Cameroun : l’hôpital de Mada, une parcelle d’espoir dans un océan de violences
Au cœur de la région du lac Tchad, secouée par un conflit armé qui dure depuis près de sept ans, un hôpital est la seule structure de santé capable de pratiquer des actes de chirurgie de guerre. Les patients affluent du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigéria. Nous avons recueilli les témoignages de certains d’entre eux alors qu’ils se faisaient soigner à l’hôpital de Mada.
Dans la région du lac Tchad, les populations subissent les conséquences d'une grave crise qui a commencé au Nigéria à la fin des années 2000, pour ensuite s'étendre aux pays riverains du lac. Depuis 2014, des attaques se sont multipliés dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun. Toujours plus violentes, elles ont souvent pour cible des civils. On déplore des morts par milliers.
Samuel, blessé par balle lors de l'attaque de son village
Samuel, 60 ans, est un agriculteur vivant sur l'île de Tchika dans la partie camerounaise du lac Tchad. Une nuit, il s'est fait tirer dessus alors que son village était attaqué par des hommes armés.
« Cette nuit-là, des individus ont forcé ma porte. Je croyais que ce n'était que de simples voleurs, alors j'ai foncé sur le premier d'entre eux avec une machette. Il m'a tiré dessus. »
Blessé au niveau de la hanche, abandonné par le groupe d'hommes après le pillage de sa maison, Samuel s'est trainé chez un voisin pour demander de l'aide. « Mais personne n'a voulu m'assister » dit-il avec amertume.
Dans cette partie du pays, la population craint de se déplacer la nuit, de peur d'être confondue avec des belligérants. Les déplacements nocturnes sont risqués, surtout après une attaque.
À bout de forces et sans assistance, Samuel s'est effondré et a perdu connaissance. Ce n'est qu'au lever du jour que des voisins viennent enfin à son secours et parcourent la trentaine de kilomètres qui séparent Samuel de sa seule chance de survie : l'hôpital de Mada.
À son arrivée, Samuel est transféré au bloc chirurgical. « Une chance pour lui, le projectile n'a pas touché d'organes vitaux », explique le docteur Rabo, chirurgien généraliste à l'hôpital. « En plus la balle l'a traversé sans rester dans les chairs, ce qui a limité les risques au moment de notre intervention. On a pu le sauver malgré une prise en charge tardive. »
Toujours hospitalisé plusieurs jours après son opération, Samuel sait que son rétablissement complet prendra encore du temps. Heureusement pour lui, il n'aura rien à dépenser pour ses soins. Toutes ses factures seront réglées par le CICR qui, grâce à un partenariat avec l'hôpital, assure des soins gratuits pour toutes les personnes prises en charge pour des blessures de guerre.
Enceinte, Faltmata a marché cinq jours pour trouver un hôpital
« J'ai fait une crise accompagnée de douleurs insupportables, à tel point que j'ai perdu connaissance. »
À son arrivée à la maternité de l'hôpital de Mada, Faltmata, 20 ans et enceinte de son premier enfant, avait de fortes douleurs abdominales.
À cela s'ajoutait la fatigue d'avoir erré pendant cinq jours à la recherche d'un hôpital pouvant s'occuper d'elle.
Partie du Nigéria où elle vit dans un camp de déplacés, elle est passée par deux structures de santé avant d'être finalement référée à l'hôpital de Mada.
« Au moment de ma crise, ma mère et ma grand-mère m'ont amenée à l'hôpital du camp mais il n'y avait pas de service de nuit, ils ne pouvaient rien faire pour moi. Nous nous sommes alors rendues à Fotokol, une ville du Cameroun frontalière avec le Nigéria. Une fois sur place, le personnel médical nous a à son tour recommandé l'hôpital de Mada, mieux équipé pour me donner les soins dont j'avais besoin. »
Finalement, après cinq longs jours de travail, Faltmata a donné naissance à son premier enfant, une fille.
L'insécurité grandissante a eu des répercussions immédiates sur l'accès aux soins de santé. Les menaces d'enlèvements et les risques d'attaques ont été pris très au sérieux, et c'est à regret que certaines activités de soutien de l'hôpital de Mada aux centres de santé des villages reculés du même district ont dû être suspendues. La multiplication du nombre d'admissions aux urgences de patients à la suite d'attaques dans la région est autre conséquence du conflit en cours.
Woulmé attend de savoir si son enfant peut être sauvé
Woulmé vient du Tchad. Au moment où nous l'avons rencontrée, elle n'était pas fixée sur l'état de santé de son enfant à naître. « Il a cessé de bouger », dit-elle tristement, l'image de sa dernière échographie entre les mains.
Kaou, une autre femme assise à côté d'elle, n'a plus d'espoir. Une césarienne a permis de la sauver mais il était trop tard pour son bébé.
À l'hôpital de Mada, les césariennes comme dans les chirurgies de guerre, sont prises en charge par le CICR.
Se préparer à affronter le pire
« C'est difficile de voir quelqu'un qui perd la vie devant vous, surtout quand les personnes sont très jeunes », lâche André, administrateur de l'hôpital de Mada. Ce dernier évoque pourtant un événement dramatique qui l'a profondément marqué, lui et ses collègues.
« Malgré la violence de l'événement, l'hôpital a pu faire face », affirme-t-il.
En janvier 2016, une explosion dans un marché provoquait l'afflux d'une centaine de personnes aux urgences, certaines gravement blessées. Pour André, « les techniques et connaissances acquises moins d'une semaine auparavant durant un atelier de formation du CICR sur la chirurgie de guerre ont permis de garder tout le monde en vie ».
Pour cette mobilisation exceptionnelle, l'hôpital et son personnel avaient reçu les remerciements des autorités.
André sourit et conclut : « Nous sommes une parcelle d'espoir dans un océan de violences. »
L'hôpital de Mada a été fondé en 1975 par le Dr Maggi, un médecin suisse qui a passé l'essentiel de sa vie et de sa carrière au Cameroun jusqu'à sa mort en 1988. Cette structure de santé est aujourd'hui de propriété et est gérée par l'Association Helvétique Hôpital de Mada - Opera umanitaria dr. Maggi (HHM) de Lugano-Breganzona : www.fondazionemaggi.ch.