Les soins de santé en danger : Nous avions souligné qu'il était indispensable de nous laisser travailler
L'hôpital général de Tombouctou, dans lequel Abdoul Aziz Ould Mohamed travaillait en 2012, a été la seule installation médicale à ne pas être attaquée pendant le conflit armé du nord du Mali. Dans cette interview, l'ancien coordinateur de projets d'urgence d'ALIMA nous raconte ce qui a fait la différence.
Quels ont été les principaux défis en matière de fourniture de soins de santé au Mali ? Le premier défi était clairement la sécurité physique des personnels de santé. Le manque de personnel qualifié posait aussi un problème, ainsi que le manque d'accessibilité géographique. En effet, si l'on n'a pas la possibilité d'acheminer les médicaments et le personnel sur la structure de santé dans une situation de conflit, on ne pourra pas répondre aux besoins de la population.
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L'hôpital dans lequel vous travailliez en 2012 n'a pas été attaqué pendant le conflit. Qu'est-ce qui a fait la différence ?
Une série de mesures. Tout d'abord, ce qui a été vraiment décisif pour nous a été d'avoir une bonne lecture du contexte. Il était essentiel d'identifier quels étaient les groupes en conflit et leur différents rapports de force. Nous savions alors avec qui il était indispensable de discuter pour que nos équipes et nos hôpitaux soient protégés.
Ensuite, je suis allé parler avec les différents groupes armés. Il était clair pour nous que sans l'aval des forces qui occupaient effectivement le terrain à ce moment-là, on ne pouvait pas travailler en sécurité. Auparavant, notre hôpital était officiellement reconnu par l'armée et les autorités maliennes, mais celles-ci ne contrôlaient désormais plus le territoire. J'ai donc fait appel à la hiérarchie des groupes armés pour qu'ils respectent le travail de santé, et cela a porté ses fruits. Il y a eu plusieurs tentatives de vol de l'unique ambulance restante, mais nous avons pu la sauver grâce à ce contact avec la hiérarchie du groupe concerné.
Tout ceci nous a aussi permis de déstresser le personnel de l'hôpital, de lui donner une certaine assurance quant à sa propre sécurité.
En quoi exactement consistait votre dialogue avec les différents groupes armés ?
Nous avons souligné qu'il était indispensable de nous laisser travailler. Que la situation était catastrophique et que, en tant qu'agents de santé, nous pouvions aider la population – mais que nous ne travaillerions pas au péril de notre vie. Nous leur avons aussi expliqué que s'ils avaient un blessé dans leurs rangs, ils pouvaient l'amener à l'hôpital. Il a donc été clair pour eux qu'en tant qu'organisation humanitaire, nous soignions tout le monde sans distinction d'ethnie, de religion ou autre.
Quelles précautions avez-vous prises pour garantir votre propre sécurité et celle du personnel médical ?
Pour établir un dialogue avec les groupes armés, nous sommes passés par des connaissances communes – par exemple en nous adressant aux parents d'un chef de groupe armé pour demander si nous pouvions avoir accès à lui afin de bien lui expliquer notre mission humanitaire. D'ailleurs, nous avons fait de même avec l'armée malienne pour protéger notre personnel médical. Avant chaque évacuation médicale d'une zone contrôlée par les rebelles vers une zone contrôlée par l'armée, on appelait une personne qui connaissait bien les chefs militaires. On l'informait que, par exemple, il y avait une ambulance qui quittait Tombouctou pour aller à Mopti et on lui demandait de bien informer les postes de contrôle, pour qu'ils laissent passer l'ambulance ALIMA. Le dialogue constant avec les forces rebelles et les forces armés a donc été crucial.
Avez-vous d'autres exemples de bonnes pratiques qui aident à protéger les soins de santé ?
Il est essentiel que la structure de santé reflète la pluralité ethnique de la société. Au Mali, on a diversifié le personnel de l'hôpital par rapport aux différentes communautés. Cela garantit la sécurité en permettant un dialogue même dans le chaos du conflit. En toute circonstance, un patient peut discuter avec un membre du staff qui est de sa propre communauté, que ce soit une infirmière ou un gardien.
Aussi, dans une perspective à plus long terme, il est important de sensibiliser les autorités politiques au problème des soins de santé en danger. Ce qui serait vraiment essentiel également serait d'impliquer les communautés locales elles-mêmes dans l'action sanitaire, par exemple à travers des comités incluant les leaders communautaires, pour les sensibiliser au fait qu'une structure de santé doit être respectée.