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Tchad : le soutien psychosocial pour panser les blessures invisibles des réfugiés soudanais

Focus-Groupe---Sante-mentale CICR
Alyona Synenko/CICR

Le conflit armé au Soudan a forcé des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à fuir leurs terres. Arrivés dans les provinces de l’Est du Tchad, dans des conditions précaires, ils portent une souffrance invisible, bien plus lourde que la perte matérielle.

La violence du conflit, l’arrachement brutal à leur foyer, la perte d’êtres chers, l’incertitude du lendemain : autant de chocs qui laissent des traces profondes. Troubles du sommeil, cauchemars, anxiété, dépression… la douleur psychologique est omniprésente. Face à ces blessures invisibles, le CICR et la Croix-Rouge du Tchad offrent chaque jour écoute, soutien et réconfort.

Quand des mots soulagent les maux

« Lorsque nous avons traversé la frontière, j’étais complètement perdue », raconte Fatma*, arrivée début mai 2025 avec son fils de 10 ans à Tiné dans le Wadi Fira. 

« Les violences que nous avons subies m’ont laissée avec une peur constante. Je ne dormais presque plus, et mon fils non plus. Chaque fois qu’il fermait les yeux, il revivait ces scènes traumatisantes. En plus de cette peur, je ne savais pas où se trouvaient ma mère et mes sœurs, cette incertitude me rongeait. »

Une bénéficiaire Sante mentale échange avec un volontaire de la Croix-Rouge
Abakar Oumar CHERIF/CICR
Abakar Oumar CHERIF/CICR

« Dès notre arrivée, des volontaires de la Croix-Rouge sont venus nous parler. Grâce aux séances de groupe, j’ai compris que je n’étais pas seule. D’autres femmes vivaient des situations semblables. Ces séances m’ont permis de me sentir soutenue et mieux comprise. Parler m’a soulagée. »

Un fils perdu, deux enfants à protéger

« Je suis allée à la Croix-Rouge parce que j’oublie beaucoup. Quand je dépose quelque chose à l’intérieur, je ne le retrouve pas. Quand on m’appelle, je n’entends pas. Je suis perturbée et perdue », confie Khadidja*, 64 ans, réfugiée dans le site de transit de Djabal dans le Sila.

Quand le conflit a éclaté au Soudan, elle a tout laissé derrière elle. Elle a perdu son unique fils qui l’aidait dans ses tâches quotidiennes. « Je pense tellement à lui », murmure-t-elle d’une voix tremblante. Du Darfour, elle a rejoint le Tchad avec sa nièce de 12 ans et son neveu de 7 ans.
 

Mains d'une réfugiée soudanaise bénéficiaire du programme santé mentale
Abakar Oumar CHERIF/CICR
Abakar Oumar CHERIF/CICR

Cette douleur, elle ne la porte pas seule. Sa nièce, elle aussi, vit avec les cicatrices de la perte.

« Elle pleure beaucoup quand elle pense à son père décédé, auquel elle était très attachée. Elle fait des cauchemars et se réveille en pleine nuit », raconte Khadidja.

Dans leur épreuve, elles trouvent un soutien précieux à la maison d’écoute du camp de Djabal, mise en place par le CICR et la Croix-Rouge du Tchad, pour l’accompagnement psychosocial. « Nous nous rendons souvent à la maison d’écoute du CICR pour une prise en charge. Grâce aux séances et aux échanges, nous arrivons peu à peu à nous sentir mieux. Ces séances sont essentielles pour moi, car j’élève seule ces deux enfants. Je suis à la fois leur père, leur mère et leur grand-mère », ajoute-t’elle.
 

Le soutien psychosocial au centre du processus de rétablissement

Depuis 2024, le CICR, en collaboration avec la Croix-Rouge du Tchad, a mis en place un programme d’accompagnement psychosocial dans les camps de transit des provinces du Ouaddaï, du Sila et du Wadi Fira. Ce programme vise à soutenir les personnes traumatisées par les violences passées, l’exode difficile et la perte des proches.

Il inclut des séances de soutien psychologique individuel et collectif, des formations et sensibilisations communautaires, des techniques de relaxation et des activités spécialement dédiées aux enfants. Ces sessions, menées par des psychologues, des relais communautaires et des volontaires de la Croix-Rouge, permettent à ces personnes d’exprimer leur douleur, de partager leurs expériences et de se sentir moins isolés dans leur souffrance. Elles leur offrent un espace pour souffler, pour parler, pour retrouver peu à peu un certain équilibre.

Dans un coin de la maison d’écoute du camp de Djabal, des éclats de rire brisent le silence. Une dizaine d'enfants dessinent, jouent, courent. Ces activités récréatives organisées par le CICR ne sont pas de simples distractions : elles constituent une thérapie essentielle.
 

Des enfants réfugiés soudanais entrain de dessiner au centre d'écoute du CICR à Djabal
Abakar Oumar CHERIF/CICR
Abakar Oumar CHERIF/CICR

« Les enfants expriment leur traumatisme différemment », explique Stéphanie Loiseau, déléguée en santé mentale et soutien psychosocial du CICR. « Certains présentent des troubles du sommeil, des cauchemars, de l’anxiété ou une peur constante. À travers le jeu, le dessin et le chant, nous leur offrons un langage pour qu’ils puissent exprimer ce qu'ils ne peuvent pas verbaliser. » Ces activités contribuent ainsi à atténuer les traumatismes liés au conflit et à la séparation familiale.

Comme l’exprime Stéphanie Loiseau : « Nous ne pouvons pas effacer la douleur ni ce qu’ils ont vécu, mais nous pouvons accompagner chaque personne pour retrouver une part d’équilibre et d’espoir, afin qu’elle puisse espérer un avenir meilleur. »
 

Le programme en chiffres

Depuis le lancement, en mai 2024, du programme santé mentale et soutien psychosocial, un nombre important de personnes a bénéficié des activités de sensibilisation et de prise en charge adaptées aux besoins locaux dans les 3 provinces :

  • 47 390 personnes ont été sensibilisées aux conséquences psychologiques des conflits.
     
  • 1 286 personnes ont reçu un soutien psychologique individuel, dont 56 ont été orientées vers d’autres structures pour un accompagnement complémentaire.
     
  • 22 membres de familles d’accueil ont également bénéficié d’un accompagnement.
     
  • 72 enfants identifiés avec des besoins spécifiques ont reçu un accompagnement spécialisé.
     
  • 12 volontaires de la Croix-Rouge du Tchad et 9 relais communautaires animent des groupes de parole et accompagnent les bénéficiaires selon les besoins identifiés.