Opérations de maintien de la paix : déclaration du CICR aux Nations Unies, 2016

26 octobre 2016

Déclaration du CICR à l’Assemblée générale des Nations Unies, 71e session, Quatrième Commission. Point 56 de l’ordre du jour. Débat général sur l’étude d’ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects.

Nous sommes réunis ici cette semaine à un moment où la paix mondiale est particulièrement fragile et où se comptent par millions les victimes des multiples conflits armés, internationaux et non internationaux qui sévissent sur la planète. Les opérations de paix de l’ONU sont aujourd’hui encore l’un des outils essentiels de l’organisation pour préserver la paix et la sécurité internationales dans le monde entier.

Le CICR est tout à fait conscient des défis auxquels doivent faire face les opérations de paix de l’ONU car nous travaillons côte à côte dans de nombreux points du globe, tels que le Soudan du Sud, le Mali et la République démocratique du Congo. Nous voyons les opérations de paix se dérouler dans des situations toujours plus violentes et plus complexes, évoluant rapidement et posant de multiples défis. Nous voyons aussi le caractère toujours plus multidimensionnel de la mission à accomplir : les soldats de la paix doivent faire œuvre de médiation entre les parties qui s’opposent, fournir des services de base, promouvoir l’état de droit, s’occuper de personnes détenues et veiller à ce que les camps civils soient protégés, pour ne citer que quelques-unes de leurs tâches.

Il est indispensable de déterminer comment les opérations de paix peuvent relever ces défis et tirer le meilleur parti des efforts déployés dans l’environnement actuel, complexe et aux multiples parties prenantes. Nous pensons qu’il importe d’examiner deux questions primordiales dans le présent débat.

Premièrement, quand les soldats de la paix de l’ONU ont comme mandat de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la population civile dans leur zone d’opération, il est essentiel qu’ils veillent à faire respecter toutes les dispositions pertinentes du droit national et du droit international, droit international humanitaire (DIH) compris quand il est applicable. La complexité des opérations de paix de l’ONU ne cesse de croître, de même que l’ampleur des missions multidimensionnelles. Pour que ces besoins croissants et divers puissent être couverts, les capacités et le financement doivent évoluer au même rythme

Le CICR souhaite donc attirer l’attention sur l’importante question de la détention qui est parfois insuffisamment prise en compte et sous-financée ; les capacités – en termes de logistique, d’infrastructures et de ressources humaines qualifiées – ne sont donc pas toujours adaptées à la réalité sur le terrain. Il peut arriver qu’en cours d’opérations, les missions de l’ONU doivent recourir à la mise en détention de certains individus. Elles devraient tenir compte de cette éventualité et s’y préparer à l’avance. Les personnes mises en détention peuvent être des criminels de droit commun ou des personnes privées de leur liberté par suite de leur capture ou de leur reddition pour des raisons liées à un conflit armé en cours, certaines de ces personnes devant être transférées à la Cour pénale internationale. Le CICR reconnaît que plusieurs problèmes complexes, d’ordre pratique et juridique, peuvent alors se poser. Nous souhaitons souligner ici que les installations de détention doivent fonctionner de manière conforme aux normes internationales et au droit international en vigueur (DIH compris, quand il est applicable) ; elles doivent en outre être gérées par un personnel ayant reçu une formation et bénéficiant d’un soutien, et qui dispose des moyens nécessaires pour assurer une gestion efficace de la détention. À ce propos, nous saluons les efforts engagés par l’ONU pour mettre en place un cadre à cet effet, notamment par le biais des Procédures opérationnelles provisoires relatives à la détention dans le cadre des opérations de paix des Nations. Unies, adoptées en 2010, ainsi que d’autres procédures opérationnelles standard définies pour des contextes spécifiques. Le CICR encourage la mise en œuvre intégrale de ces règles, notamment en ce qui concerne le traitement humain de tous les détenus, l’allocation préemptive de ressources adéquates et, enfin, le respect du principe de non-refoulement lorsque le transfert de personnes détenues sous le contrôle d’une Mission des Nations Unies est envisagé. En nous appuyant sur notre expertise et notre expérience en la matière, nous abordons régulièrement avec des soldats de la paix des questions liées à détention et nous sommes prêts à les aider à se préparer par avance à gérer des situations où ils pourraient devoir procéder à l’arrestation et à la détention de certaines personnes.

Le DIH prévoit que les États et les organisations internationales telles que l’ONU veillent au respect de ses règles par les parties au conflit. En raison du dialogue qu’elles mènent avec les autorités politiques de haut niveau, ainsi qu’avec les forces armées qu’elles appuient, les Missions des Nations Unies sont particulièrement à même de remplir cette obligation, notamment quand il s’agit de promouvoir la protection des civils pendant la planification et la conduite des opérations militaires.

Faire respecter le DIH constitue une tâche difficile, dont l’exécution est conditionnée par les ressources qui sont à la disposition du titulaire de cette obligation. L’ONU doit agir avec diligence au moment de décider la manière d’encourager le respect du droit auprès des parties au conflit. Elle dispose de plusieurs options : conditionner au respect du DIH son soutien à des opérations conjointes ; dispenser une formation aux porteurs d’armes ; enquêter sur les violations du DIH ; enfin, assurer la liaison avec la population et les autorités locales. En mai, le CICR a organisé à Addis-Abeba une table ronde multipartite sur l’obligation d’assurer le respect du DIH au cours des opérations multinationales en Afrique. L’échange de vues a été franc et très fructueux, et il a contribué à améliorer la compréhension des défis communs rencontrés lors des opérations d’appui à la paix, en particulier lorsqu’il s’agit d’identifier, de prévenir et de faire cesser les violations du DIH commises par d’autres forces.

La deuxième question primordiale consiste à savoir comment les opérations de paix peuvent étendre au maximum leurs mandats en vue de protéger les civils. Nombreux sont ceux qui ont déjà apporté une riche contribution à l’examen de cette question, mais nous tenons à souligner quatre points clés.

Premièrement, étant donné que les soldats de la paix et les humanitaires travaillent de manière si proche sur le terrain, il est vital que le CICR continue d’être perçu et compris comme étant une organisation humanitaire strictement neutre, indépendante et impartiale – ce qu’il est effectivement. Tout type de confusion ou de flou entre, d’une part, le mandat politique des missions de paix et, d’autre part, les principes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge risque de compromettre notre accès aux personnes ayant besoin d’aide, et affecter la protection et l’assistance que des organisations comme le CICR peuvent apporter aux victimes de conflits armés.

Deuxièmement, nous reconnaissons que l’ensemble des personnels – militaires, politiques, humanitaires, pénitentiaires et chargés de l’application de la loi – doivent rester proches de la population qu’ils ont à protéger. Pourtant, dans certains contextes, une association étroite avec une Mission multidimensionnelle risque de mettre en danger des membres des communautés locales. Des mesures telles que la conduite d’évaluations individuelles des risques, le recours à du personnel civil pour assurer la liaison avec les communautés locales et, enfin, l’application systématique du principe consistant à « ne pas nuire » peuvent contribuer à atténuer ce risque.

Troisièmement, les communautés locales possèdent une force considérable, particulièrement manifeste en période de fragilité et d’urgence. Ni les humanitaires, ni les soldats de la paix ne devraient limiter ou empêcher l’autonomisation de ces communautés, car ce sont leurs membres qui perçoivent le mieux leur environnement et l’évolution de sa dynamique. Pour les soldats de la paix, jouer un rôle central dans la construction d’un environnement protecteur implique notamment de s’engager auprès des communautés afin de créer et soutenir des espaces au sein desquels les habitants locaux peuvent négocier. Les soldats de la paix doivent, pour cela, être présents et fournir une protection physique afin d’avoir effectivement un effet dissuasif sur la violence en cas de besoin.

Enfin, la population civile doit être protégée contre tout dommage causé par ceux qui ont reçu le mandat de la protéger. Toute forme de violence, y compris la violence sexuelle, perpétrée par une composante, quelle qu’elle soit, d’une opération de paix, en affaiblit et compromet assurément la mission. Quand des actes tels que le viol et d’autres formes de violence sexuelle sont commis dans le contexte d’un conflit armé, ils peuvent constituer des violations graves du DIH entraînant une responsabilité pénale et devant, dès lors, faire l'objet d'enquêtes approfondies et donner lieu à des poursuites. En tout temps, de tels actes sont susceptibles de constituer des violations du droit international des droits de l’homme. Dans le cadre de notre dialogue confidentiel, nous exprimons nos préoccupations quant aux allégations de violences sexuelles, y compris quant aux conséquences de ces actes pour les victimes et les communautés.

En conclusion,

Nous sommes disposés à accroître l'étendue et la profondeur des programmes de formation sur le DIH et la protection des civils que nous organisons pour les soldats de la paix, avant leur déploiement et sur les théâtres d’opérations, ainsi qu’à renforcer le dialogue que nous menons avec toutes les parties au sujet de la protection. Nous sommes prêts à nous mobiliser sur les lignes de front des conflits et auprès de tous les porteurs d’armes afin de trouver les moyens d’assurer la protection des victimes des conflits armés et le respect du DIH.

Nous serons heureux de continuer de travailler avec l’ensemble du personnel des opérations de paix, avec les pays contributeurs de troupes, de police et de personnel civil et avec le Secrétariat des Nations Unies, afin de renforcer encore davantage la coopération fructueuse que nous avons établie au fil des décennies.