En souvenir de nos trois collègues tués au Yémen
Toute la famille du CICR a été bouleversée en apprenant la mort de trois collègues, tués le 30 décembre dernier à la suite des explosions qui ont secoué l’aéroport d’Aden, au Yémen. Hamid Al-Qadami, Ahmed Wazir et Saïdi Kayiranga ont marqué ceux qui les ont connus par leur bonne humeur, leur passion pour leur travail et leur volonté d'aider les autres. Nous souhaitons leur rendre hommage en donnant la parole à leurs amis, qui nous racontent les souvenirs qu'ils garderont de nos trois collègues disparus.
Hamid Al-Qadami
Connu dans la sous-délégation de Saada pour son bon caractère et sa gentillesse, Hamid Al-Qadami avait échangé des plaisanteries avec ses collègues du CICR juste avant sol vol pour l'Inde : il leur avait demandé sur un groupe WhatsApp où il pourrait parquer sa voiture. Un collègue avait répondu avec humour : « Vends-la à un garage, il en fera de la ferraille. » Un autre lui avait suggéré de la parquer dans un hôtel. Un troisième avait dit qu'elle ferait une bonne brouette.
Hamid avait répondu : « Je n'aurais jamais dû poser la question à ce groupe ! »
Hamid était sur le point de réaliser son rêve : obtenir son doctorat dans une université indienne, grâce auquel il espérait être mieux à même de venir en aide aux personnes en détresse au Yémen.
Considéré par beaucoup comme un professeur dans la délégation, Hamid avait dû faire des sacrifices pendant des années pour obtenir ce doctorat. À un moment donné, lorsqu'il n'arrivait plus à payer ses études, il était allé travailler en Jordanie pour gagner l'argent nécessaire. Il disait à ses amis et ses collègues que quiconque avait un rêve pouvait le réaliser.
« Il évoquait avec beaucoup d'optimisme son histoire et tous les obstacles qu'il avait dû surmonter pour obtenir son doctorat », raconte son collègue Yahya Amer.
Dans sa vie privée, Hamid, âgé de 41 ans, aimait décrire les magnifiques paysages et la variété des mets indiens ; il parlait aussi de tout le travail qu'il avait dû fournir pour terminer ses études.
Au Yémen, en tant qu'agent de santé local, Hamid participait aux activités d'assistance du CICR en fournissant des articles indispensables aux migrants et aux détenus. L'année dernière, il avait apporté son soutien aux centres de quarantaine mis en place dans le cadre de la réponse au Covid-19.
« Parfois, après une longue journée, nous restions un moment à discuter ensemble. Il était optimiste quant à ses études et très fier de préparer son doctorat en Inde », se souvient Amer.
Le week-end, Hamid faisait trois heures de route pour retourner chez lui voir sa famille ; il avait six fils, ce qui en étonnait certains. « Il paraissait trop jeune pour avoir une famille aussi grande », raconte Bashir Jubran, un autre collègue.
Les amis d'Hamid sont désemparés par son décès ; ironie du sort, alors qu'il travaillait tous les jours dans des conditions dangereuses au Yémen, c'est au moment où il quittait ce pays qu'il a perdu la vie.
« Il nous manque à tous dans la sous-délégation, nous sommes profondément tristes et blessés, conclut Jubran. Nous n'arrivons pas à nous expliquer ce qui lui est arrivé, et nous honorons sa mémoire chaque fois que nous en avons l'occasion. »
Ahmed Wazir
Toujours souriant. C'est le souvenir que ceux qui ont côtoyé Ahmed Wazir gardent de lui. Au CICR, on rencontre beaucoup de gens, mais Ahmed est probablement celui qui en a rencontré le plus : en tant que membre de l'équipe des opérations aériennes, Ahmed accueillait tous ceux qui arrivaient par avion à l'aéroport d'Aden, et les saluait à leur départ.
« Il accueillait tout le monde avec un grand sourire. C'est ce que s'accordent à dire tant ses collègues mobiles que yéménites, raconte Rami Ahmed, un collègue et ami d'Ahmed. C'était sa spécialité. Il souriait en permanence, c'était formidable ; et maintenant aussi, il est en train de sourire. »
À l'aéroport, Ahmed Wazir s'occupait de la logistique liée au transport des biens et des personnes.
Un autre collègue, Rami Hussein, a fréquenté le même établissement qu'Ahmed Wazir quand il étudiait l'informatique, avant de continuer avec des études d'ingénierie aéronautique, puis de travailler comme ingénieur en aéronautique.
« Ahmed rêvait de devenir pilote, ou de voler. Il était motivé par l'exemple de ses oncles, qui étaient membres de l'équipage de Yemenia Airways, raconte Rami Hussein. Deux ou trois personnes de sa famille travaillaient dans cette industrie, et c'est d'elles qu'il avait hérité cette passion. »
« Les collègues qui ont appris qu'Ahmed faisait partie des victimes de l'attaque à Aden se sont tout de suite souvenus de son sourire », raconte Rami Hussein, qui ajoute : « C'est parce qu'il accueillait toujours les gens avec un grand sourire et qu'il avait l'air heureux de faire de nouvelles rencontres. Il était vraiment très sympathique. »
Rami Ahmed a rencontré Ahmed Wazir en 2014, lorsqu'il travaillait comme ingénieur en aéronautique pour une compagnie aérienne yéménite à l'aéroport d'Aden. Aujourd'hui, une photo d'Ahmed est accrochée à proximité de l'endroit où il a perdu la vie. Âgé de 34 ans, il avait deux jeunes garçons.
« Je me suis rendu compte qu'il aimait cet endroit, et que c'est à cet endroit qu'il était mort, conclut Rami Ahmed. Cela m'a touché. Je le connaissais, je connaissais son amour et sa passion pour l'aéroport. Il est décédé dans le lieu qu'il aimait. »
Saïdi Kayiranga
Il était de nationalité rwandaise, mais son prénom – Saïdi – signifie « heureux » en arabe. Et Saïdi était heureux quand il aidait les autres.
Après être resté deux semaines en quarantaine à son arrivée au Yémen en raison du Covid-19, il brûlait d'impatience de se rendre sur le terrain. Il était même si motivé qu'il avait demandé de prolonger son séjour afin d'avoir plus de temps pour mener son évaluation dans deux hôpitaux.
« Saïdi était passionné par son travail ; il était impatient de communiquer les résultats de son évaluation, qui révélait des failles dans deux départements, et avait proposé des solutions pragmatiques », déclare Avril Patterson, coordonnatrice santé au Yémen.
« Il voulait vraiment revenir au Yémen, car il avait identifié des besoins auxquels il pensait pouvoir répondre grâce à la formation, explique Avril. Saïdi a rejoint notre équipe en tant que technicien en radiologie, mais il est clair qu'il était aussi un humanitaire. Il se préoccupait non seulement de la machine ou du personnel, mais des patients... Même s'il n'est resté que peu de temps parmi nous, son travail va perdurer. »
Décrit comme une personne attachante et aimable, Saïdi parlait souvent de sa famille. Selon Raphael Kerio, orthoprothésiste au Yémen, il ne tarissait pas d'éloges sur sa femme, qui avait une grande influence sur sa vie et le soutenait dans ses projets.
« Saïdi était profondément triste de ne pas pouvoir être auprès de sa femme pour la naissance de leur seconde fille, à cause des restrictions liées au Covid-19 ; mais quand celle-ci, prénommée Astra-Allen, est enfin venue au monde, Saïdi a pleuré de joie », raconte Faith Mbijiwe, l'administratrice de l'hôpital rural de Bajil.
« Nous avons vécu ensemble les premiers moments d'Astra-Allen par le biais d'un appel vidéo avec son adorable mère, depuis son lit d'hôpital. [...] Il aimait tellement sa femme et sa fille que pas un jour ne passait sans qu'il parle d'elles. Il avait tellement hâte de les retrouver », ajoute Faith.
Jonathan Delchambre, ingénieur du CICR spécialisé en biomédecine, raconte : « Saïdi s'était totalement investi dans la formation et dans l'amélioration du département de radiologie de cet hôpital. Il n'était pas toujours facile de travailler dans cet établissement, mais Saïdi parvenait toujours à surmonter les obstacles de manière très diplomatique. »
Younis Elshalwi se trouvait à la délégation à Sanaa et prenait congé des collègues qui partaient pour l'aéroport ; il a aidé Saïdi à porter ses bagages, plaisantant avec lui jusqu'au dernier moment.
« Je lui ai dit : "Saïdi, es-tu Saïdi de nous quitter ? " se souvient Younis. Saïdi signifie "heureux" en arabe. Saïdi était très heureux d'apprendre que le problème qu'il avait identifié en radiologie à Bajil avait été abordé rapidement après ses recommandations – il le ressentait comme une réussite. Lorsque j'ai fermé la porte du bus du CICR, il m'a fait un signe de remerciement avec les deux mains, en esquissant un petit sourire timide et discret. »