Rapport

Counting the Dead 2020-2021 : nouveau rapport sur les migrants décédés aux frontières sud de l’Europe

Cette étude est une mise à jour du rapport initial Counting the Dead, publié en 2022, qui couvrait la période 2014-2019. L’objectif est de recenser les tombes des migrants décédés dans quatre pays (Espagne, Grèce, Italie et Malte), et d’étudier la gestion des dépouilles mortelles, ainsi que le taux d’identification des personnes décédées.

Selon ce nouveau rapport du CICR, entre 2020 et 2021, seuls 7% des migrants portés disparus en mer répertoriés par l'OIM ont été retrouvés aux frontières méridionales européennes. La majorité des corps n'ont pas été identifiés, laissant leur famille dans une terrible incertitude.

Le rapport analyse également les changements dans les routes migratoires, l'impact du Covid-19, ainsi que l'augmentation de naufrages dits fantômes. Des recommandations sont également formulées.

 

Counting the Dead - Mise à jour 2020-2021

Téléchargez le rapport (en anglais)

Evolution des routes migratoires

La comparaison avec la période couverte par le rapport précédent permet d'identifier des changements dans les routes migratoires.

Entre 2014 et 2019, seulement 10% des personnes reportées disparues/décédées par l'OIM dans la route centrale de la Méditerranée ont été retrouvées décédées sur les côtes sud européennes. Entre 2020 et 2021, seules 2%. Si certains corps ont pu être retrouvés en Tunisie notamment, il demeure plausible qu'une grande part des disparus repose au fond de la Méditerranée.

L'autre grand changement concerne la résurgence de la périlleuse route vers les îles Canaries et parallèlement, du nombre de disparus. L'OIM comptabilisait en effet 526 personnes portées disparues / décédées le long de cette route entre 2014 et 2019. Entre 2020 et 2021, ce sont 2003 personnes qui s'évanouissent dans l'Atlantique. Si le taux de corps retrouvés dans les îles Canaries est supérieur – 7% contre 2% précédemment – toujours est-il que cette route compte un plus grand nombre de victimes.

Il faut également mentionner la reprise de la route terrestre au nord-est de la Grèce, liée à l'augmentation des contrôles en mer Egée.


Impact du Covid-19 et naufrages fantômes

La crise sanitaire liée à l'épidémie du Covid-19 a eu des incidences sur la mobilité des personnes comme sur la gestion des dépouilles mortelles par les autorités. Les restrictions de mouvement dans les pays de départ ont entraîné la diminution du nombre de traversées mais aussi un changement dans leur nature. Ces traversées étaient moins organisées, et surtout, sur des embarcations de plus petites tailles et fragiles. Couplée à la diminution des capacités des ONG à porter secours en mer Méditerranée, cela explique l'augmentation des naufrages dits fantômes et des victimes en mer. Malgré un contact avéré avec des ONG et des membres de familles, ces bateaux disparaissent sans laisser de traces, ni de survivants.

Les disfonctionnements administratifs liés au Covid-19 se sont également répercutés sur la gestion des dépouilles des migrants retrouvées. Les experts qui ont élaboré le rapport du CICR ont par exemple noté des enterrements accélérés, un manque de coordination entre plusieurs administrations lors de déplacements de corps, comme des délais dans les processus d'identification et de rapatriement des corps.


Trop peu de corps identifiés

Le rapport souligne malheureusement un faible taux d'identification général (48%), mais de grandes disparités existent entre pays, comme entre régions.

Taux d'identification par pays

Espagne : 41%
Italie : 8%
Grèce : 70%
Malte : 25%

Il faut néanmoins interpréter ces chiffres avec finesse. Plusieurs paramètres, au-delà des capacités nationales en médecine-légale, expliquent tant les différences entre les pays, les régions, que l'évolution par rapport au rapport initial Counting the Dead : le type de route empruntée comme d'embarcation utilisée, les conditions des naufrages et l'existence de survivants, ainsi que la capacité des familles à pouvoir contacter les autorités.

L'exemple de l'Espagne est éclairant. Les villes de Ceuta et Melilla affichent un fort taux d'identification, respectivement de 83% et 68%, tandis que dans les îles Canaries – avec une grande disparité dans l'archipel même - seuls 35% des corps ont été identifiés. L'explication est simple : la majorité des migrants atteignent Ceuta et Melilla par voie terrestre. Les corps sont souvent récupérés en bien meilleur état qu'en mer, tout comme leurs effets personnels, et les témoignages de survivants comme de proches sont plus faciles à collecter.

Une mère regarde la photo de son fils qui a disparu après avoir émigré en Europe par bateau. Région de Tambacounda, Sénégal.

CICR

Les routes maritimes présentent elles aussi des différences : les routes de la Méditerranée centrale et de l'Atlantique sont bien plus vastes et périlleuses que celle de la Mer Egée par exemple. Les taux d'identification seront également supérieurs si un bateau a été secouru avec des survivants, que pour des corps isolés retrouvés sur les côtes. Ceci explique en partie le taux faible d'identification pour l'Italie.

Enfin, la capacité des familles de migrants portés disparus à pouvoir contacter les autorités et connaître les démarches administratives nécessaires joue un grand rôle dans la possibilité d'effectuer une identification formelle. C'est le cas, par exemple, en Grèce.

 

Prévenir les disparitions, identifier les victimes, informer les familles

Cela devrait être le mantra pour prévenir et répondre à cette tragédie. A cette fin, le CICR rappelle ses recommandations principales à la fin de ce rapport. Parmi elles, la nécessité pour les Etats membres de l'Union européenne de standardiser la collecte de données, d'évaluer l'impact de leurs politiques migratoires sur le risque de disparition et de décès des migrants, et de faciliter les opérations de secours des ONG en mer. L'institution appelle également à une meilleure coordination entre tous les acteurs impliqués – Etats, Union européenne, Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ONG et communautés des migrants – afin d'identifier plus de victimes et en informer les familles.

Morgue de l’hôpital d’Alexandropouli, en Grèce. Les effets personnels des migrants décédés peuvent faciliter leur identification.

Stylianos Papardelas/CICR

Comme ce rapport le démontre, un trop grand nombre de personnes continuent à mourir en mer ; d'autres à être enterrées dans des tombes anonymes. Les familles des disparus, elles, nombreuses et éparpillées sur plusieurs continents, continuent à être plongées dans l'angoisse, incapables de faire leur deuil.

Counting the Dead - Mise à jour 2020-2021

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