7 septembre 2022 15:30 GMT

Mesures antiterroristes et droit international humanitaire : sauvegarder l’accès humanitaire au Sahel

Conférence-débat Humanitarium, Dakar, 7 septembre 2022

Vidéo

Conférenciers et experts

Dr. Cordula Droege

Dr. Cordula Droege

Cheffe de la Division juridique du CICR

Adama Dieng

Adama Dieng

Ancien Secrétaire général adjoint des Nations unies, et membre du Comité éditorial de la Revue internationale de la Croix-Rouge

Angela Valenza

Angela Valenza

Responsable des Affaires Régionales pour l’Afrique de l’Ouest, CICR, Dakar

Ambassadeur Stéphan Sylvain SAMBOU

Ambassadeur Stéphan Sylvain SAMBOU

Directeur Afrique et Union africaine au Ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur

Dr. Bakary Sambe

Dr. Bakary Sambe

Directeur régional de Timbuktu African Institute for Peace Studies

Hassane Hamadou

Hassane Hamadou

Directeur pays Niger-Burkina Faso, Norwegian Refugee Council

Laurent Saugy

Laurent Saugy

Chef de délégation du CICR au Burkina Faso

À propos de l'événement

 

 

Le 7 septembre 2022, le CICR a réuni les communautés diplomatique et humanitaire de Dakar afin d’échanger sur les moyens de sauvegarder l’accès humanitaire au Sahel. Les échanges ont mis en lumière les effets des mesures antiterroristes sur l’accès humanitaire, ainsi que certaines solutions permettant d’atténuer ces effets, telles que l’adoption de clauses « d’exemption humanitaire ». Cet évènement, qui s’inscrit dans la série de conférences itinérantes en Afrique de l’Ouest dénommées « Humanitarium », marque aussi le lancement de deux numéros de la Revue internationale de la Croix-Rouge, dédiés respectivement aux Sanctions et mesures antiterroristes et au Sahel.

Selon les estimations du CICR, environ 16,8 millions de personnes n’ont pas accès à l’aide humanitaire dans les régions du Sahel et du Bassin du Lac Tchad, privant ces communautés de biens et services essentiels, et de protection.

Dans son discours introductif, Dr Cordula Droege, Cheffe de la Division juridique du CICR, a remarqué que « les entraves à l’accès humanitaire ne sont pas toujours là où l’on pourrait s’y attendre » : bien que légitimes, les mesures visant à lutter contre le terrorisme peuvent avoir un effet préjudiciable sur l’accès humanitaire. Certaines de ces mesures « sanctionnent, et donc découragent, la fourniture d’aide humanitaire dans certaines zones sous contrôle ou influence de groupes désignés comme terroristes ». Dr Droege a encouragé les participants à échanger sur les solutions existantes afin de s’assurer que les mesures antiterroristes n’entravent pas la capacité des organisations humanitaires impartiales à fournir l’aide nécessaire. Il s’agit aussi pour les États de se conformer au droit international humanitaire (DIH), qui s’applique lorsque la lutte contre le terrorisme prend la forme d’un conflit armé, comme c’est le cas dans plusieurs pays sahéliens. Cette discussion, a-t-elle estimé, est d’une « urgence particulière pour les communautés sahéliennes ».

Adama Dieng a aussi exprimé, en tant que « fils du Sahel », ses craintes liées à la sauvegarde de l’accès humanitaire dans la région. Selon l’ancien Secrétaire général adjoint de l’ONU et membre du Comité éditorial de la Revue internationale de la Croix-Rouge, il ne fait « aucun doute que la lutte contre le terrorisme doit être traitée comme une priorité majeure ». Pour autant, il a regretté que les efforts pour couper les sources de soutien au terrorisme aient « généré une nouvelle série de défis humanitaires », et contribuent à « des souffrances humaines qui pourraient être évitées ». M. Dieng a lancé un « appel vibrant » aux États pour « qu’ils s’engagent tous autour de cette cause qui nous est commune : faire triompher le respect du droit international humanitaire » (voir aussi son Éditorial dans le numéro de la Revue dédié au Sahel).

Le DIH n’est pas juste un slogan, c’est une responsabilité . - Adama Dieng

Angela Valenza, Responsable des Affaires Régionales pour l’Afrique de l’Ouest au CICR et modératrice du panel, a rappelé le double contexte de cette discussion : d’une part, l’extrême vulnérabilité des communautés sahéliennes face à une violence multiforme, et d’autre part, le développement d’un discours « exceptionnaliste » face aux défis posés par les actes de terrorisme, au détriment du droit international.

Dr Bakary Sambé a ouvert les échanges en partageant sa lecture des dynamiques de la violence armée au Sahel, qui constitue à la fois un facteur de besoins humanitaires, et un obstacle à la réponse humanitaire. Le Directeur du Timbuktu Institute a constaté une « situation très difficile, qui combine plusieurs problématiques [face à laquelle] il est important d’être dans une approche beaucoup plus holistique, et de rompre avec l’idée du tout sécuritaire ».

Les urgences sécuritaires ne doivent pas nous détourner du respect du droit .— Bakary Sambé

Le Sénégal a fait de la lutte contre le terrorisme l’une des priorités de sa présidence de l’Union Africaine (2022-2023). Selon l’Ambassadeur Sylvain Sambou, Directeur Afrique et Union Africaine du Ministère des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, la question du terrorisme au Sahel est une question multiforme : il ne s’agit pas seulement d’une question sécuritaire, ou humanitaire, mais aussi d’une question de développement et de construction de l’État. Il a notamment préconisé une « coalition internationale renforcée » autour de cette question. Bakary Sambé a par ailleurs noté le besoin d’améliorer la résilience des communautés face à l’extrémisme violent.

Les interventions ont ensuite mis en exergue les besoins pressants des communautés affectées par la violence au Sahel, en matière de sécurité alimentaire, de santé, de nutrition, d’eau, d’abris, ou encore d’éducation. À titre d’illustration, Hassane Hamadou, Directeur pays Niger-Burkina Faso pour le Norwegian Refugee Council, a remarqué que dans la région du Sahel central, plus de 6 800 écoles sont fermées ou non fonctionnelles, et environ 2,5 millions de personnes sont déplacées. Face à ces besoins, M. Hamadou a déploré la « détérioration significative » de l’accès humanitaire, et a attiré l’attention du public sur le coût humain du manque d’accès à l’aide humanitaire. Dans ce contexte, Laurent Saugy a tenu à rappeler la signification concrète et l’importance des principes de neutralité, d’impartialité, d’humanité et d’indépendance, qui encadrent les activités de nombreuses organisations humanitaires, telles que le CICR. « Neutralité ne veut pas dire indifférence », a-t-il souligné ; si les acteurs humanitaires restent neutres, « c’est pour sauvegarder la sanctuarisation de l’action humanitaire ». Quant à l’impartialité, elle vise à « secourir à la mesure des souffrances ». Selon Laurent Saugy, « en plaçant le sort des personnes au centre, une réponse humanitaire ne peut pas dépendre du lieu où ces personnes se trouvent ni d’autres facteurs les discriminant ».

Selon les estimations du CICR, sur le continent africain, 26 millions de personnes se trouvent dans des territoires contrôlés par un groupe armé. Le Chef de la délégation du CICR au Burkina Faso a rappelé que, lorsque ces groupes ne peuvent ou ne veulent pas subvenir aux besoins de ces personnes, l’aide humanitaire est « vitale ». Dans ces circonstances, « le dialogue humanitaire avec les groupes armés est un prérequis pour l’accès, et un impératif humanitaire ». Les États ont d’ailleurs octroyé aux organismes humanitaires impartiaux le droit d’offrir leurs services à toutes les parties en conflit — et donc d’engager un dialogue avec elles à cette fin.

Les États ont confié la tâche aux organismes humanitaires impartiaux de subvenir aux besoins essentiels des populations lorsque l’État lui-même, ou d’autres parties au conflit ne peuvent le faire. Cette confiance est primordiale aujourd’hui .— Laurent Saugy

L’Ambassadeur Sambou a d’ailleurs réaffirmé la position du Sénégal sur le soutien à apporter aux humanitaires pour qu’ils aient accès aux populations dans le besoin.

Pour autant, ces règles et principes humanitaires sont mis à mal par certaines mesures antiterroristes. Hassane Hamadou a partagé les conclusions de plusieurs études menées par le Norwegian Refugee Council, qui mettent en lumière l’impact préjudiciable de certaines mesures antiterroristes. En effet, parmi les nombreuses législations pénales nationales qui répriment l’« assistance » ou l’« appui matériel » au terrorisme, certaines sont formulées de manière si large qu’elles aboutissent à la criminalisation de l’aide humanitaire : le simple fait pour un acteur humanitaire d’avoir des contacts avec des individus ou groupes désignés comme « terroristes » afin d’accéder à une zone sous leur contrôle, peut mener à des sanctions pénales. Ces mesures contribuent aussi à l’autocensure de nombreux acteurs humanitaires qui n’osent plus mener des activités humanitaires dans certaines zones — ce qui a un effet tout aussi concret pour les populations qui ont le plus besoin d’assistance et de protection.

Pour parer à cette situation, les États peuvent adopter des clauses « d’exemption humanitaire », qui ont pour effet d’exclure du champ des mesures antiterroristes, les activités humanitaires menées par les organismes humanitaires impartiaux. Les échanges ont permis de mettre en valeur le rôle moteur du continent africain en la matière. L’Union Africaine fait figure de précurseur puisqu’elle a intégré une clause d’exemption humanitaire dans sa Loi modèle africaine contre le terrorisme ; tout comme le Tchad et l’Éthiopie qui ont révisé leur loi antiterroriste en ce sens. Plusieurs États africains ont par ailleurs contribué à l’adoption de résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la protection de l’accès humanitaire.

[Les clauses d’exemption humanitaire] ne remettent pas en question les mesures antiterroristes ni leurs objectifs. Elles les complètent, afin de s’assurer que les activités humanitaires des organismes humanitaires impartiaux ne soient pas affectées par ces mesures . — Cordula Droege

Pour Laurent Saugy, les clauses d’exemption humanitaire permettent non seulement aux États de se conformer au DIH, aux recommandations du Conseil de Sécurité des Nations Unies et à celles de l’Union Africaine, mais elles instaurent aussi une clarté absolument nécessaire : elles permettent d’établir une distinction claire entre les impondérables sécuritaires et les impératifs humanitaires.

Pour le Sénégal, le respect des droits de l’homme, du droit international humanitaire [f]ont partie de la stratégie antiterroriste. -  Ambassadeur Sylvain Sambou

Le respect du DIH n’a jamais fait perdre une guerre, par contre il a déjà contribué à construire la paix . - Laurent Saugy


Le concept de conférences itinérantes en Afrique de l’Ouest dénommées « Humanitarium » est un espace de débat initié par le CICR, entre les milieux diplomatiques, humanitaires, universitaires et militaires. Il vise à promouvoir le DIH et à contribuer à la recherche de solutions aux défis humanitaires contemporains. Depuis 2017, l’Humanitarium a permis d’échanger à Abidjan, Dakar, Lomé et Ouagadougou, sur des problématiques telles que l’impact du changement climatique et des conflits armés au Sahel, le rétablissement du lien familial entre les migrants et leur famille, ou encore l’inclusion des personnes en situation de handicap.


 

Date et heure

7 septembre 2022 15:30 GMT

Lieu de l'événement

Dakar