Ukraine : risquer sa vie pour rétablir le courant électrique dans les villages situés sur la ligne de front
Quand un conflit s'étend, les lignes de front ne font pas que diviser des communautés. Elles peuvent aussi scinder les systèmes d'approvisionnement en eau et les réseaux électriques, plongeant des familles dans l'obscurité, paralysant des hôpitaux et obligeant des écoles à fermer.
Cela fait six ans qu'Eduard Anatolievich Galgash, 47 ans, travaille pour la compagnie d'électricité de Lougansk (Lugansk Energy Association – LEO), mais jamais les conditions n'avaient été aussi difficiles.
Quand le conflit dans l'est de l'Ukraine s'est intensifié l'été dernier, le réseau électrique que la LEO entretenait dans l'ensemble de la région de Lougansk s'est trouvé endommagé. Pour pallier d'urgence le problème, M. Galgash, directeur adjoint de la compagnie, et quelque 90 autres employés ont quitté Lougansk pour se rendre de l'autre côté de la zone de combat et s'installer dans le bureau de district de Starobilsk pour gérer le système.
« Nous couvrons les zones sous contrôle du gouvernement depuis ici », explique-t-il. « Nos collègues restés à Lougansk alimentent le réseau de l'autre côté de la ligne de front. Nous sommes en contact permanent avec eux. Le réseau électrique, c'est comme les vaisseaux sanguins : on ne peut pas en couper la moitié. »
À cause d'une économie ravagée par la guerre, la LEO souffre aujourd'hui d'un manque d'effectifs. Des équipes de réparation et d'entretien risquent leur vie dans les villages situés des deux côtés de la ligne de front pour remettre en état les lignes électriques et les transformateurs dans des zones souvent infestées de mines et de munitions non explosées. Au total, six employés ont perdu la vie l'année dernière.
Des conditions difficiles
Dans le bureau de district, techniciens et ingénieurs travaillent dans des conditions difficiles, figés à leurs ordinateurs posés sur des tables en plastique blanc. Une illustration du réseau électrique aux allures de labyrinthe géant est affichée au mur dans la salle des opérations.
« À Lougansk, tout est informatisé, mais ici, nous travaillons avec un système qui a une cinquantaine d'années... » déplore M. Galgash.
Les conditions naturelles ont, elles aussi, fait leur lot de victimes. « La nuit dernière, il y a eu un violent orage, et les employés de service ont été sollicités plusieurs fois », explique le directeur adjoint. « Même les lampes de nos maisonnettes ne fonctionnaient plus », plaisante-t-il en faisant allusion au camp de vacances pour enfants où l'équipe a pris ses quartiers depuis son arrivée à Starobilsk. « C'est le seul endroit où le courant n'avait toujours pas été rétabli ce matin. »
« En aidant à réparer et à entretenir le réseau électrique et le système d'approvisionnement en eau, nous contribuons à rétablir un sentiment de normalité chez les personnes qui ont été privées d'eau et d'électricité pendant le conflit », explique Michael Shearing, le coordonnateur Eau et habitat du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Kiev. « Cela adoucit un peu l'existence des familles une fois de retour chez elles. »
Les usines et les services subissent la hausse des prix du carburant couplée à une pénurie croissante de matériel et de pièces détachées depuis que le conflit a éclaté dans l'est de l'Ukraine il y a un an. En janvier dernier, le CICR a fourni à la compagnie d'électricité les pièces et l'huile nécessaires à la réparation d'un transformateur. Deux autres transformateurs alimentant les villages situés près de la ligne de front devraient également être remplacés. Compte tenu de la fragilité du cessez-le-feu instauré depuis la mi-février, il ne faut guère attendre.
La vie dans le camp
De retour à Starobilsk, M. Galgash nous emmène visiter le camp de vacances pour enfants dans lequel logent provisoirement les employés de la LEO.
Installés au milieu d'une pinède, les maisonnettes et les jeux d'escalade colorés constituent un lieu plutôt insolite pour des ingénieurs et des directeurs davantage habitués au confort de la ville qu'à la dure vie des bois.
« Voici le dortoir que je partage avec quatre collègues », explique le directeur adjoint en ouvrant une porte et en éclairant de sa lampe les lits serrés et les objets personnels entassés. « Et là-bas, vous avez le réfectoire, où nous mangeons tous ensemble », ajoute-t-il en passant à une autre maisonnette. Interrogé sur les sujets de conversation qui animent les soirées entre collègues, M. Galgash sourit : « Le travail, surtout. Sauf quand il y a du foot à la télévision ! »
Dans la grande cuisine du camp, trois cuisinières s'affairent autour de marmites pleines d'eau.
« D'habitude, elles cuisinent pour les enfants du camp pendant les vacances d'été », raconte M. Galgash en présentant les trois femmes. « Maintenant, elles travaillent pour nous à plein temps. »
« C'est pratiquement la même chose », explique la cheffe pendant que ses deux collègues servent du thé. « Sauf que ces gaillards sont plus grands... et qu'ils mangent plus ! »
Plusieurs employées vivent également dans le camp au confort spartiate, notamment la fille de M. Galgash, qui est ingénieure.
« Nous pensons rester ici un certain temps », conclut son père. « Tout le monde aimerait bien rentrer chez lui », ajoute-t-il quelque peu mélancolique, « mais si nous voulons maintenir le réseau en état de fonctionnement, nous devrons rester ici jusqu'à ce que la situation s'améliore. Nos collègues à Lougansk sont aussi de cet avis. »