Moyen-Orient : CICR et AFD, un partenariat riche d’enseignements

Entretien avec Fabrizio Carboni (CICR) et Catherine Bonnaud (AFD)

15 décembre 2020
Moyen-Orient : CICR et AFD, un partenariat riche d’enseignements
Les donations du CICR et de l'AFD en équipements de protection individuelle sont données au HURH (Christophe Martin, Chef de Délégation du CICR au Liban, Firas Abiad, directeur de l’Hôpital Universitaire Rafik Hariri). Juin 2020. Crédits : Yara AL Chehayed/CICR

Les organisations humanitaires se confrontent de plus en plus au défi de trouver des financements et des partenariats souples répondant aux exigences de l'action contemporaine. Fabrizzio Carboni, directeur du Comité international de la Croix-Rouge pour le Proche et le Moyen-Orient, et son homologue côté Agence française de développement, Catherine Bonnaud, reviennent sur le partenariat qui lie les deux organisations au Moyen-Orient. Une expérience singulière.


Catherine Bonnaud, directrice Proche et Moyen Orient de l'Agence française de développement et Fabrizio Carboni, son homologue du Comité international de la Croix-Rouge

Quels sont aujourd'hui les enjeux au Proche et Moyen-Orient tant pour le CICR que pour l'AFD en fonction de vos mandats respectifs ?

Fabrizio Carboni (FC) : La présence du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Proche et Moyen-Orient couvre des décennies pendant lesquelles les conséquences humanitaires de la multiplication et de la chronicité des conflits armés auxquelles s'ajoutent l'instabilité et la violence interne ont été et demeurent terribles pour nombre de populations de la région.

Aujourd'hui encore, alors que le conflit syrien entre dans sa dixième année, que le conflit au Yémen est enlisé, que l'instabilité persiste dans toute la région au gré d'alliances changeantes, les capacités institutionnelles de réponse socio-économiques continuent de s'affaiblir. En outre, le paysage sécuritaire et politique ne cesse de se fragmenter tandis que les tensions se polarisent encore un peu plus. Dans ce contexte aux cercles vicieux si difficiles à briser s'invite maintenant la pandémie COVID19. Ce fléau aggrave un peu plus la situation déjà tragique de millions de personnes. Parler de résilience apparaît illusoire tant les épreuves sont rudes et les besoins colossaux.

Conformément à son mandat confié par les 196 Etats parties aux Conventions de Genève, le CICR tente depuis 1949 d'assister et de protéger toutes les personnes affectées par la guerre voire d'autres situations de violence. Son principal objectif : faire que les Etats soient à la hauteur de l'engagement pris à travers l'article premier commun des Conventions : « respecter et faire respecter en toute circonstance » le droit international humanitaire. Tenter de convaincre, promouvoir les principes élémentaires du droit, les faire connaître de tous, combattants ou non, est l'un des outils de persuasion de l'Institution. Intermédiaire neutre dans les conflits armés, le CICR fonde toute action sur la base, outre la neutralité, de deux autres principes, l'indépendance et l'impartialité.

Avec un budget total de près de 600 millions de CHF (environ 554 millions d'euros) pour le Proche et le Moyen-Orient, le CICR dispose d'une grande palette d'activités et d'opérations. La protection tout d'abord avec, par exemple l'aide apportée aux personnes en quête de nouvelles de proches portés disparus. Autre illustration de la protection, les visites régulières en détention tant en des lieux officiels qu'officieux, pour s'assurer du traitement des détenus qui doit être conforme aux dispositions du droit. En parallèle le CICR, à travers sa diplomatie humanitaire et conformément à son mandat tente d'avoir et de maintenir un dialogue confidentiel et bilatéral avec toutes les parties d'un conflit. A ceci, vient s'ajouter l'assistance, champ d'activités que le CICR partage avec d'autres organisations. Ici aussi la palette est grande : santé, eau, assainissement, sécurité économique, etc. Toutes visent à pallier l'impact dévastateur des conflits sur les populations et les infrastructures et services de base indispensables à la survie. Ces activités sont le plus souvent conduites en partenariat avec les Sociétés Nationales de Croix-Rouge et/ou de Croissant-Rouge.

Organisation d'urgence, née sur un champ de bataille il y a plus de 150 ans, le CICR n'en reste pas moins confronté, et particulièrement au proche et moyen orient, à plusieurs conflits sans fin. La violence persistante justifie qu'il maintienne ses opérations. Mais à quel moment doit-il, peut-il envisager de passer la main ? Souvent les besoins des populations et le niveau d'instabilité sont tels, qu'il se fait un devoir de rester, quitte à glisser au fil des ans de l'urgence vers la post-urgence voire le développement. Dans le jargon humanitaire cette période où tout est encore possible s'appelle le « Nexus ». Dans de telles situations, le CICR se retrouve confronté à des défis qu'il lui est difficile d'appréhender seul pour prendre en compte les attentes à long terme, le renforcement des capacités locales, le respect de la dignité des individus et des communautés.

Catherine Bonnaud (CB) : Notre partenariat avec le CICR est fondé, avant tout, sur un constat partagé des enjeux au Moyen-Orient. Aux observations d'une grande justesse de mon collègue sur les crises qui minent cette région, j'ajouterai la dimension systémique sous-jacente : les modèles politiques, économiques, sociaux et environnementaux des pays où nous intervenons s'essoufflent. La multiplication et la cyclicité des crises sont le révélateur de la faiblesse d'Etats qui peinent à y faire face de manière efficace et durable. Les institutions et systèmes de gouvernance en place n'arrivent pas à réduire les fragilités, parfois, même, ils les creusent avec un risque d'effritement du capital économique, humain, environnemental ou culturel, pourtant si riche, de cette région.

Mais comment enrayer cette spirale négative et enclencher des trajectoires de développement durable ? Quel rôle pour les partenaires extérieurs et bailleurs que nous sommes ? Ainsi, au-delà de leurs impacts ciblés et ponctuels, les projets de l'AFD dans la région visent à contribuer, quelle que soit l'échelle, à trois objectifs systémiques de long-terme. Le premier est le renforcement du lien social, entre individus et communautés, mais aussi entre citoyens et Etats. Le second est la gestion durable et inclusive des ressources et des espaces partagés, afin de créer de la collectivité là où elle fait défaut et de promouvoir le respect des biens communs tels que la biodiversité. Enfin, le troisième est le soutien à des modèles économiques plus équitables et responsables, permettant notamment aux femmes de ne plus être les premières victimes des inégalités.

Notre gène est donc celui du long terme, et nos financements doivent pouvoir s'inscrire dans le soutien à des politiques publiques, des institutions et des organisations de la société civile qui serviront de socle au développement de la région. C'est ainsi que nous définissons notre rôle d'institution financière au service des objectifs de développement durable.

Nous gérons aujourd'hui un portefeuille de près de 2 milliards d'euros sur l'ensemble de la région. Nos financements, historiquement majoritairement sous forme de prêts aux Etats, se font de plus en plus en subvention par le biais des sociétés civiles et des ONG grâce à notre initiative MINKA de réponse à la crise syrienne.

D'un côté, le CICR, seule organisation humanitaire privée au monde à disposer d'un mandat confié par les Etats et de l'autre, l'Agence Française de développement, un établissement public mettant en œuvre la politique de la France en matière de développement et de solidarité internationale. Qu'est ce qui justifie un partenariat ? CICR et AFD partagent les mêmes analyses et points de vue sur les contextes relatifs au Proche et au Moyen-Orient ?

CB : C'est justement parce que nous avons un constat commun sur la région, et que nos mandats sont différents, que ce partenariat est primordial. La région restera soumise à de fortes tensions au cours de la décennie à venir du fait des dynamiques démographiques et migratoires, de la difficulté des États à répondre aux attentes de la jeunesse, de l'absence de projet politique inclusif sur une zone marquée par des guerres répétées, des jeux d'influence de puissances tierces, d'une crise sanitaire sans précédent, et, enfin, de défis écologiques aujourd'hui sous-estimés par les décideurs politiques. Les crises sont des obstacles majeurs à notre travail de développeur de long terme et mettent en danger les acquis construits, souvent difficilement, au fil des décennies. Pourtant, il est essentiel de continuer à œuvrer pour le développement de la région.

C'est dans un tel contexte que l'articulation entre humanitaires et développeurs prend tout son sens. L'AFD est une banque de développement qui, si elle veut être adaptée au Moyen-Orient, doit pouvoir intervenir en contexte de crise, pour poser ou préserver les bases nécessaires au développement. En parallèle, il est important d'empêcher le Moyen-Orient de devenir une trappe humanitaire, où les opérateurs de l'aide internationale enchaineraient les interventions urgentes de court terme sans agir sur les racines profondes des fragilités.

Les outils, modalités d'interventions et légitimités d'un bailleur de fonds et d'une organisation humanitaire sont différents, nous ne devons pas prétendre à faire les mêmes choses mais plutôt apprendre à devenir complémentaires.
Les humanitaires peuvent préparer le terrain pour des actions plus structurantes, notamment en renforçant leurs contreparties locales. Les développeurs peuvent ensuite prendre le relai en offrant une stratégie de sortie aux humanitaires, par le biais du renforcement des capacités et de l'investissement de long terme dans les institutions locales. C'est exactement ce que nous faisons à l'Hôpital Universitaire Rafik Hariri de Beyrouth où le travail du CICR a posé les bases nécessaires au financement de l'AFD en initiant un travail de renforcement de l'accès et de la qualité soins. Les investissements de l'AFD permettent désormais d'inscrire ce travail dans la durée en finançant le développement de modèles de soins et de référencement puis en œuvrant à leur intégration au sein du système de santé publique libanais. L'accompagnement financier et technique que nous fournissons permettra, demain, au CICR de passer pleinement le relai aux équipes de l'hôpital. Le jour où une crise referait surface, la connaissance du CICR de l'institution, des acteurs et son partenariat avec l'AFD lui permettront de réinvestir rapidement le terrain si nécessaire.
En tant que bailleur de fonds, l'AFD a non seulement besoin d'opérateurs sur lesquels compter en temps de crise mais aussi de partenaires humanitaires prêts à intégrer les enjeux de long terme dès l'idéation de leurs projets, en travaillant avec les développeurs. Ainsi, forts d'un constat partagé et d'expertises complémentaires, l'AFD et le CICR peuvent œuvrer au développement durable malgré la persistance des crises et l'alternance entre moments de calme relatif et de dégradation subite.

FC : Des décennies de conflits armés et d'instabilité ont non seulement eu des effets dévastateurs sur les personnes mais elles ont profondément affecté le tissu économique et social et suffisamment affaibli les institutions publiques pour désorganiser les services essentiels aux populations. 

Le coût des conflits armés et d'autres situations de violence ne saurait se mesurer qu'à l'aune des victimes directes et des conséquences immédiates. Le CICR doit tenir compte de toutes les données, par exemple, les destructions ou mises hors service des infrastructures essentielles à la survie des populations, pour appréhender toutes les conséquences humanitaires à court, moyen et long terme de la violence armée. Ceci est d'autant plus prégnant lors conflits en zones urbaines, si souvent le cas au Proche et Moyen-Orient. Les effets dévastateurs y sont démultipliés. Aucun domaine d'activité essentielle n'est épargné : santé publique, sécurité alimentaire, accès à l'eau potable, éducation, commerce, etc. Dans cette réalité, le CICR tient également compte des difficultés voire de l'incapacité d'organisations ou d'acteurs du développement à pouvoir intervenir dans des contextes volatiles et dangereux.

Deux tiers environ des ressources du CICR au Proche et Moyen-Orient sont affectés aux besoins humanitaires découlant de crises chroniques. L'organisation a développé au fil des années une approche combinée afin de répondre aux urgences vitales tout en soutenant les infrastructures essentielles. Pour le plus long terme le CICR mise sur la capacité de résilience des structures locales. Ce travail de terrain s'articule et se planifie selon deux logiques : la première se fonde sur une action du quotidien afin de répondre aux besoins les plus immédiats, alors que la deuxième, toujours sur les principes d'action de neutralité, d'indépendance et d'impartialité, se projette à plus long terme à l'aune des attentes des populations mais aussi des autorités.

S'inscrire dans la durée demande un engagement important auprès des institutions et des structures sociales et économiques. En revanche, cette ambition ne peut pas être - ne doit pas être – perçue, comprise, comme une substitution à ces entités. Il s'agit au contraire de travailler ensemble. Les organisations de développement et les institutions financières internationales peuvent être des partenaires clés dans ces processus. Leur ambition d'engagement en zone de conflit prolongé et de fragilité doit avoir leur utilité pour accompagner le travail sur la résilience et le renforcement des systèmes et institutions fournissant des services essentiels aux populations.

La mise en œuvre d'un tel partenariat se heurte toutefois à plusieurs écueils. Par exemple, comment concilier approche partenariale et exigences du CICR dont les principes de neutralité, d'indépendance et d'impartialité ne saurait souffrir l'incartade. L'approche d'une action à long terme avec les exigences politiques et légales qui lient les acteurs du développement, en particulier celles liées aux législations anti-terroristes. Il se heurte également à une compréhension artificielle et déconnectée de ce que représente l'action humanitaire, associée le plus souvent et de manière erronée à une action d'urgence en opposition à l'action du développement, porteuse quant à elle d'objectifs à long terme. Mettre l'humain au centre et développer des actions efficaces là où le caractère cyclique et résurgent de l'instabilité met à mal le continuum théorique entre fin de conflit et reconstruction nécessite de dépasser cette catégorisation artificielle et de valoriser la complémentarité entre les deux modes d'action.

L'AFD l'a compris, ce qui se traduit dans un engagement commun au niveau global et dans des partenariats locaux au Moyen-Orient entre les deux institutions. L'opérationnalisation du fameux nexus entre humanitaire – développement est mise en œuvre ici de manière pragmatique à travers la complémentarité des modes d'actions et des expertises, dans le respect des mandats de chacun, loin des débats d'idées, et proche du terrain et de ses réalités. La mise en œuvre d'une action humanitaire neutre, indépendante et impartiale se révèle de fait un atout certain dans cette zone grise où, de la résurgence de la violence à la stabilisation, tout est possible.

 Projet CICR en Irak
Projet CICR en Irak

Comment s'est traduite la mise en œuvre du partenariat CICR / AFD au Proche et Moyen Orient ? Et pour quels résultats ?

FC : Plusieurs projets et programmes sont nés de ce partenariat et ont permis d'apporter quelques réponses à des populations touchées au Proche et Moyen-Orient mais aussi ailleurs.

En Irak, la réhabilitation de services essentiels à la population est une des priorités opérationnelles. Sur cette question l'AFD et le CICR se sont s'engagés dès le début du partenariat. Un projet d'eau et d'assainissement dans une région touchée particulièrement par la violence armée, mis en œuvre par le CICR, a permis de remettre en service le système d'adduction d'eau potable. En parallèle, le programme a visé à soutenir sur le long terme les infrastructures existantes. A terme, ce partenariat devrait conduire à un renforcement durable des capacités locales, qui contribuera à étendre l'approvisionnement en eau au bénéfice d'une population tout aussi large que vulnérable.

Au Liban, en juin 2019, partenariat et convention de financement ont été conclus entre l'AFD et le CICR. Objectif : renforcement et modernisation de l'Hôpital Universitaire Rafik Hariri (HURH). Cet établissement est bien connu du CICR qui depuis 2016 y apporte un soutien en approvisionnement continu pour les plus vulnérables et/ou victimes de conflits, le CICR partage aussi avec les équipes hospitalières, son expertise et des connaissances.

Avec l'apparition des premiers cas de COVID-19, le partenariat CICR-AFD a démontré sa valeur opérationnelle. L'HURH a été désigné dès le début de la crise sanitaire au Liban comme centre de référence dans la lutte contre la pandémie. Il est vrai que le CICR a réalisé très tôt dans le cadre du partenariat avec l'AFD, des investissements structurels considérables avec notamment la réhabilitation du service des urgences ainsi que d'infrastructures essentielles telles que l'eau, l'électricité, les ascenseurs, la buanderie, etc. Ceci a permis à l'hôpital de fonctionner à plein et d'absorber les patients COVID sans altérer les autres admissions et le fonctionnement général de l'établissement. Les prévisions à propos de la probable longévité de la crise sanitaire montrent aussi que les synergies et complémentarité entre agence de développement et une organisation humanitaire telle que le CICR peuvent s'avérer cruciales pour répondre aux crises chroniques.

La longue présence du CICR en Irak et au Liban, sa perception de neutralité et indépendance auprès des autorités et communautés locales, ainsi que notre capacité à travailler dans des contextes fragiles, ont facilité l'avancée de ces projets. De l'autre côté, nous avons beaucoup appris de l'expertise solide de l'AFD et nous sentons désormais mieux équipés pour de telles actions proches du développement.

CB : Nous observons déjà des succès très concrets sur les différentes opérations conjointes que mentionne mon homologue, notamment dans le travail crucial de conception des projets en amont.

Prenons, le cas de l'Irak. Le réseau local et le savoir-faire du CICR nous ont permis, dans un premier temps, de financer la réhabilitation d'infrastructures dans une zone à l'accès difficile et où les besoins étaient urgents. Nous avons ensuite pu faire valoir toute l'expertise de l'AFD en engageant un diagnostic du service des eaux dans cette localité pour pérenniser les impacts de l'intervention et rechercher des effets systémiques. Quelles sont les capacités des institutions locales et de quoi ont elles besoin pour être renforcées ? Comment prendre en compte le changement climatique et ses conséquences sur la disponibilité de l'eau et donc sur les investissements futurs ? Nous avons prévu de collecter les données nécessaires pour répondre à ces questions et structurer les prochaines phases de mise en œuvre. Effectuer, au sein d'un même projet, une transition préparée entre réponses aux besoins d'urgence et prise en charge des enjeux de développement est un premier succès de taille.

L'exemple de l'HURH est également riche en enseignements sur la manière de concrétiser le concept du nexus humanitaire-développement. Les équipes CICR et AFD ont élaborés ensemble une théorie du changement basée sur une série d'indicateurs de résultats, comme l'effet du projet sur la résilience économique de l'hôpital, la réduction des inégalités d'accès aux soins, la lutte contre les discriminations basées sur le genre ou encore l'adoption d'énergies renouvelables et de pratiques de consommation efficaces. Cette méthode de conception de projets, et ce type d'indicateurs, sont généralement propre au monde du développement. C'est ce qui nous permet d'évaluer nos succès et d'être redevables sur la durabilité de nos interventions. Voir une institution comme le CICR adopter cette méthode de travail, qui embarque pleinement les objectifs de développement durable qui nous sont si chers, est une autre réussite majeure.

Quelles étapes restent à franchir pour que le partenariat puisse prétendre à une efficacité maximale ?

FC : Un des défis majeurs avec ce partenariat demeure la perception qui pourrait être faite en terme politique. Une fois de plus, neutralité, indépendance et impartialité ne sont pas des postures mais bien des principes d'action. Ce sont eux qui permettent au CICR d'avoir l'accès, même le plus ténu, aux victimes des conflits armés, Il convient d'avoir toujours à l'esprit la confusion qui peut se faire dans l'esprit de certains acteurs entre CICR et AFD qui demeure l'une des branches de la politique étrangère de la France.

Un autre défi majeur vise à l'ensemble des mesures de restrictions (sanctions, contre-terrorisme, mesures anti-blanchiment, droit bancaire et financier, etc.) qui obligent des organisations de développement telles que l'AFD à adopter des stratégies de gestion des risques très conservatrices. Celles-ci limitent de fait les possibilités de partenariat avec une organisation comme le CICR. Son rôle mais aussi sa valeur ajoutée est d'apporter une réponse impartiale c'est-à-dire uniquement basée sur les besoins. Ceci est déterminant dans les contextes fragiles toujours extrêmement polarisés et fragmentés.

Afin de dépasser ces limitations, il est urgent de définir un terrain d'entente sur ces questions. Les organisations devraient pouvoir bénéficier d'exemptions sur la base d'une compréhension plus large allant au-delà que la simple urgence humanitaire.

In fine, coordination et complémentarité entre CICR et l'AFD doivent occuper une place centrale dans la mise en œuvre du partenariat. S'assurer que l'action se développe là où il y a une compatibilité entre les objectifs strictement humanitaires du CICR et les objectifs du développement durable. Bien sûr, ceux-ci, en convergence, doivent bénéficier de façon impartiale aux populations touchées. Il s'agit d'un facteur impératif à inclure dans l'équation de tout programme envisagé dans le cadre de ce partenariat.

CB : L'AFD, en tant qu'institution financière publique, a des obligations de redevabilité vis-à-vis du contribuable français, ainsi que des bénéficiaires finaux de ses opérations, auxquelles elle ne peut se soustraire. Nous devons veiller à la bonne communication et la transparence des opérations que nous finançons. Mais ce principe ne doit en aucun cas constituer un risque pour l'intégrité physique de nos partenaires qui interviennent dans des contextes difficiles. L'AFD est très attachée au respect de la neutralité du CICR, et à la sécurité de tous ses employés. Nos coopérations opérationnelles, conçues selon le respect des principes fondateurs du CICR, devront donc intégrer des protocoles de communication et de redevabilité adaptés à ce défi.

Un autre défi pour l'AFD est celui d'être assez agile pour pouvoir bénéficier pleinement de l'expertise du CICR sur les terrains difficiles. Notre ADN de bailleur de fonds est parfois peu adapté aux déplacements dans les régions en conflit. Notre perception et gestion du risque est différente. Or, si nous voulons tirer pleinement profit de ce partenariat, le travail de partage de connaissances et de prospection opérationnelle devrait nous amener à nous déplacer dans de tels contextes. Des processus de gestion du risque nous permettant de voyager aux côtés de nos collègues du CICR de devront donc être élaborés.

Enfin, ce partenariat devra savoir faire face à l'éventualité des échecs. Les opérations en nexus sont plus risquées que les actions de développement classiques. Les crises peuvent être plus longues que prévues, où revenir plus brusquement. Comment allons-nous nous prémunir de ce risque ? Notre engagement devra rester dynamique et répondre à une logique de recherche-action afin de capitaliser sur les réussites mais aussi de comprendre les revers.

Quelles perspectives à moyen terme ? Pour les deux ou trois ans qui viennent ?

FC : Le Proche et Moyen-Orient fait face à une crise profonde marquée par des années de conflits et d'empilement des fragilités. La crise du COVID-19 en exacerbe certains effets politiques, socio-économiques, etc. Ceci risque de durer. Dans beaucoup de pays, les institutions, déjà très affaiblies, risquent de l'être encore plus. Quant aux populations leurs demandes de besoins essentiels iront grandissantes.

Dans ces circonstances, le fameux nexus humanitaire et développement risque de connaître un avenir certain. Le partenariat entre CICR-AFD devrait pouvoir contribuer à pallier les défis qu'imposent la chronicité de certaines crises et conflits sans fin. Toutefois, de nombreux défis restent encore à surmonter pour qu'un tel partenariat puisse jouer de son plein potentiel auprès des personnes affectées par les conflits et les situations de violence. Il s'agit de continuer le dialogue entre le CICR et l'AFD pour consolider les projets communs, les développer définir des terrains d'entente histoire de circonscrire les mandats de chacune des deux organisations et veiller à ce qu'ils soient compris et respectés le plus scrupuleusement possible.

CB : Le CICR sera un des points d'entrée privilégiés de l'AFD dans les contextes de crises au Moyen-Orient, tant pour le partage des connaissances nécessaires à l'action en terrain difficile, que du point de vue opérationnel. L'AFD continuera de construire le portefeuille d'opérations en collaboration avec le CICR, au Liban, en Irak ainsi que sur d'autres géographies où les crises en cours ne doivent occulter la nécessité d'engager rapidement un travail de développement.

Cette collaboration étroite permettra à l'AFD de pérenniser les actions entreprises par le CICR dans le cadre des projets en commun, et évaluées positivement, en mobilisant son expertise technique au service du renforcement des capacités des acteurs publics et civils locaux, en assurant une continuité d'investissement et en maintenant un dialogue durable avec les institutions partenaires concernées. L'AFD veillera également à construire ou renforcer l'ancrage institutionnel de telles opérations et à les intégrer dans des cadres de politique publique, afin de s'inscrire dans la durée et de garantir des impacts systémiques.

Enfin, lorsque l'AFD prendra le relai du CICR, ou continuera d'accompagner des contreparties une fois le travail du CICR terminé, nous devrons tenter de préserver le lien entre ce dernier et les acteurs institutionnels afin de permettre un retour si une nouvelle crise venait à éclater nécessitant la mobilisation de nouvelles interventions humanitaires.

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