Tchad : À l’autre bout du fil, l’espoir renaît pour les familles soudanaises séparées par le conflit
Depuis avril 2023, le conflit au Soudan a contraint près de 900 000 personnes à trouver refuge au Tchad, portant à plus de 1,4 million le nombre total de réfugiés dans le pays. Beaucoup ont fui dans la précipitation, laissant derrière eux des proches dont ils sont toujours sans nouvelles.
Adré, ville frontalière de la province du Ouaddaï dans l’est du Tchad, située à quelques kilomètres du Darfour, est devenue l’un des principaux centres d’accueil pour ces personnes réfugiées. Son relief de plaines semi-arides et son climat chaud et sec rendent les conditions de vie particulièrement éprouvantes pour des populations déjà fragilisées par les déplacements et les séparations familiales.
Dans ce contexte, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et la Croix-Rouge du Tchad (CRT) unissent leurs efforts pour aider les familles à rétablir le lien avec leurs proches et à faire face aux difficultés d’un quotidien marqué par la précarité.
La vie au camp d’Adré : entre espoir et précarité
Les tentes, serrées les unes contre les autres, forment un village provisoire où se mêlent rires d’enfants et murmures inquiets des adultes.
Les plus jeunes, insouciants malgré la dureté du quotidien, transforment des bouts de bois ou des chiffons en ballons de fortune. Autour de petits foyers, les mères s’affairent à préparer des repas avec des ressources limitées.
Au camp d’Adré, des milliers de familles soudanaises n’ont pas de nouvelles de leurs proches. Pour elles, entendre une voix ou voir un visage à l’écran peut tout changer.
Laila*, 52 ans, a fui Nyala, capitale du Darfour du Sud, située à environ 450 km d’Adré. Elle a pris la route avec huit enfants et trois petits-fils, laissant derrière elle son mari malade.
« Quand nous sommes partis, je n’étais pas sûre d’arriver vivante. Nous avons quitté la maison sans rien, car quand tu fuis, tu ne penses qu’à sauver ta vie », raconte-t-elle.
Pendant des mois, elle a cru avoir perdu son fils malvoyant, égaré sur la route. « Je ne dormais plus, je ne mangeais plus. Quand je voyais un garçon de son âge, mes larmes coulaient », confie-t-elle.
L’enfant a finalement réussi à la rejoindre. « Nous nous sommes perdus en chemin. Incapable de retrouver sa route, il s’est retrouvé à El Nuhud, dans la région du Kordofan. Après plusieurs mois de recherches et grâce aux appels passés depuis le kiosque du CICR, mon enfant a pu être localisé dans ce village, puis ramené à Adré », raconte-t-elle.
Toutefois, la vie au camp reste difficile : « Nous ne mangeons qu’une fois par jour. Mon petit commerce quotidien ne me rapporte pas plus de 500 FCFA, et c’est insuffisant. »
Parfois, une lueur apparaît au bout du tunnel
Non loin de là, Zainab*, 25 ans, a fui El Fasher, au Darfour du Nord, située à environ 350 kilomètres d’Adré, avec ses enfants. Pendant six mois, elle est restée sans nouvelles de son mari, blessé et resté au Soudan. « Mon esprit n’était pas tranquille. Je priais sans cesse, je me perdais même en sortant de ma tente », confie-t-elle.
C’est grâce au kiosque téléphonique du CICR qu’elle a enfin pu appeler un proche et apprendre que son mari était vivant. Le jour où elle a entendu sa voix, un soir de Ramadan, est resté gravé dans sa mémoire. « J’ai distribué des bonbons à tout le monde tellement j’étais heureuse ! Depuis, mes enfants et moi pouvons enfin dormir », raconte-t-elle, émue.
Elle explique comment son mari a ensuite réussi à la retrouver : « Je lui ai dit au téléphone que j’étais au camp d’Adré, au Tchad, avec les enfants. » Quelques semaines plus tard, il a pu les rejoindre. « Sans ces appels, nous serions toujours séparés », dit-elle.
Aujourd’hui réunie, la famille tente de reconstruire une vie dans le camp d’Adré.
Chaque appel, une histoire de vie ou de disparition
Chaque appel depuis le kiosque téléphonique est chargé d’émotions. Certains réfugiés cherchent avant tout à savoir si leurs proches sont encore en vie : « Ma sœur est-elle en sécurité à Nyala ? » demande une femme, tremblante, les mains crispées sur son téléphone. D’autres tentent de localiser un membre de leur famille : « Mon mari est-il au camp de Kalma ou à El Fasher ? »
Parfois, les questions dépassent la simple recherche de nouvelles : Comment obtenir de la nourriture, des médicaments, ou organiser le transport d’un enfant malade. « Mon bébé a besoin de lait, pouvez-vous m’indiquer où en trouver ? » interroge une jeune mère, la voix pleine d’inquiétude.
Les appels se terminent tantôt par des pleurs de joie ou des rires, tantôt dans le silence lourd de l’incertitude lorsqu’aucune tentative de connexion n’aboutit. « Je ne sais pas si mon frère est encore vivant, je n’arrive pas à le joindre », confie un jeune homme, le regard vide.
Les volontaires de la Croix-Rouge écoutent, rassurent, multiplient les tentatives et transmettent parfois des messages là où les réseaux ne fonctionnent pas.
Abdel Nasser Hamza, volontaire à la Croix-Rouge du Tchad, gère le kiosque téléphonique du CICR à Adré : « Chaque matin de très bonne heure, beaucoup de personnes font la queue pour appeler leur famille. Grâce à ce service, des familles se retrouvent. Quand une mère apprend que son enfant est en vie, quand une femme retrouve son mari, leur bonheur est notre plus belle récompense. À voir les difficultés qu’ils ont rencontrées avant de pouvoir contacter leurs proches, nous sommes touchés parfois jusqu’aux larmes », confie-t-il, un brin d’émotion dans la voix.
Aujourd’hui, les appels ne sont plus seulement vocaux : le CICR a introduit les appels vidéo via WhatsApp. « Quand ils voient leurs proches en vidéo, ils sont émus et heureux. Et quand ils prient pour nous, nous savons que notre travail a du sens », explique-t-il.
Ces échanges traduisent à la fois la détresse et la résilience des personnes réfugiées, et rappellent combien ces kiosques sont vitaux pour maintenir un lien humain au cœur du conflit.
Des besoins immenses, des ressources limitées
Si ces services apportent un réconfort vital aux personnes séparées de leurs proches, les besoins humanitaires au Tchad excèdent largement les ressources disponibles. L’afflux massif de réfugiés met une pression considérable sur les communautés hôtes et des infrastructures déjà fragiles.
Pourtant, le secteur humanitaire doit composer avec un financement insuffisant et instable. Faute de moyens, de nombreux projets risquent de ralentir, voire de s’arrêter, alors que l’urgence est toujours aussi pressante.
Dans ce contexte, chaque appel passé, chaque famille réunie rappelle l’importance de maintenir et de renforcer la solidarité internationale.
*Prénoms d’emprunt.
En chiffres : Rétablir les liens familiaux malgré le conflit
Depuis le début du programme Protection des liens familiaux dans l’est du Tchad :
• Le CICR et la Croix-Rouge du Tchad ont facilité au total 1 443 854 appels téléphoniques dont 833 074 appels positifs ayant permis de rétablir ou de maintenir le contact entre des personnes déplacées et leurs proches.
• Plus de 53 336 appels WhatsApp, dont 33 888 positifs ayant permis de rétablir ou de maintenir le contact avec des proches, ont été réalisés grâce aux kiosques mis en place dans l’est du pays.
• Le CICR et la Croix-Rouge du Tchad ont assuré 46 314 fois la recharge de téléphones pour permettre aux personnes réfugiées de rester en contact avec leurs proches.
• Ces services sont disponibles dans 37 sites accueillant des populations réfugiées dans l’est du pays.