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Beni : « C’est une question de vie », lutter contre la stigmatisation des survivant(e)s des violences sexuelles !

Un article de Dieubon Paluku Mughenze, Lauréat du Prix CICR "Concours Médias'" sur la thématique Violence Sexuelle.
Portrait d'une survivante
CICR

Plus d’une décennie après le début d’interminables conflits armés, les violences sexuelles à l’égard de la femme restent vivaces dans la région de Beni au Nord-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo. Entraînant des conséquences dévastatrices, elles sont dissuadées par l’effort notamment des organisations humanitaires comme le Comité Internationale de la Croix-Rouge (CICR). La résilience reste importante pour les victimes qui survivent et redonnent à la vie sa pleine teneur face à la stigmatisation et d’autres maux.

Foulard sur la tête, habillée en pagne rosé, Milka (nom d’emprunt) est une victime de viol. Elle nous accorde l’interview, le 21 octobre 2024, en ville de Beni relatant ce qu’elle appelle « malheur » survenu dans le territoire de Beni, il y a deux ans. Elle attribue le forfait aux « porteurs d’armes surgis en pleine nuit ». Au-delà du traumatisme, la crainte d’être « rejetée par la communauté » constituait un lourd fardeau pour cette rescapée d’une attaque des combattants d’un groupe armé près du parc national des Virunga. Le drame est arrivé alors qu’elle était dans son champs. 

Les survivantes, entre le désespoir et la nouvelle vie

Loin de son milieu d’origine, à plus de 30 Km de la vielle de Beni, à la fuite des préjugés, la femme de 28 ans salue toutefois l’accompagnement des organisations qui assistent « par tout moyen » les victimes des violences sexuelles liées aux conflits armés, car n’ayant pas « payé les frais des soins médicaux ». Elle sensibilise, en outre, les victimes à se rendre aussitôt dans une structure sanitaire. Il s’agit du « premier acte qui sauve », fait-elle savoir rappelant la nécessité d’un encadrement social pour la réinsertion des victimes au-delà de la prise en charge médicale.

« Nous étions restés à trois au champ pour la garde des sacs de riz déjà récoltés, alors que mon père faisait des navettes entre le champ et une localité proche pour la vente. Une nuit, le ciel s’est assombri sur moi et mes deux frères. Des hommes armés étaient de passage dans une passerelle à la limite de notre champ. Du coup, ils ont entendu nos voix car nous nous apprêtions à prendre le soupé. Une arme à la tête, j’ai été violée et mes deux frères pris en otage avant de se soustraire des mains des assaillants à l’aube et revenir vers moi. C’est grâce à eux que je me suis retrouvée à l’hôpital dans la cité d’Oicha. Les médecins et ma famille m’ont encouragé à me dépasser », raconte-t-elle.

Si la jeune dame est satisfaite des soins reçus, elle n’oublie pas en revanche l’effet de la stigmatisation sur elle.

« Le viol a brisé mes rêves. Peut-être à mon âge j’aurais déjà pu trouver un mari. Je craignais mon entourage qui commençait à me pointer du doigt. J’ai frôlé le suicide et mes parents ont décidé de m’emmener ici en ville de Beni. Je n’imaginais plus que je vivrai aisément. Je dis à toutes les victimes de pardonner les bourreaux, même si c’est très difficile, et croire à un avenir radieux. Me livrer aux médecins et s’éloigner des personnes qui me connaissent mieux m’ont permis de résister face aux stéréotypes », confie Milka d’un air un peu nerveux.

Peu bavarde, Ramla (nom d’emprunt) est une autre survivante rencontrée un jour après Milka. Pour elle, son « plus grand regret » est de n’avoir pas poursuivi ses études. Elle était alors âgée de 19 ans et inscrite dans une école secondaire au moment des faits, dans l’un des trente quartiers de Beni.

« Mes collègues de classe ont su quelques jours après que j’ai été victime de viol commis par des hommes armés. A l’école, l’information s’est vite répandue et tous parlaient derrière mon dos. L’ayant su, j’ai jugé mieux d’abandonner. Trois mois de suite, mes parents m’ont encouragé à apprendre la coupe et couture. Jusqu'à présent, je garde des blessures au cœur. Je ne saurais pas oublier », dit-elle à moitié courbée sur la pédale de sa machine à coudre.

Et le travail du personnel soignant ?

Rachel Kashimoto est psychologue clinicienne à l’hôpital général de référence de Beni et point focal des violences basées sur le genre dans la zone de santé portant le même nom. Elle révèle une trentaine de cas de viol enregistrés au seul mois de septembre dernier. Cette clinicienne explique que la stigmatisation liée au viol affecte à la fois la prise en charge médicale et psychologique des survivantes.

« Pour éviter la stigmatisation, de nombreuses victimes se cachent dans la communauté. Pourtant, c’est un comportement aux conséquences néfastes sur la survivante à décourager. C’est l’une des raisons pour laquelle la plupart des survivantes hésitent de se rendre rapidement à la structure médicale la plus proche et, dépassent ainsi le délai de septante-deux heures requis pour éviter des grossesses non désirées et les infections sexuellement transmissibles ».  Ces dernières craignent la rupture des relations sociales.

Pour avoir été prise en charge à temps par les médecins, Milka estime que se rendre dans une structure sanitaire est le « premier acte qui sauve avant tout ». En plus de la prise en charge médicale, l’encadrement social pour la réinsertion des victimes est également d’une grande nécessité.

Rachel K. indique que la stigmatisation ne permet pas à la patiente d’être vite stabilisée. 
« Quand bien même on se croit avancer avec la prise en charge médicale et psychologique, la victime demeure affectée sur le plan social », prévient-elle. Il faut que la communauté s’active davantage dans la lutte contre la stigmatisation, car « c’est une question de vie », exhorte-t-elle.

Chacun a un rôle à jouer

A la fois président de la société civile de la coordination urbaine de Beni et auxiliaire de la justice, Maître Pepin Kavota appelle la population à devenir ambassadrice « du combat » contre la stigmatisation. Ce fléau, dit-il, pousse des victimes « à s’écarter » de la communauté et « freine même la prise en charge juridique et l’avancement des procédures judiciaires au-delà d’autres volets d’assistance ».

« La population devrait se donner à conscientiser la victime au lieu de la stigmatiser. Nous devons nous liguer pour la sensibilisation et militer pour ne plus assister à cette attitude à décourager », fait-il savoir.

Ruth Sabuni cheffe de bureau de service étatique du Genre, Famille et Enfants, à Beni, s’oppose aussi à la stigmatisation dans une région où « le taux des violences sexuelles est élevé » à la suite de l’agissement des combattants des groupes armés et autres mouvements subversifs. Elle reconnait l’inquiétude des victimes qui passent des journées enfermées et isolées par suite d’une forme de culpabilité couplée à la peur. Ainsi, lance-t-elle un appel à la conscience collective pour éliminer la méfiance et la stigmatisation à l’égard des survivantes du viol. « En matière des violences sexuelles, nous sommes tous de potentielles victimes. Personne ne veut être victime. Il est recommandé à la communauté de ne pas stigmatiser les victimes. Après un incident malheureux, la vie continue. Aidons les victimes à vivre sans inquiétude », insiste-t-elle.

Depuis des années, des violences sexuelles s’enregistrent à Beni comme ailleurs au Nord-Kivu, une zone transformée en champs de bataille des combattants et dans laquelle la vulnérabilité de la femme s’accentue au quotidien.

Selon le rapport des Nations Unies, 27.328 cas de violence basée sur le genre (VBG) ont été répertoriés au Nord-Kivu, au premier semestre 2024. Ce qui constitue une croissance de 23.99% par rapport à la même période en 2023. Près de 1.250 survivant(e)s des violences sexuelles ont été référées au CICR au troisième trimestre de 2024.

Le CICR sensibilise différents porteurs d'armes au Nord-Kivu sur la problématique de violences sexuelles afin de les prévenir. Le viol et les autres formes de violence sexuelle sont interdits dans les conflits armés par le droit international humanitaire.


À l'issue du Prix CICR "Concours Médias" sur la thématique Violence Sexuelle organisé au Nord-Kivu, République démocratique du Congo, le journaliste Dieubon Paluku Mughenze a été l'un des trois lauréats retenus. Ci-dessus son article, légèrement revu par le CICR.


 

Zoom sur Gisèle Kahimbani

Gisèle Kahimbani, journaliste de la radio Elle Fm, est l'une des trois lauréats. Elle prend à cœur son rôle pour lutter contre ce fléau.