RD Congo : « Tout ce qui nous reste, c’est la pauvreté »

Après plus de trois décennies de conflits armés et une nouvelle intensification en début 2025, de nombreuses familles qui s’étaient déplacées dans le Sud-Kivu et le Nord-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo, ont entamé des mouvements de retour vers leurs localités d’origine. Dans la valse des déplacements pendulaires effectués à répétition, naviguant entre ‘déplacées’ et ‘retournées’, la paupérisation de centaines de milliers de personnes s’est accentuée. Aujourd’hui, appauvrie par des déplacements successifs, la majorité des personnes retournées peine à se nourrir.
Solange se trouve dans une file d’attente qui progresse pour recevoir un colis d’assistance d’un agent du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et de volontaires de la Croix-Rouge de la RDC (CRRDC). C’est la première assistance que cette mère de huit enfants, qui attend patiemment son tour, va recevoir depuis plusieurs mois. Comme elle, ce sont plus de 35.000 autres personnes, retournées et déplacées qui se sont présentées sur cette partie du territoire de Kalehe, dans la province du Sud-Kivu, afin de recevoir l’aide du CICR.
« J’ai reçu un sac de farine de maïs, un sac de haricots, de l’huile, des couvertures, un pagne, une bâche et plusieurs ustensiles de cuisine », énumère Solange, enthousiaste. « Grâce à tout ceci, je vais bien manger pendant un moment, et mieux dormir !»
A 31 ans, Solange a été contrainte de se déplacer plusieurs fois. Son dernier déplacement a duré plusieurs semaines. Trois mois après son retour dans sa localité d’origine, elle ne se sent toujours pas à l’aise chez elle.
« Tout a changé. Nous mangeons très difficilement, parce que nous ne pouvons pas nous rendre aux champs à cause de l’insécurité. Maintenant, tout ce qui nous reste, c’est la pauvreté », explique-t-elle.
Pour Solange, comme pour des milliers d’autres personnes déplacées ou retournées dans leurs zones d'origine, le quotidien est marqué par de grandes difficultés : l'insécurité, la proximité des combats, le manque d’accès aux services essentiels comme l’eau et la santé, ainsi que des moyens de production dégradés, détruits ou inaccessibles du fait des conflits.

Kalehe, Sud-Kivu, Est de RDC – Solange, 31 ans, mère de 8 enfants, s’est plusieurs fois déplacée avec sa famille pour fuir la violence armée.
Des besoins urgents en alimentation et en santé
A la fin du mois de juillet 2025, les Commissions Mouvements de Populations (CMP) estimaient à 1,15 millions le nombre de personnes déplacées et à 1,4 millions celui de retournées au Nord-Kivu. A la même période au Sud-Kivu, il y avait plus de 1,55 millions de personnes déplacées et 461.000 retournées.
Dans le Sud-Kivu particulièrement, les déplacements des populations sont majoritairement liés aux conflits armés et autres situations de violence (81%), aux conflits intercommunautaires (8%), à l’insécurité (6%), et aux inondations (5%), selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). Le territoire de Kalehe est l’une des agglomérations qui reçoit à la fois un grand nombre de retournés et des déplacés. Selon différents acteurs humanitaires, l’accès à la nourriture et à la santé figure parmi les besoins prioritaires de ces personnes.
« Lors des pillages qui ont suivi les affrontements, nous avons tout perdu, que ce soit la nourriture ou les ustensiles ménagers. Mon village compte un peu plus de 30.000 personnes, mais nombreux n’arrivent pas à accéder aux structures de santé à cause soit de l’insécurité, soit du manque d’argent. L’unique adduction d’eau que nous avions a aussi été endommagée », affirme Luc* (prénom d’emprunt), chef d’un des villages de Kalehe.
Le droit international humanitaire (DIH) prescrit aux parties aux conflits l’obligation de protéger et de respecter les civils, notamment en veillant constamment à épargner la population civile et les biens civils lors des opérations militaires. Il interdit le pillage tout comme le fait d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que les denrées alimentaires, les zones agricoles, les installations et réserves d’eau potable. Les malades et les blessés doivent également recevoir les soins médicaux requis par leur état.
« C’est très difficile de trouver à manger actuellement, parce que notre situation s’est empirée avec l’avancée des hostilités. Nous n’avons pas non plus les moyens de nous faire soigner », déclare pour sa part Antoinette*, habitante de Katashola, qui vit avec ses enfants dans un abri de fortune. Déplacée depuis deux ans à la suite des inondations, elle a été de nouveau forcée à se déplacer en février dernier à cause des affrontements armés.

Kalehe, Sud-Kivu, Est de RDC – Antoinette, déplacée, vit dans un abri de fortune avec ses enfants et ils restent exposés à différentes intempéries. Au-delà des vivres, elle se réjouit d’avoir également reçu une assistance en biens essentiels de ménage.
Une aide humanitaire qui peine à arriver
Acheminer de l’aide humanitaire au Nord-Kivu et au Sud-Kivu pour des populations affectées, qu’elles soient retournées, déplacées ou membres de familles d’accueil, devient de plus en plus difficile, malgré des besoins exacerbés. Les organisations humanitaires peinent à accéder aux populations qui en ont le plus besoin à cause des combats et de l’insécurité, tandis que les défis logistiques et les réductions budgétaires pèsent.
Pour pouvoir apporter son assistance en vivres et non vivres à Kalehe, le CICR a dû profiter d’une accalmie qui s’est instaurée depuis le mois de mars 2025 afin de rapidement mener des évaluations des besoins des populations dans trois localités du territoire de Kalehe. Depuis, la reprise des combats a de nouveau restreint plusieurs fenêtres d’opportunités.
« Au-delà d’une réponse en urgence pour aider les populations à couvrir leurs besoins immédiats en alimentation comme fait à Kalehe, nos équipes procèdent également à des distributions de semences pour permettre aux populations de retrouver leurs moyens de subsistance. Ce type d’assistance vient d’être donné à près de 8 800 personnes du territoire de Masisi, au Nord-Kivu qui ont reçu des kits maraichers et outils aratoires ainsi que des vivres », explique Aboubacar Ali, coordinateur adjoint en charge de la sécurité économique au bureau du CICR au Sud-Kivu.
Il est de la responsabilité des parties aux conflits d’autoriser et de faciliter l’accès humanitaire aux personnes civiles dans le besoin, en prenant par exemple des mesures pratiques et concrètes permettant aux secours humanitaires de continuer d’atteindre les populations vulnérables. Ces populations civiles qui se trouvent souvent prises au piège entre les lignes de front doivent pouvoir continuer d’avoir accès à la nourriture, à l’eau et aux soins de santé malgré l’intensification des conflits et les difficultés opérationnelles accrues.
Une organisation comme le CICR, s’efforce, grâce à sa neutralité et au dialogue bilatéral qu’elle entretient avec toutes les parties aux conflits, d’atteindre les personnes le plus dans le besoin, de part et d’autre des lignes de front. Cette approche donne généralement au CICR, un accès le plus large possible tant aux victimes de la violence qu’aux acteurs armés, afin de pouvoir aider et influencer positivement les comportements.
« Au Sud-Kivu, à Kalehe, en plus de l’assistance en vivres et non vivres, nous appuyons parallèlement des structures de santé dans la prise en charge gratuite des populations vulnérables affectées par les conflits. D’autres équipes sont aussi sur le terrain pour réparer les infrastructures d’approvisionnement en eau endommagées lors des affrontements afin de rétablir l’accès vital à de l’eau potable pour les populations locales », ajoute Aboubacar Ali.
Alors que des combats se poursuivent dans certaines zones du Sud-Kivu et du Nord-Kivu, les besoins humanitaires restent énormes, et l’aide apportée est loin d’atteindre toutes les populations en difficulté. Entre temps, les populations survivent en bénéficiant aussi de la solidarité des communautés d’accueil, elles-mêmes affectées par les combats, mais obligées de partager le peu de ressources dont elles disposent.