Article

Ukraine : à Vodiane, sept familles demandent au monde de ne pas les oublier

Si des centaines de familles vivaient auparavant dans ce petit village connu pour être le lieu de villégiature favori des habitants de Marioupol, cette époque est révolue et il ne reste aujourd'hui à Vodiane plus que sept familles.

Isolés et seuls, les 13 résidents se réjouissent de recevoir du matériel d'aide de la part du CICR. Avant que nous repartions, ils nous disent de revenir plus souvent, « ne serait-ce que pour [leur] rendre visite ».

Après avoir passé deux heures à un point de contrôle, le convoi du CICR atteint enfin le village de Vodiane.

Maisons détruites et abandonnées, murs jaunissants recouverts de graffitis, silence assourdissant : on se croirait dans une scène de film post-apocalyptique. Curieusement, l'été flamboyant rend la triste grisaille de Vodiane moins morne.

Alors que nous arrêtons nos voitures, les villageois commencent lentement à se rassembler. Quand le conflit a éclaté, environ 300 familles vivaient à Vodiane. Il n'en reste plus que sept aujourd'hui. Toutes les autres ont pris leurs dispositions et sont parties ailleurs. Vodiane est un village prioritaire pour le CICR qui apporte une aide à tous ses habitants, sans restriction ; ces derniers ne sont plus que 13.

La cour d'une maison endommagée, dans le village de Vodiane. CC BY-NC-ND / ICRC/ Y. Nosenko

Vodiane a beau n'être qu'à 20 kilomètres de la ville de Marioupol, qui compte un demi-million d'habitants, il n'est pas facile d'y accéder.

Depuis que la plupart des habitants ont quitté le village en 2014, l'armée interdit quiconque d'entrer dans cette zone ou d'en sortir, et de nombreuses organisations humanitaires voient leur accès restreint. Sans compter que la météo offre rarement une occasion de se rendre à Vodiane : le village n'est accessible qu'en été, par temps sec. En hiver, la neige vient recouvrir le chemin de terre et est rarement dégagée. Au printemps et à l'automne, il pleut tant que même en camion, on ne peut pas passer.

Mettant à profit des conditions météorologiques favorables, le CICR a fourni une aide humanitaire aux villageois et leur a apporté des animaux d'élevage, de la fibre agricole, des filets de protection, des lanternes à piles et des extincteurs d'incendie.

« Oh, mes petits ! », se réjouit babouchka Sophia alors que ses nouveaux agneaux sautillent vers elle. Son voisin, Rodion, observe la scène d'un air triste. Il a récemment été blessé par un bombardement et n'a plus la force d'élever des animaux. Il dit qu'il ne parvient pas à se faire à l'idée que Vodiane est devenue une ville fantôme.

Nous commençons à décharger les voitures. Chaque famille reçoit 125 kilogrammes d'aliments pour volaille (blé et maïs), un rouleau de fibre agricole et un filet de protection. Trois familles disposent à présent des ressources nécessaires pour élever des moutons. De tous les habitants de Vodiane, Nikolay Ivanovich a l'air le plus heureux.

« Franchement, je ne pensais pas que vous m'apporteriez une machine à traire ! », exulte-t-il. En nous menant vers sa petite ferme d'élevage, il explique : « Ma femme a les mains déformées par l'arthrose et a du mal à traire les chèvres. Les jours où elle doit s'en occuper, elle pleure matin et soir. »

Difficile de ne pas penser aux anciens habitants de Vodiane alors que nous marchons avec Nikolay. Les maisons qu'ils ont laissées derrière sont grandes et solides, à l'évidence construites pour vivre une longue et heureuse vie. Pourtant, elles sont aujourd'hui abandonnées.

Nikolay Ivanovich nous fait visiter le village de Vodiane. CC BY-NC-ND / ICRC/ Y. Nosenko

Quand enfin nous arrivons à la ferme de Nikolay, la situation semble soudain revenir à la normale : des chèvres bêlent, des chatons miaulent et un chien aboie sans relâche. « Les voici ... Mes amis », dit Nikolay. Misha, l'énorme chèvre, est entourée de 18 autres.

« Avant le conflit, beaucoup d'habitants de Marioupol venaient passer leurs vacances d'été ici. Ils venaient avec leurs enfants, profitaient de l'air pur et achetaient des produits agricoles biologiques. Aujourd'hui, on n'entend sans cesse que des tirs de mitraillette et de mortier. Tout cela était-il nécessaire ? Après tout, n'y a-t-il pas assez de place pour tout le monde sur terre ? » Nikolay devient silencieux.

Sur le chemin du retour, nous passons près de l'étang. Si vous faites des recherches sur Vodiane en ligne, les premiers résultats qui apparaissent sont des photos de l'étang, ce qui n'a rien de surprenant, car en ukrainien, Vodiane signifie « arrosage ». Toutefois, les villageois n'ont construit l'étang que peu avant le début du conflit. Aujourd'hui, il est envahi par les roseaux, l'eau stagnante a pris une couleur verte, et les rares visiteurs à s'y rendre sont des oies et des canards.

Alors que nous nous préparons à repartir, les habitants de Vodiane nous demandent de revenir, de venir plus souvent, ne serait-ce que pour leur rendre visite. Car chaque fois qu'ils reçoivent de la visite, les 13 derniers résidents de Vodiane ont le sentiment de compter encore. Ils ont l'impression que Vodiane continue de vivre.