Somalie : le manque de pluies menace le nomadisme
L'expression rob raac en somali peut se traduire par « celui qui court après la pluie ». Elle est couramment utilisée dans les cercles d'éleveurs pour désigner un mode de vie consistant à se déplacer d'un endroit à l'autre avec les troupeaux à la recherche de pâturages et de points d'eau. Ce mode de vie est celui de nombreux éleveurs, qui représentent 60% de la population somalienne.
Or, plusieurs mauvaises saisons des pluies consécutives sont venues aggraver une situation de sécheresse qui avait déjà fragilisé le pays, contraignant de nombreux éleveurs nomades à se sédentariser.
« Nous suivons la pluie aux quatre coins du pays », explique Abdullahi Abdirahman, un éleveur nomade qui vit désormais dans un abri provisoire à Hirsi Hade, dans la région somalienne du Galmudug. Ses sandales poussiéreuses sont visiblement usées par les années passées à arpenter des terres arides avec son cheptel composé de 500 têtes de bétail.
La sécheresse sonne le glas d'un mode de vie pratiqué depuis 70 ans.
« J'ai parcouru plus de 200 km ces derniers mois dans l'espoir de trouver la pluie et pouvoir nourrir ma famille et faire paître les chèvres, les moutons et les chameaux qui me restent, raconte Abdullahi. Aujourd'hui, je n'ai plus que 50 bêtes affaiblies, qui ne produisent ni lait ni viande. »
Nombreux sont ceux qui, comme lui, ont effectué ce périple harassant, mais en vain.
« Ceux qui possédaient 300 chèvres au départ n'en ont plus que 30, toutes très affaiblies, observe-t-il. Beaucoup sont mortes de faim ou de maladie en cours de route, avant même d'atteindre les pâturages. »
Les éleveurs nomades sont accoutumés aux conditions climatiques difficiles qui règnent en Somalie, mais la sécheresse prolongée a conduit beaucoup d'entre eux au bord de la famine.
Les carcasses de bétail blanchies par le soleil parsèment la région, seuls vestiges d'une époque plus faste aujourd'hui révolue. Alors, le bétail produisait de la viande et du lait, assurait un revenu aux familles et servait aussi de monnaie d'échange pour le paiement des dots ou le règlement des différends. Le triste spectacle offert par ces squelettes n'est malheureusement pas rare dans ces régions.
Découragés par les pertes et le maigre résultat de leurs efforts, de nombreux éleveurs finissent, comme Abdullahi, par échouer dans des structures provisoires dans des villes qui leur sont étrangères et où leur subsistance dépend totalement de l'aide humanitaire.
Sécheresse et conflit : une double malédiction
Hélas pour ces communautés d'éleveurs nomades, les longues périodes de sécheresse ne sont pas leur seul problème.
« Durant notre séjour dans la région de Hiran, des conflits entre clans ont éclaté autour des pâturages », explique Farhiyo Mohamed, une éleveuse de 35 ans qui vit dans un camp de déplacés à proximité de la ville de Guriel, à 10 km de l'endroit où se trouve Abdullahi. Elle est restée au camp avec ses neuf enfants tandis que son mari partait pour le nord de la Somalie avec le troupeau, pour tenter de maintenir en vie les derniers animaux rescapés.
« Nous devons trouver un moyen de nous soutenir mutuellement et partager le peu de vivres que nous avons », souligne Farhiyo dans un élan d'espoir. « Si je cuisine un plat, il faut le partager, c'est notre seule chance de survie. »
En novembre, les familles d'Abdullahi et de Farhiyo se sont vues remettre, comme 15 000 autres ménages de la région de Galgaduud, des sacs de riz, de l'huile de cuisine, des haricots et du porridge distribués par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour leur venir en aide. Ces vivres devraient permettre aux familles de tenir le coup jusqu'à la fin de l'année. Les familles déplacées ont reçu d'autres articles, tels que des nattes, des ustensiles de cuisine, des bâches et des assortiments d'articles d'hygiène.
Le CICR arrive par ailleurs au bout de sa vaste campagne de traitement du bétail grâce à laquelle un million d'animaux ont été traités en novembre pour aider les éleveurs nomades à poursuivre leur activité dans tout le pays.
Malgré la persistance des conditions de sécheresse, de faibles averses ont été observées depuis octobre dans certaines parties de la Somalie, annonçant le début de la saison des pluies de fin d'année (« deyr »). Si Abdullahi a complètement renoncé à son mode de vie nomade, Farhiyo espère quitter le camp au retour de son mari. Lorsqu'il commencera vraiment à pleuvoir, sa famille prendra la route et ira là où la pluie les mènera.