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Tchad : les Mamans lumière, des actrices clés pour lutter contre la malnutrition infantile

Une femme du projet mamans lumière à Bagasola assise sur une natte
Alyo Mahamat Issa

La province du Lac fait face à une crise nutritionnelle et sécuritaire sans précédent. Les conflits armés, le changement climatique et la pauvreté aggravent la malnutrition, touchant particulièrement les enfants de moins de cinq ans. Selon l’Enquête SMART 2024, près de 10 % des enfants dans cette tranche d’âge souffrent de malnutrition chronique. Pourtant, au cœur de cette crise, des femmes se mobilisent pour rallumer l’espoir : les Mamans lumière. Leur rôle : détecter la malnutrition, conseiller les mères, sensibiliser les familles et accompagner les enfants dans leur croissance.

Elles s’appellent Aïcha, Fatimé et Halimé. Mères, cultivatrices, commerçantes… et Mamans lumière. Depuis 2022, elles parcourent villages et foyers dans les départements du Fouli et du Kaya, situés au nord-est de la province du Lac, à environ 300 kilomètres de N’Djamena. Ces zones frontalières du Niger et du Nigeria, isolées et marquées par l’insécurité, sont parmi les plus vulnérables du pays. Djouroukapi, situé dans le département du Fouli, est l’un des villages où elles interviennent. 

Le terme « Mamans lumière » est une expression couramment utilisée dans plusieurs pays du Sahel pour désigner des femmes issues des communautés locales, choisies et formées pour transmettre des messages essentiels sur la nutrition, la santé et l’hygiène.

Ces femmes, souvent mères elles-mêmes, partagent leurs connaissances avec d’autres mères à travers des séances de sensibilisation, des démonstrations culinaires ou des visites à domicile. Elles expliquent, par exemple, comment préparer des repas équilibrés pour les enfants, maintenir une bonne hygiène ou reconnaître les signes précoces de malnutrition.

Une maman lumière entrain de faire une sensibilisation
Alyo Mahamat Issa
Alyo Mahamat Issa

Grâce à leur proximité avec la communauté et à la confiance qu’elles inspirent, les Mamans lumière jouent un rôle clé dans la prévention de la malnutrition, en particulier chez les enfants âgés de 6 à 59 mois, une tranche d’âge considérée comme la plus vulnérable selon les enquêtes nutritionnelles récentes.

Formées par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ces femmes deviennent les éducatrices de proximité et les relais essentiels de leur communauté pour lutter contre la malnutrition infantile, aggravée par l’insécurité alimentaire, le manque d’eau potable, des pratiques d’alimentation et de soins inadaptées, ainsi qu’un système de santé fragilisé.

Former, sensibiliser et nourrir l’espoir au cœur des villages du Lac

Le soleil se lève sur Djouroukapi. Aïcha enfourche son vélo et se dirige vers le premier foyer du village. À son arrivée, une jeune mère berce son bébé aux joues creuses. Aïcha s’assoit, observe et écoute.

« Comment se porte votre enfant ? » demande-t-elle. La mère explique que son bébé refuse de manger et perd du poids. Aïcha sort son carnet et commence à préparer un repas nutritif avec du mil, des feuilles de moringa et un peu d’huile. « Voyez, chaque geste compte. Avec ce mélange, votre bébé pourra reprendre des forces », explique-t-elle en montrant chaque étape. Le bébé goûte timidement, puis reprend quelques bouchées. Le visage de la mère s’illumine, et Aïcha note chaque détail dans son carnet.

À quelques kilomètres de là, une autre Maman lumière s’affaire elle aussi à transmettre son savoir. Fatimé organise une séance collective sous un grand arbre. Les mères, tenant leurs nourrissons, s’installent autour d’elle. « Vous devez nourrir vos enfants avec patience, régularité et amour », explique-t-elle. Elle leur montre comment mélanger les céréales avec des légumes locaux et rappelle l’importance de l’allaitement maternel exclusif.

Les questions fusent : « Peut-on donner de l’eau avant six mois ? » « Quel légume est le plus nutritif pour mon enfant ? » Fatimé répond en encourageant chaque mère à partager ses expériences. « Les voir comprendre et appliquer nos conseils, c’est ma plus grande récompense », se réjouit-elle.

Les Mamans lumière, un modèle de résilience communautaire

Le programme Mamans lumière va bien au-delà de la simple distribution de Plumpy’ Doz, un complément nutritionnel complet à base de lait en poudre, de céréales, d’huiles, de vitamines et de minéraux. Il repose surtout sur une approche communautaire profondément transformative, qui vise à former des femmes locales sélectionnées pour leur influence au sein de la communauté et leur exemplarité en matière de bonnes pratiques nutritionnelles familiales. Ces femmes deviennent ainsi des actrices clés du changement dans leur communauté. Grâce à leur formation, elles sont capables de sensibiliser et d’accompagner d’autres mères.

Eugénie MIDDAI, nutritionniste au CICR, témoigne : « Voir le taux d’allaitement maternel exclusif passer de 10 % à 77 % est incroyable. Chaque jour, nous constatons de vrais changements dans les pratiques et les comportements des mères. »
Le programme soutient également l’autonomie des femmes. Les potagers, la distribution de petits ruminants et les activités génératrices de revenus permettent aux familles d’améliorer leur sécurité alimentaire et la diversité de leur alimentation. Les visites régulières et les séances de sensibilisation renforcent les pratiques d’hygiène et encouragent le recours aux centres de santé.

Comme Aïcha et Fatimé, Halimé fait partie de ces femmes qui éclairent leur communauté par l’exemple. Elle accompagne une jeune mère dans son potager en sac et lui montre comment cultiver des légumes nutritifs pour améliorer l’alimentation de ses enfants. « Chaque plante que vous faites pousser est une chance de plus pour votre enfant », dit-elle avec conviction.

Une maman lumière avec un potager dans le Lac
Al Hassana Idriss
Al Hassana Idriss

Malgré ces avancées, la province du Lac reste fragile. L’insécurité, l’isolement et l’instabilité menacent chaque progrès. Les Mamans lumière affrontent la chaleur, la poussière et parfois des routes impraticables pour atteindre les foyers les plus vulnérables. Chaque enfant retrouvé en bonne santé est le fruit du courage et de la persévérance de ces femmes déterminées.
Halimé repense souvent à son propre parcours : « Avant de rejoindre le programme, je ne savais pas comment bien nourrir mes enfants. Mon fils était si faible, aujourd’hui il est en bonne santé, et je transmets ce que j’ai appris à d’autres mères. Chaque sourire, chaque progrès est une victoire. »

Ces lueurs d’espoir montrent que le changement est possible, même en temps de crise. Mais pour que ces transformations soient durables, il faut un engagement constant, des ressources renforcées et un accompagnement soutenu. Le CICR continue à travailler main dans la main avec les communautés et les autorités locales pour protéger et développer ces initiatives qui sauvent des vies.

À Djouroukapi, chaque matin, lorsque les Mamans lumière reprennent la route pour visiter les foyers, elles transportent bien plus que des conseils et des compléments nutritionnels : elles transportent l’espoir d’un futur meilleur, une lueur de vie pour chaque enfant, et la preuve que l’action locale peut changer le destin de toute une communauté.