entraide ici... Grâce à la farine que je vais obtenir en les pilant, je vais faire du fufu pour notre repas d'aujourd'hui. », déclare-t-elle.
A côté, quelques-uns de ses enfants et ceux de sa co-épouse l'observent tandis que d'autres jouent plus loin. A Kilasi, comme dans plusieurs autres villages voisins au nord de la province du Tanganyika, des centaines de ménages sont revenus sur leurs terres en deux vagues, en 2019 et en 2021, après avoir fui des violences intercommunautaires.
Depuis leur retour, la majorité des familles voient leurs nouveaux champs de manioc se faire attaquer par la maladie de la mosaïque, une pathologie végétale qui entraîne une décoloration des feuilles et un pourrissement de maniocs.
« Nous utilisons les feuilles de manioc comme légumes. Nous transformons aussi le tubercule en farine qui nous permet d'obtenir une pâte à la base de nos plats quotidiens. Mais avec cette maladie, nos récoltes souffrent beaucoup ! », se plaint Abdala Kisimba, chef du village.
Manger à sa faim et équilibré
Dans le Tanganyika, il existe différents profils de famille : déplacées à cause de la violence ou revenues sur leurs terres après avoir fui. D'autres familles sont, elles, restées dans leur foyer. Quel que soit leur profil, toutes voient leurs moyens de subsistance se réduire à cause des mauvaises récoltes et des violences intercommunautaires. Offrir un repas quotidien à ses enfants relève aujourd'hui du défi.
A Kilasi, il n'y a pas de poules qui caquettent ni de chèvres qui bêlent dans les cours. Seuls les rires des enfants et les chants d'oiseaux brisent le calme du village. Le poisson est rare dans les assiettes des villageois à cause de la distance qui les sépare des cours d'eau. La viande l'est tout autant. Pour la chasse, les hommes de Kilasi ne s'aventurent plus très loin dans la brousse par crainte de croiser des hommes armés. Quant à l'élevage, les familles n'en ont pas encore les moyens.
« Dans le Tanganyika, les revenus des ménages proviennent essentiellement des activités agricoles. Quand ils ne peuvent plus cultiver leurs terres ou faire de la chasse, leurs conditions de vie déjà difficiles sont exacerbées », explique Maya El Hage, cheffe de la sous-délégation du CICR à Kalemie.
Dans ces circonstances, l'aide humanitaire constitue parfois la seule chance de pouvoir relancer une activité agricole et espérer subvenir aux besoins alimentaires et pécuniaires des familles.
Avoir la main verte
En 2020 et en 2022, après le retour de familles qui avaient fui leur foyer pour échapper aux violences, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a distribué une aide d'urgence à 4 000 familles (nourriture et biens essentiels à la cuisine).
Par ailleurs, pour les aider à relancer leurs productions agricoles, vivrières et légumières, ces familles ont reçu, chacune, des outils aratoires et des semences d'arachides, de maïs et d'haricots.
« Nous leur avons donné une autre variété de manioc, nommée "Sawa sawa", qui résiste à la mosaïque », explique Joseph Mateso, agronome du CICR. « En plus, c'est une variété à cycle court. Au terme de 12 mois, elle atteint la maturité complète contrairement aux variétés traditionnelles qui demandent deux à trois ans ».
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La distribution du CICR comptait également des centaines de mètres de boutures de manioc. Celles-ci ont vocation à se multiplier et seront ensuite rachetées par le CICR pour être distribuées à d'autres familles qui vivent dans la précarité. Pour assurer leur multiplication, des encadreurs agricoles répartis en 3 associations du village, ont bénéficié d'une formation.
Abdala Kisimba est le président d'une de ces associations. A quelques mètres des cases, son regard se porte en direction du nouveau champ de maniocs d'un hectare. Il contemple avec fierté les jeunes plantes de manioc qui dansent sous l'effet du vent. Les nouvelles plantes mesurent à peine un mètre mais leurs feuilles arborent déjà un vert éclatant. Abdala est ravi car les feuilles contaminées par la mosaïque du manioc sont, elles, jaunes et prennent parfois une allure de mosaïque.
« Il n'y a aucune feuille jaune, c'est un bon présage ! Nous résistons à l'envie de les cueillir car on nous a enseignés qu'il était nécessaire de ne pas arracher les feuilles tant que nous sommes dans le processus de production de boutures », dit-il.
À l'avenir, la mission des encadreurs agricoles sera aussi de sensibiliser les membres des différentes communautés sur les différentes techniques agricoles en vue d'obtenir une bonne production grâce à toutes les autres semences reçues. Avec cette relance des activités, les familles revenues vivre à Kilasi espèrent avoir une bonne récolte de légumes et de céréales afin de se relever des conséquences de l'insécurité alimentaire.