République démocratique du Congo : les femmes du Kasaï se battent pour la paix
Dans la province du Kasaï, les violences inter-ethniques qui ont embrasé la région de Kakenge ont pris fin grâce à une initiative endossée par la communauté des femmes. Le chemin parcouru a été long, difficile et semé d’embûches.
Kakenge, Kasaï oriental. Femmes, hommes et enfants se rassemblent sur un terrain du village pour chanter et danser ensemble. Un peu en retrait sous les palmiers, les chefs du village observent la scène, satisfaits. Les familles fêtent aujourd'hui le retour de la paix. Difficile alors d'imaginer que, il y a à peine quelques mois, ces mêmes communautés s'entretuaient.
Charlie, la paix à tout prix
A 33 ans, Charlie Shanga est fière. Elle a réussi l'impossible. Alors que les hommes continuaient à s'affronter violemment, elle s'est engagée à tout faire pour que revienne la paix. En 2018, cette mère de deux enfants a elle-même été victime des terribles affrontements qui ont déchiré deux ethnies sur fond de conflit foncier. Mariée à un homme de l'ethnie adverse, Charlie a peur. Peur de retrouver un jour le corps de son mari sans vie en rentrant à la maison.
« Je nous pensais protégés de toute menace parce qu'on vivait dans ma communauté, mais ce n'était pas le cas », raconte-t-elle.
La fuite est la seule solution. « On a passé des mois dans la brousse, ma fille de quatre mois dans les bras, sans rien, à se nourrir de feuillages et à dormir n'importe où, sans nattes », se rappelle la jeune femme. De retour au village, Charlie ne reconnait plus son environnement. « Ce n'était plus possible, nous les « mamans » de Kakenge ne pouvions plus vivre comme cela, la peur au ventre, à voir nos enfants et maris périr sous le coup des machettes. »
Mais par où commencer ? Charlie lance alors la « Plateforme des femmes de Kakenge » (PFK) qui rassemble celles qui veulent voir disparaître la violence, quelle que soit son origine. Leur souffrance commune permet de dépasser les différences et de s'unir autour d'un même but : celui de vivre à nouveau apaisé dans la cité, alors désertée et privée de ses services de base.
Les femmes de Kakenge ont confiance en Charlie au vu des résultats déjà obtenus. Elle est écoutée avec attention.
Danse traditionnelle et négociations de paix
Le mouvement commence d'abord par organiser des chants traditionnels, des danses folkloriques et du théâtre de rue pour faciliter le dialogue interethnique. Mais alors que les violences se multiplient, les « mamans » comprennent que les danses ne suffiront pas et redoublent d'efforts. Elles décident d'aller à la rencontre des chefs communautaires à l'origine des conflits, les « Seigneurs de la guerre » comme elles les appellent. « On avait peur, très peur, mais, on y est allées toutes ensemble », se souvient Charlie. Les femmes obtiennent alors la permission de continuer leurs rencontres. Par la vente de bois de chauffe et d'eau de source, elles réunissent une somme modeste, mais suffisante, pour organiser au mois de novembre 2018 la première marche du PFK.
10 000 femmes, toutes ethnies confondues, sortent dans la rue, appellent à la paix et à l'unité, et rencontrent les chefs des villages. L'évènement se conclut par un repas partagé. Kakenge n'avait pas vu ses habitants manger dans le même plat depuis des années.
Les danses et les chansons en langues locales sont un canal pour passer un message de paix et de reconciliation.
Les hommes, alliés des mamans
Mais en dépit de tous ces efforts, les violences continuent. Les femmes décident alors de changer de stratégie. Le changement doit commencer à la maison. « Nous avons toutes eu des conversations avec nos maris pour leur rappeler que la paix est plus importante que la guerre », précise Charlie.
Pour les femmes, ce processus de paix doit se faire avec les hommes. Balex, un villageois de 44 ans, a rejoint la PFK avec sept autres voisins. « J'ai cru en la mission de la Plateforme. C'est elles qui ont osé dire ''non'' à la guerre. » Le père de six enfants encadre et contribue au développement des projets de la PFK, notamment dans le domaine de l'agriculture et des petits commerces.
Dans son combat pour la paix, Charlie a le soutien de son mari.
La paix retrouvée
Au son des tambours, Charlie, lumineuse dans son pagne coloré, rejoint ses proches à la célébration. La vie à Kakenge a repris, les commerces ont rouverts, les enfants repartent à l'école. La jeune femme est désormais paisible, à l'image de sa petite ville. Kakenge a retrouvé son harmonie. « Si nous sommes en paix aujourd'hui, c'est grâce à elles », déclare un des chefs communautaires en désignant les femmes de la Plateforme. « On dirait qu'un dieu est descendu sur la communauté pour réunir tout le monde », s'émeut le chef d'un autre clan.
« Les conflits, c'est du passé. Maintenant, il nous faut oublier et aller de l'avant » conclut Charlie.
En août 2019, après les violences et le retour des habitants dans la région, le CICR avait distribué une assistance en espèces à plus de 9900 familles à Kakenge pour couvrir les besoins de la population : nourriture, scolarité, accès aux soins de santé et reconstruction de maisons détruites. Une collaboration avec la PFK a eu lieu durant la distribution pour sensibiliser la communauté sur les activités du CICR et celles de la Croix-Rouge de la République démocratique du Congo.