Somalie : « Si vos bêtes meurent, vous mourez avec elles. »
La Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26), qui se tiendra prochainement à Glasgow (Royaume-Uni), doit impérativement traiter en priorité la situation des communautés touchées par un conflit. L'impuissance des éleveurs somaliens face aux changements climatiques est révélatrice de l'urgence de la situation.
Massés autour d'un petit réservoir d'eau, des centaines de dromadaires étirent leur long cou pour tenter de s'abreuver.
Impassibles malgré l'agitation ambiante, deux éleveurs puisent de l'eau pour leurs bêtes tout en chantonnant.
« Les dromadaires sont assoiffés », explique Ahmed Mohamud. Cela fait des jours qu'il marche en compagnie de cinq autres éleveurs, en quête d'eau et de pâturages.
Ensemble, ils forment une « bande de frères ». Ils sont armés et bien décidés à repousser toute menace – humaine ou animale – qui se présenterait.
Mais il est une chose, une seule, contre laquelle ils ne peuvent pas lutter et qui représente la plus grande menace pour leur mode de vie : la crise climatique.
« Il n'y a pas de nourriture, le sol est sec », constate Ahmed Mohamud.
L'éleveur de 38 ans possédait 70 dromadaires, mais 50 sont morts de faim. Les troupeaux en déclin sont monnaie courante dans cette partie du nord de la Somalie.
La terre est desséchée, parsemée de broussailles flétries par la sécheresse. À perte de vue, le paysage qui s'étire n'est qu'une palette de nuances de brun.
Mohamed Hassan Gure, un autre éleveur, a perdu la majorité de son troupeau à la suite d'un enchaînement de phénomènes : la sécheresse, les inondations et l'arrivée récente d'essaims de criquets se nourrissant de pâturages.
« Les populations rurales ont toujours été tributaires de l'élevage, explique-t-il. Si elles perdent leurs bêtes, elles n'ont plus rien. Si vos bêtes meurent, vous mourez avec elles. Impossible de survivre. »
Menaces climatiques à répétition
La Somalie connaît bien les phénomènes climatiques extrêmes – sécheresses, crues subites, précipitations irrégulières, températures élevées, cyclones, tempêtes de sable, de poussière...
Mais ce qui est nouveau, c'est la récurrence des chocs. Entre 2007 et 2016, le pays a connu de sévères sécheresses sur six années.
En 2019, le retard des pluies n'a fait que prolonger la période de sécheresse. À leur arrivée, l'intensité des précipitations et les inondations qu'elles ont provoquées ont contraint 370 000 personnes à quitter leur foyer.
Puis l'année dernière, ce furent les essaims de criquets pèlerins qui ont très gravement endommagé les cultures et les moyens de subsistance.
Cette année, 80% du pays a été touché par une sécheresse modérée à sévère en avril (OCHA). Les fortes pluies qui ont suivi ont entraîné des crues éclair dans plusieurs parties du pays, tuant des dizaines de personnes et mettant en péril des dizaines de milliers d'autres.
La nature récurrente des chocs climatiques laisse peu de temps aux gens pour se relever. Et les projections semblent indiquer que le pire est à venir.
Les températures annuelles moyennes devraient augmenter d'environ trois degrés dans toute la Somalie d'ici la fin du siècle.
Les projections laissent entrevoir une augmentation annuelle des précipitations, qui deviendront moins régulières mais plus intenses, entraînant des inondations et l'érosion des sols.
Dans un pays dont 60% des habitants vivent en zone rurale et gagnent leur vie en tant que pasteurs nomades ou semi-nomades, et où les activités agricoles représentent 65% du PIB (Banque mondiale), les changements climatiques représentent une grave menace pour les moyens de subsistance et le mode de vie des populations. Et Mohamud en est parfaitement conscient.
« Quelqu'un qui perd ses bêtes peut d'emblée demander le statut de réfugié. Voilà ce que nous nous disons, explique-t-il. Beaucoup de gens ont perdu leur troupeau et sont devenus des réfugiés. »
Alors qu'elle ne contribue aux émissions mondiales qu'à hauteur de 0,08%, la Somalie fait partie des pays du monde les plus vulnérables face aux changements climatiques (LSE).
Cette vulnérabilité n'est pas due uniquement aux phénomènes extrêmes. La Somalie est en proie à des conflits depuis des décennies – conflits territoriaux dans le nord, rivalités claniques persistantes dans le sud et le centre, et affrontements persistants entre forces gouvernementales et groupes armés.
Cette situation a fait quelque 2,9 millions de déplacés à travers le pays. Parallèlement, les conflits permanents limitent la capacité de l'État à aider les communautés à s'adapter à des catastrophes de plus en plus fréquentes et à un climat de plus en plus changeant.
« La Somalie est une parfaite illustration de ce qui se passe lorsque changements climatiques et conflits se conjuguent : les conséquences sont désastreuses », indique Abdallah Togolla, qui dirige le programme de sécurité économique du CICR en Somalie.
« Lorsque des phénomènes météorologiques extrêmes frappent plus fréquemment et plus intensément une région déjà en proie à une situation humanitaire difficile, ils ne font que l'aggraver.
« Nous avons constaté que les inondations et les sécheresses poussent les populations à se déplacer. Nous avons également vu que la lutte pour l'appropriation de ressources naturelles en baisse entraîne des violences localisées.
« Il ne fait aucun doute que la vulnérabilité face au climat est inextricablement liée à l'intensification des violences intercommunautaires, à la perte des moyens de subsistance, aux migrations internes, aux déplacements et à l'augmentation de la pauvreté. Maintenant la question est : que faire ? »
Une réalité changeante
La clé, c'est l'adaptation. Mais dans les pays enlisés dans un conflit, où les institutions sont précaires et préoccupées par les problèmes d'insécurité, les activités d'adaptation ne sont pas si faciles à mettre en œuvre.
Pour Abdallah Togolla et son équipe, les phénomènes climatiques extrêmes récurrents imposent un changement d'approche, consistant à s'écarter des secours d'urgence pour privilégier le soutien aux communautés en vue de leur adaptation à cette nouvelle réalité en constante évolution.
Par exemple, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) collabore avec des partenaires pour élaborer des semences de maïs et de sorgho plus résistantes à la sécheresse et aux parasites.
Ces semences sont distribuées à près de 60 coopératives agricoles à travers le pays, et parallèlement, des formations en agriculture sont dispensées.
Les ménages conservent 70% du rendement et les 30% restants sont redistribués à des agriculteurs plus vulnérables de leur région.
Pour soutenir les éleveurs, le CICR travaille main dans la main avec des partenaires pour introduire l'herbe de Napier dans plusieurs zones du centre-sud de la Somalie et dans des régions septentrionales.
Cette herbe peut se développer dans divers types de sols, elle améliore la fertilité des terres, empêche l'érosion et produit un fourrage de bonne qualité pour le bétail.
Par ailleurs, un programme de soins vétérinaires est mis en œuvre à l'intention de 150 communautés dans le nord du pays. Le CICR a formé des membres des communautés afin qu'ils dispensent des soins vétérinaires de base aux animaux.
Ce réseau d'agents communautaires de santé animale fait également office de système d'alerte précoce en prévenant les autorités en cas de flambée épidémique.
L'initiative la plus attrayante est sans doute un projet d'apiculture visant à aider les agriculteurs à compléter leurs revenus par la production de miel.
Par l'intermédiaire de coopératives, quelque 200 agriculteurs se sont vus attribuer des ruches neuves ainsi que des outils et des équipements de protection récents.
Parmi eux, Miriss Abdirahman, 35 ans, originaire de Bakool, est éleveur de poulet et de bétail.
« Les abeilles me permettent d'offrir un complément de revenu à ma famille, pour acheter de la nourriture ou combler d'autres besoins, notamment en matière de santé », explique-t-il.
Sur le marché, trois litres de miel se vendent 60 dollars des États-Unis.
Appel à l'action
Les problèmes auxquels les Somaliens font face sont révélateurs de la menace croissante que représentent les phénomènes climatiques extrêmes pour les populations en zone de conflit.
Alors que les dirigeants mondiaux se réuniront à Glasgow à l'occasion du Sommet sur le climat (COP26) en novembre, il apparaît clairement que les mesures climatiques doivent impérativement prendre en compte les communautés dans les États en situation de vulnérabilité.
« Il n'est pas étonnant que bon nombre des pays les plus vulnérables face aux changements climatiques se trouvent aussi dans une situation de conflit », indique Catherine-Lune Grayson, conseillère du CICR en changements climatiques et conflits.
« La fragilité engendrée par l'insécurité ne fait que renforcer les dangers liés aux changements climatiques. C'est en Somalie que cet état de fait est le plus apparent.
« À la COP26, il est impératif que la communauté internationale s'attache davantage à aider les communautés à s'adapter aux changements climatiques, parallèlement aux efforts déployés en matière de réduction des risques.
« À cette fin, une plus grande part du financement climatique doit être accordée aux pays touchés par un conflit.
« Il existe un large fossé entre le financement climatique alloué aux pays stables et la part accordée aux pays en proie à un conflit. Pour que les personnes les plus vulnérables bénéficient du soutien dont elles ont besoin, ce fossé doit impérativement être comblé. »