Article

Ukraine : la créativité au service de l’éducation en plein conflit armé

Des rangées de pupitres. Des sacs à dos remplis de livres de classe, de friandises et de jouets. Des couloirs bruyants, résonnant de rires d’enfants. Des bavardages entre copains sur les cours qu’on préfère. Le « bonjour » matinal des enseignants. Voilà ce qu’était l’école en Ukraine à l’époque où les enfants se faisaient du souci pour leurs interrogations écrites, pas pour leur sécurité.

Il y a d'abord eu la pandémie de COVID-19, puis l'escalade du conflit armé entre la Russie et l'Ukraine en 2022, qui a bouleversé la vie des Ukrainiens et en a forcé beaucoup à fuir vers d'autres régions du pays ou à l'étranger. De nombreux enfants ont fait l'expérience directe des réalités de la guerre. Aujourd'hui, la plupart des écoles sont vides, leurs toits et leurs murs sont endommagés, leurs fenêtres sont barricadées de planches. Certaines ont même été détruites par les bombardements. À l'intérieur, le temps s'est arrêté : les calendriers et les tableaux noirs indiquent toujours le 23 février. On ne sait pas quand les enfants pourront revenir.

Malgré le conflit armé, nombre de villes et de villages situés sur la ligne de front font ce qu'ils peuvent pour donner à leurs enfants l'éducation et l'enfance auxquelles ils ont droit. Nous avons demandé à des enseignants et à des familles comment ils y parviennent. Le CICR apporte aussi sa contribution.

La famille Kruhliak, à Sumy

T. Olinyk/CICR

Liubov Petrivna a la garde de ses deux petits-enfants, Pavlo et Kseniia, depuis qu'ils ont perdu leurs parents au cours des hostilités. Elle fait tout ce qu'elle peut pour leur donner une bonne qualité de vie malgré les circonstances : elle s'occupe d'eux, les aide à faire leurs devoirs, les emmène à des cours de perlage et de danse, et, surtout, elle les aime inconditionnellement. D'ailleurs, Kseniia et Pavlo l'appellent instinctivement « maman ». Elle leur répond par un demi-sourire. Ils sont tout son univers, ce à quoi elle s'accroche.

La famille vit dans la ville de Sumy. Kseniia est en troisième année de primaire et Pavlo en cinquième. L'école dispense un apprentissage mixte, avec une partie des cours en présentiel et une partie à distance. Liubov dit que ses petits-enfants aiment vraiment aller à l'école et y retrouver leurs amis. Par contre, l'enseignement à distance a été difficile pour eux : ils n'avaient qu'un vieux smartphone pour deux.

« Ils ont essayé de suivre les cours à distance, mais ils avaient un vieux téléphone qui n'avait pas assez de mémoire. Parfois, ils ne pouvaient même pas assister aux cours ou se connecter à leur compte pour voir leurs devoirs », explique Liubov. Le CICR a maintenant offert une tablette à chacun des deux enfants pour qu'ils puissent toujours avoir accès à leurs cours et étudier en dehors de l'école. « Avec les nouvelles tablettes, je suis sûre que tout ira bien. Ils aiment étudier et s'entraident toujours. Nous sommes très contents. »

Comme beaucoup d'enfants de leur âge, Pavlo et Kseniia s'intéressent à un tas de choses. Ils ne savent pas encore ce qu'ils feront plus tard, mais ce dont ils sont sûrs, c'est qu'ils veulent que leur grand-mère soit fière d'eux.

Nina Kiparenko , à Lyptsi, dans la région de Kharkiv

T. Olinyk/CICR

« J'ai enseigné la physique et les mathématiques pendant 46 ans. J'ai maintenant 69 ans et j'ai recommencé à enseigner parce que, même en temps de guerre, les enfants doivent continuer à étudier. Nous sommes responsables de leur éducation. »

Le village de Lyptsi a été durement touché par les hostilités, et il est resté sous le contrôle des forces armées russes pendant plus de six mois. Avant février 2022, il comptait plus de 5 000 habitants, mais aujourd'hui il n'en compte peut-être même plus un millier, dont une cinquantaine d'enfants. Tous les terrains de jeux ont été détruits, et il est dangereux de s'éloigner de chez soi – chaque jour, on entend des explosions tout près. Quatre écoles dispensent un enseignement à distance, mais, à cause des dégâts subis par les réseaux, certaines familles n'ont pas accès à l'internet. Les enfants de ces familles, qui ont un besoin urgent d'éducation, se sont retrouvés dans autre moyen à disposition. Alors Nina Kiparenko, enseignante à la retraite, a repris du service et aide des enfants d'âges différents à étudier et à rattraper les cours manqués.

 

T. Olinyk/CICR

« Les parents sont venus me voir, et je n'ai pas pu refuser – les enfants doivent étudier. Nous avons choisi le bureau du conseil municipal, parce qu'il a un abri antiaérien. Au début, nous nous réunissions une fois par semaine, mais comme les enfants étaient de plus en plus nombreux à venir, nous sommes passés à deux fois par semaine, une fois pour les mathématiques et une fois pour la physique.

Les enfants posent beaucoup de questions et essaient vraiment de comprendre. Parfois, nous cherchons les réponses ensemble. J'ai dit dès le début que je ne noterais pas les enfants, mais que je les aiderais au moins à ne pas oublier le programme. Tout le monde n'a pas la possibilité d'étudier en ligne, ces temps-ci... Dans notre école de fortune, personne ne fait l'appel, mais aucun élève n'a jamais manqué un cours. »

La seule demande de Nina au CICR a été un tableau noir ordinaire où elle puisse écrire des formules et des lois de la physique, et dessiner des graphiques et des figures géométriques. Son école est petite mais a une telle importance pour les élèves, qui n'y viennent pas seulement pour étudier, mais aussi pour être ensemble. Ils y trouvent un sentiment de sécurité et de normalité pendant quelques heures par semaine.

Natalia Andrushchenko, directrice par intérim de l'école spéciale Pravdynska à Ivanivka, dans la région de Sumy

T. Olinyk/CICR

« La nuit du 23 au 24 février 2022, il y avait 32 élèves dans notre école, certains de Sumy et les autres de Krasnopillia. Les ponts ont sauté tout de suite. Plusieurs parents avaient réussi à venir chercher leurs enfants pendant que c'était encore possible, mais 15 enfants sont restés à l'école. Pendant 18 jours interminables, nous (les enseignants) avons vécu avec eux dans la cave. Des avions nous survolaient pour aller bombarder la ville voisine d'Okhtyrka. Il y a eu un moment où j'ai pensé que nous ne sortirions jamais de cette cave. »

L'école spéciale Pravdynska accueille des enfants souffrant de déficiences intellectuelles et de troubles du développement, qui doivent pouvoir bénéficier d'une approche individualisée et de beaucoup d'attention. L'hiver dernier, il n'y avait pratiquement pas de chauffage dans les vastes bâtiments de l'école, du jardin d'enfants et du dortoir. Mais comme c'est la seule école spéciale du district, elle ne peut pas fermer.

« L'année dernière, c'est nous qui avons scié le bois ; toute l'équipe a ramassé de quoi chauffer l'abri. Je suis responsable de chacun de ces enfants, et c'est une énorme responsabilité. Alors, nous faisons tout ce que nous pouvons pour poursuivre leur éducation et pour leur donner ce dont ils ont besoin », raconte Natalia.

 

T. Olinyk/CICR

Cette année, les bâtiments seront chauffés grâce à un générateur reçu du CICR. Le personnel de l'école a réparé l'abri antiaérien, décoré les murs de fleurs et a stocké des livres de classe et des jouets dans le local. À l'avenir, l'école disposera également d'une salle de cinéma équipée d'un projecteur offert par le CICR.

« Nous montrerons aux enfants des films et des dessins animés et nous mettrons de la musique pour qu'ils n'aient pas peur et qu'ils n'entendent pas les explosions à l'extérieur. Ici, nous luttons chaque jour pour nos enfants et leur avenir.

 Mariia, à Lyptsi, dans la région de Kharkiv

T. Olinyk/CICR

Dès son plus jeune âge, Mariia a eu des problèmes d'élocution et d'apprentissage. Cela ne l'empêche pas d'être souriante, joyeuse et amicale, parce qu'elle sait qu'elle peut surmonter toutes les difficultés avec sa famille.

L'année dernière, ils ont survécu aux bombardements et aux hostilités lorsque le village a été repris après avoir été sous le contrôle des forces armées russes. Le danger permanent les a obligés à ne pas quitter leur abri pendant plusieurs mois. Mariia a eu 13 ans cette année, mais n'a pas pu terminer sa cinquième année primaire à cause du conflit. Les coupures d'internet ont continué, ce qui a rendu les cours en ligne difficiles. Iryna, la mère de Mariia, n'a pas réussi à trouver un emploi – les entreprises n'ont tout simplement pas survécu aux combats et à tous les bouleversements. Alors, elle fait quotidiennement des travaux pratiques avec sa fille.

Credit: T. Olinyk/ICRC

« Mariia a besoin de cours présentiels avec un ou une enseignant·e spécialisé·e qui travaille avec des enfants comme elle, à besoins éducatifs spéciaux. Mais c'est difficile à trouver, surtout du fait de notre situation financière, alors j'essaie au moins de travailler moi-même avec elle à la maison, explique Iryna. Mariia a un esprit très curieux et une personnalité sincère. Elle aime dessiner et adore résoudre des énigmes. J'aimerais m'assurer qu'elle n'ait plus jamais à avoir aussi peur, et qu'elle continue à étudier. »

Le CICR a fait en sorte que Mariia reçoive un kit éducatif spécialisé contenant des articles tels qu'un jeu de labyrinthe, des pinceaux, de la peinture, des crayons, des toiles et des livres de coloriage antistress. Cela devrait l'aider à développer ses compétences en lecture, en calcul, en écriture et en dessin.

Avec un sourire rayonnant, Mariia promet de travailler dur. Elle est convaincue qu'un jour, elle retournera à l'école et retrouvera ses camarades de classe. Ils renoueront avec les récréations bruyantes, et les cours ne seront plus jamais interrompus par des sirènes d'alerte aérienne.