Opérations de maintien de la paix, Assemblée générale des Nations Unies, 2015

06 novembre 2015

Assemblée générale des Nations Unies, 70e session, 4ème Commission. Point 56 de l'ordre du jour. Déclaration du CICR, New York, novembre 2015.

Débat général sur l'étude d'ensemble de toute la question des opérations de maintien de la paix sous tous leurs aspects.

Pendant cette année de grande transformation pour les opérations de paix des Nations Unies, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a été heureux de l'esprit d'ouverture dont il a été fait montre dans les travaux du Groupe indépendant de haut niveau chargé d'étudier les opérations de paix des Nations Unies, et dans les rapports que le secrétaire général a présentés sur ces travaux. Le CICR reste disposé à conseiller les principales parties prenantes dans ses domaines de compétence pendant la prochaine phase du processus de réforme des opérations de paix.

En tant qu'organisation impartiale, neutre et indépendante qui a pour mission de protéger les victimes de conflits armés et de leur porter assistance, le CICR est souvent présent dans les pays où des opérations de paix des Nations Unies sont conduites. Nos missions et nos mandats peuvent différer mais nos opérations humanitaires doivent faire face à des défis similaires, avec notamment des conflits qui durent plus longtemps, des environnements de plus en plus dangereux pour notre personnel et un accès toujours difficile aux personnes auxquelles nous devons venir en aide. Les opérations de paix des Nations Unies ont en outre reçu comme mandat de conduire des missions complexes et variées, dont les tâches incluent la « protection des civils », l'usage de la force, la médiation, l'état de droit et la sécurité des accès pour la fourniture des services essentiels, pour n'en citer que quelques-unes.

En ce qui concerne l'usage de la force, nous avons pu constater ces dernières années que les opérations de paix contemporaines exigent de plus en plus des forces militaires et de police qui y participent qu'elles aient recours à la force. À ce sujet, le Groupe de haut niveau a tout particulièrement insisté sur le fait que certaines interventions « robustes » confiées aux forces des Nations Unies risquaient de transformer ces forces, et la Mission tout entière, en partie au conflit armé. Les effectifs de maintien de la paix des Nations Unies – qu'il s'agisse des soldats ou des forces de police – sont aussi régulièrement appelés à effectuer des opérations de maintien de l'ordre au cours de leur mission. Le CICR rappelle à ce propos qu'il est important de clarifier et de bien comprendre le cadre juridique qui régit l'usage de la force dans les opérations de paix des Nations Unies, quel que soit le contexte dans lequel elles sont menées. Il faut en particulier déterminer quand et comment le droit international humanitaire (DIH) s'applique à une mission des Nations Unies, surtout quand il s'agit d'une mission qui a reçu un mandat « robuste ».

À ce sujet, le CICR rappelle que l'applicabilité du droit international humanitaire aux forces des Nations Unies, comme à toutes les autres forces, est déterminée par la situation objective sur le terrain, quel que soit le mandat attribué à ces forces par le Conseil de Sécurité ou le terme utilisé pour désigner la ou les parties adverses. Pour que toutes les personnes touchées par un conflit armé soient protégées, le DIH s'applique sans restriction aucune quand les conditions de son applicabilité sont remplies. La nature du conflit armé ou les causes défendues par les parties ne changent rien au fait que le DIH, quand il est applicable, va régir la participation de ces parties au conflit pendant tout le temps qu'elles y seront parties.

Le CICR veut attirer votre attention sur une question importante qui n'est pas abordée dans le rapport du Groupe de haut niveau. Il s'agit du fait que les missions des Nations Unies sont de plus en plus obligées de procéder à la détention de personnes. Il peut s'agir de criminels de droit commun ou de personnes privées de liberté par suite de leur capture ou de leur reddition pour des raisons ayant trait au conflit armé en cours, y compris de personnes devant être transférées à la Cour pénale internationale. Le CICR est conscient qu'une telle tendance soulève un certain nombre de questions pratiques et juridiques complexes. Il est pourtant important que les lieux de détention fonctionnent dans le respect des règles et des normes du droit international applicable, notamment du DIH. À ce propos, le CICR salue les efforts que les Nations Unies ont déployés pour qu'un cadre soit établi, en élaborant notamment en 2010 les « Procédures opérationnelles provisoires relatives à la détention dans le cadre des opérations de paix des Nations Unies » qui sont venues s'ajouter à d'autres règles définies pour des contextes particuliers. Le CICR encourage l'application pleine et entière de ces règles, principalement pour ce qui est du traitement humain de tous les détenus et du respect du principe de non-refoulement quand il s'agit de transférer des personnes sous le contrôle d'une mission des Nations Unies.

Pour que ces exigences soient respectées, il est également crucial que les opérations de paix des Nations Unies soient bien préparées en termes de budget, d'infrastructure, de capacité logistique et de formation du personnel. C'est aux États membres qu'incombe en tout premier lieu la responsabilité de veiller à ce qu'une formation adéquate soit dispensée en vue des opérations de paix des Nations Unies. En sa qualité de promoteur et de gardien du droit international humanitaire, le CICR continuera d'apporter son appui et ses compétences à la formation des forces de maintien de la paix de l'ONU, tant avant leur déploiement que sur les théâtres d'opération. Il insistera à ce propos sur la circulaire de 1999 du secrétaire général des Nations Unies relative au respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies. Dans les pays où la mission des Nations Unies inclut une composante pénitentiaire qui apporte son soutien aux autorités nationales, le CICR est toujours disposé à coordonner ses efforts avec ceux des conseillers des Nations Unies pour faire en sorte que les actions menées soient complémentaires, et pour discuter de la réalité contextuelle en vue d'assurer la continuité et la durabilité des actions. Le CICR considère également que les accords de transfert conclus entre les missions des Nations Unies et les États hôtes peuvent être d'excellents moyens d'assurer la protection des détenus et de garantir la légalité des transferts aux autorités locales.

De plus en plus, les missions de maintien de la paix des Nations Unies ont reçu comme mandat de prendre tous les mesures nécessaires pour protéger les civils dans leur zone d'opération, en veillant notamment à ce que les parties aux conflits respectent le DIH. Cette aspiration commune à assurer la protection des civils a été réaffirmée en tant que principe essentiel du DIH et responsabilité morale des Nations Unies dans les rapports du Groupe de haut niveau et du secrétaire général. Au vu de la réalité qu'il a observée sur le terrain, le CICR considère que ces conclusions viennent à point nommé pour que l'obligation de respecter et de faire respecter le DIH, qui figure dans l'article premier commun aux Conventions de Genève de 1949, soit plus opérationnelle. Par exemple, le rôle particulier joué par une mission des Nations Unies dans le cadre du dialogue qu'elle entretient avec les autorités politiques au plus haut niveau et les forces armées qu'elle peut soutenir, met celle-ci dans une position privilégiée qui lui permet de s'acquitter de son obligation de respecter le DIH, en particulier pour ce qui est de la protection des civils pendant la planification et la conduite des opérations militaires. La mission des Nations Unies est donc particulièrement bien placée pour exercer son influence et faire en sorte que, dans toute la mesure du possible, il soit mis fin aux violations du DIH et que de nouvelles infractions à ce droit ne se produisent pas ou plus.

Le CICR partage l'avis du Groupe de haut niveau quand il affirme que les organisations humanitaires jouent un rôle, certes complémentaire, mais néanmoins essentiel pour la protection des civils, et que dans certaines situations, une coordination rapide entre ces organisations et les forces de paix est indispensable. Il est malgré tout important de veiller à ce que cette coordination n'ait pas d'incidence sur l'indépendance et l'impartialité des actions menées par les organisations humanitaires et sur le fait que celles-ci doivent être perçues comme agissant dans le respect de ces principes. Les rôles et responsabilités propres à chacun des acteurs devraient être largement compris au sein des communautés locales où les actions sont menées.

Le CICR comprend également l'importance qui est accordée dans les rapports susmentionnés à la nécessité d'une collaboration étroite des opérations de paix avec les communautés locales. Nous comprenons que les différents intervenants, qu'ils soient militaires, politiques, humanitaires ou de maintien de l'ordre, aient besoin de rester proches des populations qu'ils veulent protéger. Mais d'un autre côté, il nous faut nous demander si, dans certains contextes, une association étroite avec une mission multidimensionnelle ne va pas exposer à des risques personnels ceux qui travaillent dans les communautés locales. Si cela devait être le cas, le principe consistant à « ne pas nuire » devrait absolument être appliqué pour atténuer de tels risques. On pourrait par exemple faire appel à du personnel civil qui serait l'interlocuteur des communautés locales.

À ce sujet, il est utile de mentionner les « Standards professionnels pour les activités de protection », que le CICR a publiés en 2013. Ces Standards, que soutiennent la plupart des organisations humanitaires et des droits de l'homme portent, entre autres, sur les relations entre les missions des Nations Unies et les organisations humanitaires. Ils donnent des orientations précieuses quant à la répartition des responsabilités et sont une référence importante pour une bonne interaction entre les différentes institutions et organisations engagées dans des activités de protection. Au stade actuel de l'examen des opérations de paix des Nations Unies, qui s'oriente vers sa phase de mise en œuvre, nous espérons que ces Standards serviront de critères dans l'élaboration et la mise en œuvre de stratégies qui auront notamment comme objectif la protection de la population civile par les missions de paix des Nations Unies.

Le CICR reste résolu à maintenir et à développer le dialogue extrêmement constructif qu'il entretient avec les Nations Unies, tant à New York que sur le terrain, sur diverses questions relatives aux opérations de paix concernant les opérations, la protection, le droit et la formation. Le CICR est également disposé à engager un dialogue ouvert et franc sur ces questions importantes avec les États membres et plus particulièrement avec ceux qui fournissent des contingents militaires et de police, ainsi qu'avec les membres du Conseil de sécurité et ceux du C-34.