Changement climatique en République centrafricaine : quelles menaces ?
Avec un réseau de 14 stations météorologiques hors d’usage ou obsolètes, la République centrafricaine a l’un des climats les moins documentés au monde. Ce pays largement vert et fertile compte pourtant parmi les plus vulnérables aux effets du changement climatique.
Pour Ibrahima Bah, ex-responsable des programmes de sécurité économique du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Bangui, les effets combinés du changement climatique et des conflits armés dans la région du Sahel et du lac Tchad se font ressentir en Centrafrique même.
Question : Quelles sont les conséquences du changement climatique sur la population centrafricaine ?
Ibrahima Bah : Le cas de la République centrafricaine montre à quel point les effets du changement climatique et de l'insécurité dans des pays limitrophes, et même au-delà, peuvent avoir des répercussions sur des communautés vivant à plusieurs centaines de kilomètres. Il faut en premier lieu retenir que la raréfaction des ressources en eau et en pâturages dans les régions du Sahel et du lac Tchad pousse de nombreux éleveurs à venir en Centrafrique avec leurs troupeaux. Pour eux, le pays est un eldorado : le climat favorable, une faible densité de population et d'énormes pâturages constituent un environnement idéal pour les bovins.
Mais ces mouvements de transhumance transfrontaliers ne sont pas ou peu régulés par les autorités. Il en résulte parfois une pression énorme sur les ressources naturelles et de vives tensions entre agriculteurs et éleveurs, que ces derniers soient étrangers ou locaux. La population, qui subit déjà les affres de la violence armée depuis 2013, demande de l'aide dans la gestion de ces tensions additionnelles.
En parallèle, le pays vit des événements climatiques extrêmes1. En 2019 par exemple, de fortes inondations à Bangui ont forcé des dizaines de milliers de personnes à abandonner leur domicile, mettant à mal leur sécurité alimentaire et contribuant aussi à l'augmentation des cas de paludisme et de choléra. Rappelons que l'accès aux soins ici est extrêmement restreint. De manière générale, on observe des saisons des pluies de plus en plus irrégulières dans le temps et en quantité. Les cultivateurs sont donc désorientés. Les calendriers agricoles traditionnels n'étant plus fiables, ils demandent qu'on les soutienne dans leur activité.
En quoi ces dynamiques de transhumance transfrontalières ont-elles exacerbé les tensions ?
IB : La transhumance et les tensions entre agriculteurs et éleveurs qui peuvent en découler ne sont pas des phénomènes nouveaux. Quand la région était stable, les couloirs de migration étaient généralement respectés, tout comme certaines règles. Par exemple, si un troupeau détruisait un champ, les chefs de village et les responsables des éleveurs trouvaient des solutions à l'amiable, notamment en suivant des barèmes de compensation. Si ce mécanisme n'aboutissait pas, on pouvait impliquer les autorités locales ou avoir recours à la justice. Les institutions jouaient leur rôle.
L'explosion de la violence armée en 2013 a participé à la dégradation des conditions de sécurité, au retrait de l'Etat dans certaines zones et à la disparition des mécanismes régulateurs. Dans le chaos, les couloirs de transhumance traditionnels n'ont plus été respectés, entrainant une concentration d'animaux à proximité des villages et des champs, ainsi qu'une concurrence accrue autour du partage des ressources et de l'espace entre agriculteurs et éleveurs.
La transhumance s'accompagne souvent de violences comme des exécutions, des violences sexuelles, la destruction des champs ou le vol de bétail.
Les affrontements intercommunautaires se multiplient. On observe une militarisation croissante de l'élevage, avec une implication renforcée des différents groupes armés qui commettent des exactions, car la transhumance est devenue une de leurs sources de revenus.
Quelles en sont les conséquences humanitaires ?
IB : Les communautés les plus directement touchées sont les agriculteurs et les éleveurs. Mais indirectement, tout le monde est concerné puisque plus de 70 pour cent de la population dépend des activités de production agricole et animale. Selon les dernières données du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire2, près de la moitié de la population est en situation d'insécurité alimentaire. Cette augmentation de la malnutrition est particulièrement notable chez les enfants, les personnes âgées et celles vivant avec un handicap. Et l'épidémie de Covid-19, en ralentissant les échanges et l'activité économique, n'a fait qu'empirer les choses : le prix des denrées alimentaires de base importés - riz, huile et sucre – est parti à la hausse.
Les populations démunies ont encore plus de mal à se nourrir.
Soulignons que d'autres répercussions négatives se font jour. La forte concentration d'animaux dans un périmètre réduit dégrade l'environnement, épuise les ressources et met à mal la santé du bétail qui dépérit ou disparaît. Au bout du compte, des modes de vie ancestraux sont menacés. Réduits à la pauvreté, nombreux sont ceux qui adoptent des stratégies de survie dommageables, comme la déforestation intensive. Cette pratique leur permet de couvrir leurs besoins en combustible, de compenser leur perte de revenus par la vente du bois de chauffe, ou de nourrir leurs animaux avec le feuillage. Ils n'ont pas d'autre choix.
Quels types d'actions sont mises en œuvre pour aider les populations ?
IB : Toute solution passe d'abord par l'amélioration des conditions de sécurité et le retour des autorités pour que les couloirs de transhumance et la pratique de l'élevage et de l'agriculture soient de nouveau régulés. Les tensions liées à la transhumance sont périodiques, les éleveurs des pays limitrophes arrivent en janvier-février et repartent en avril-mai. Les problèmes se concentrent donc sur cette période. En termes d'assistance humanitaire, il y a beaucoup de questionnements sur certaines interventions en faveur de l'élevage, puisque la transhumance est source de tensions et de violences. Mais trop peu de ressources sont allouées aux programmes visant à appuyer un processus de transhumance pacifié et à assister les populations vulnérables dans les zones concernées.
Nous encourageons également les agriculteurs à réfléchir sur certains comportements néfastes pour l'environnement et leur propre sécurité. La pratique du brûlis, par exemple, qui nécessite de vastes étendues de terre. Et les surfaces cultivables étant de plus en plus restreintes en raison de l'insécurité, il faut aller toujours plus loin pour accéder à des terres fertiles. Cela implique évidemment de prendre des risques dans un tel contexte d'insécurité. Des formations sur de nouvelles pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement sont prévues.
Enfin, davantage devrait être fait pour favoriser la cohésion sociale. C'est très important car éleveurs et agriculteurs sont très complémentaires depuis toujours.
La transhumance ne se résume pas à une recherche d'eau et de pâturages dans le cadre de phénomènes climatiques saisonniers. Elle génère une véritable dynamique d'échanges culturels, sociaux et économiques entre les populations et pays concernés. Les éleveurs vendent leurs animaux et achètent des céréales aux agriculteurs. Des alliances se créent, des mariages sont célébrés. Mais sans paix sociale, tout ceci est mis à mal.
Que fait le CICR ?
• Agriculture
- Distribution de semences améliorées à cycle court et adaptées aux conditions climatiques de chaque région.
- Formation à des techniques améliorant la production, tout en respectant l'environnement.
- Soutien à la production des semences améliorées par des groupements locaux.
- Projet de valorisation des productions agricoles par l'introduction de techniques fiables de séchage ou de conservation des produits.
• Elevage
- Campagnes de vaccination animale pour protéger le cheptel contre les maladies importées durant la transhumance.
- Formation aux techniques de vaccination, fourniture de matériel et de produits pharmaceutiques
Nous répondons aussi aux urgences en distribuant des vivres et des biens essentiels aux personnes déplacées, retournées et aux communautés hôtes.
1 Les prévisions tablent sur une hausse des températures et de la fréquence des épisodes pluvieux intenses et violents. L'indice ND-Gain, qui évalue la vulnérabilité des pays au changement climatique et à d'autres défis de portée mondiale en fonction de sa capacité à renforcer sa résilience.
2 Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) est une initiative mondiale regroupant plusieurs partenaires. Elle repose sur un ensemble d'outils analytiques et de procédures complémentaires permettant de classer la gravité et l'ampleur de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition. L'IPC a été mis au point en Somalie en 2004. Aujourd'hui, l'IPC est utilisé dans plus de 30 pays, notamment lors de crises prolongées et de situations d'insécurité alimentaire chronique.