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Soudan : atteindre les personnes en détresse face à l’enlisement de la crise

Au Soudan, les civils endurent d’atroces souffrances sans perspective d’apaisement. Aucun autre conflit aujourd’hui ne force autant de personnes à se déplacer, à affronter des épreuves aussi extrêmes et à lutter chaque jour à ce point pour survivre.
A group of displaced families sits together on sandy ground in Tawila, Sudan. Several women and children gather closely, some looking toward the camera. In the foreground, a young boy stands holding a piece of paper while another child in a headscarf sits among the group. The scene reflects the difficult conditions people are facing after fleeing violence.
Familles à Tawila
Mohammed Jamal/CICR

La crise humanitaire qui ravage le Soudan est l’une des plus dévastatrices, mais également des moins médiatisées, au monde. L’éclatement du conflit en avril 2023 a contraint des familles à abandonner leur foyer dans la précipitation. Les services essentiels – hôpitaux et dispensaires, infrastructures d’approvisionnement en eau et autres infrastructures essentielles – sont perturbés, endommagés ou rendus dangereux par le conflit. Résultat, les établissements de santé ne fonctionnent plus normalement, et de nombreuses communautés sont privées de l’accès aux services essentiels. La nourriture se fait de plus en plus rare, et de nombreuses localités se retrouvent isolées pendant des semaines voire des mois.

La violence engendre également des taux extrêmes de violences sexuelles, de séparations familiales et de disparitions. De nombreuses familles ignorent ce qu’il est advenu de leurs proches. Des communautés vivent dans la crainte perpétuelle de nouvelles violences ou pertes. Ces blessures vont bien au-delà des souffrances physiques et pèseront sur la société soudanaise pendant de nombreuses années.

Les conséquences du conflit sont lourdes et immédiates. Pour avoir accès aux soins médicaux de première urgence, les distances à parcourir sont pratiquement infranchissables. Autrefois pleins de vie, les marchés sont aujourd’hui déserts ou trop dangereux. Les lignes de front bougent rapidement, ce qui empêche les familles de pouvoir s’installer dans un lieu sûr à long terme.   

C’est dans ces conditions que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), en collaboration avec le Croissant-Rouge soudanais et des partenaires locaux, s’emploie à soutenir les communautés qui paient le plus lourd tribut à ce conflit armé.  

Fournir de l’aide au Soudan nécessite d’entretenir un dialogue permanent en vue d’obtenir un accès sûr, de s’adapter aux lignes de front instables et d’atteindre les communautés dont l’existence est bouleversée par le conflit. En parallèle, le CICR s’efforce de promouvoir le respect du droit international humanitaire (DIH) et d’améliorer les connaissances des autorités et des porteurs d’armes sur les principes humanitaires et le DIH.

Notre présence au Soudan reflète à la fois l’immense ampleur des besoins humanitaires et l’énormité de la tâche consistant à alléger les souffrances là où les conditions de sécurité le permettent. Cet article expose la dure réalité des communautés soudanaises et les activités menées par nos équipes pour tenter d’alléger leurs souffrances. 

Région du Darfour

C’est au Darfour que les civils subissent certaines des conséquences les plus dures du conflit. Les flambées de violence contraignent des familles à fuir et à déserter des quartiers et des villages entiers. Bon nombre d’entre elles trouvent refuge dans des camps surpeuplés qui ne parviennent même pas à répondre aux besoins les plus élémentaires. L’accès à la nourriture et à l’eau potable est limité, les services de santé sont peu nombreux, et les personnes arrivent souvent épuisées après des jours voire des semaines de trajet, traumatisées et ignorant où s’installer en toute sécurité. 

L’action du CICR dans la région

Installée à Al-Geneina (Darfour occidental), notre équipe travaille dans une zone vaste et fortement instable. Les conditions évoluent rapidement et l’insécurité entrave régulièrement les déplacements et la planification. Une grande partie de notre action vise à porter assistance aux populations déplacées, notamment dans des zones comme Tawila (Darfour Nord). Nous distribuons des produits alimentaires de première nécessité, de l’eau et des matériaux de construction et nous fournissons un soutien financier aux familles qui ont fui en laissant tout derrière elles. 

Nous avons quitté El Fasher pour le camp de Tawila. Nous avons rencontré beaucoup d’obstacles en chemin. Des hommes armés nous ont malmenés. Des personnes ont été agressées, d’autres violées. Quand nous sommes arrivés au camp, nous avions faim et soif et nous manquions de tout. Grâce à Dieu, nous sommes en sécurité maintenant, mais nous avons toujours besoin d’énormément de choses – des couvertures, des fournitures scolaires, une garderie, une école coranique...

Témoignage d’Oumm Salama qui a fui El Fasher en septembre avec sa famille
ICRC
ICRC

Soudan du Nord et Soudan central

Dans les États de Khartoum, du Nil et du Nord, des millions de personnes subissent la perturbation des services essentiels et l’affaiblissement des systèmes de soutien communautaire. Les hôpitaux peinent à faire face à l’afflux massif de victimes et de personnes atteintes de maladies mortelles, telles que le paludisme ou la dengue, ainsi qu’aux pénuries persistantes de fournitures. De nombreux quartiers de Khartoum sont le théâtre de combats répétés obligeant les gens à se déplacer régulièrement ou à vivre en permanence dans la peur. Les infrastructures d’approvisionnement en eau, les réseaux électriques et d’autres infrastructures essentielles ont été endommagés ou ne sont plus entretenus, ce qui accentue les difficultés pour les civils, qui vivent déjà sous une pression intense. 

L’action du CICR dans la région

Depuis son bureau à Atbara (État du Nil) et fort de sa présence croissante à Khartoum, le CICR soutient les autorités sanitaires à l’hôpital universitaire d’Atbara, où son équipe chirurgicale prend en charge les personnes blessées dans les combats. Le CICR collabore également avec les services des eaux de l’État de Khartoum pour permettre aux principales stations d’approvisionnement de continuer de fonctionner afin que des millions de personnes continuent d’avoir accès à l’eau potable malgré l’énorme pression qui pèse sur les infrastructures essentielles. À Khartoum, le CICR soutient les autorités sanitaires et les services de médecine légale ainsi que le Croissant-Rouge soudanais pour assurer une gestion digne des dépouilles. Le CICR fournit des conseils sur les techniques d’identification, la manipulation et le stockage des dépouilles, ainsi que sur le soutien aux familles. 

Notre maison a été bombardée. Mon mari est mort, et moi, j’ai été blessée : mon oreille a été arrachée, et la douleur m’empêche de dormir. Les choses ont empiré et nous n’avions aucun moyen de quitter El Fasher. Quand nous avons enfin pu prendre la route, nous avons subi des atrocités sur le trajet. Des hommes armés nous ont arrêtés à plusieurs reprises et nous ont tout pris. Je suis arrivée ici sans rien – pas de matelas, pas de couverture, rien pour mes enfants. Je suis enceinte de huit mois et je n’ai aucun produit de première nécessité pour mon accouchement. Ma mère nous aide. Nous n’avons personne d’autre.

Témoignage de Rash Ahmed Hamid Idris (El Fasher) qui a fui avec ses enfants après avoir perdu son mari

Est du Soudan

Les États de Kassala, d’Al Qadarif et d’Al Djazirah accueillent un grand nombre de familles déplacées. Arrivées avec peu d’effets personnels, elles doivent se faire une place dans un contexte humanitaire déjà surchargé. Bon nombre d’entre elles ont perdu leurs sources de revenus et parviennent difficilement à acheter les produits les plus élémentaires. Les établissements de santé rencontrent des pénuries chroniques, tandis que les épidémies récurrentes de maladies infectieuses, notamment de choléra, exercent une pression supplémentaire sur un système extrêmement précaire. 

L’action du CICR dans la région

Depuis Kassala, nos équipes fournissent une assistance financière, un soutien à l’élevage et une aide à la production agricole aux familles les plus vulnérables et aux communautés déplacées. Ces activités les aident à renforcer leur résilience et à garder leur dignité en répondant à leurs besoins essentiels en fonction de leur situation. Nous soutenons également les principaux hôpitaux, notamment les centres de traitement du choléra, en leur distribuant des fournitures médicales essentielles et des aides financières. L’objectif est de faire en sorte que les communautés dépourvues de ressources puissent continuer d’avoir accès aux services de santé essentiels.

Sud du Soudan et Soudan central

Dans les États du Nil Bleu, du Nil Blanc, de Sannar et dans certaines zones du Kordofan, les lignes de front ne cessent de bouger, et l’autorité est contestée. Dans de nombreuses zones coupées de tout, les habitants n’ont qu’un accès limité aux marchés, aux soins de santé ou aux acteurs humanitaires. Il est risqué de se déplacer et il arrive que des familles passent des mois privées d’accès régulier à la nourriture, aux soins médicaux ou à l’eau potable. Les effets conjugués des hostilités et des contraintes logistiques placent ces régions parmi les plus difficiles d’accès. 

L’action du CICR dans la région

Depuis Ad-Damazine (État du Nil Bleu), nous tentons d’atteindre ces communautés en entretenant un dialogue permanent avec toutes les parties, en tant qu’intermédiaire humanitaire strictement neutre. Lorsque l’accès le permet, nous soutenons les établissements de santé et remettons en état les principaux systèmes d’approvisionnement en eau. Nous fournissons une assistance aux familles déplacées dans des zones où aucune action humanitaire n’a été menée depuis longtemps. 

An ICRC worker sits at a small table inside a shelter made of woven branches, speaking with two women who sit opposite her. The women wear patterned headscarves, and the aid worker uses a laptop while taking notes. Sunlight filters through the gaps in the shelter walls.

L’importance de rétablir les liens familiaux

Dans toutes les régions, l’une des conséquences les plus douloureuses du conflit est la dispersion des familles. De nombreuses personnes ont dû fuir dans le chaos tandis que d’autres se sont retrouvées isolées par les affrontements ou vivent dans des zones privées de moyens de communication. Des parents recherchent leurs enfants, et des fratries attendent désespérément des nouvelles de leurs proches.

Dans le cadre de son programme de rétablissement des liens familiaux (RLF), le CICR, en collaboration avec son principal partenaire, le Croissant-Rouge soudanais, et les Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge des pays voisins, s’efforce de réunir les membres de familles dispersées. Nous aidons les gens à retrouver des proches disparus et à rétablir le contact ; nous facilitons les appels téléphoniques, enregistrons les demandes de recherche et nous employons à rétablir les liens chaque fois que cela est possible. En période de crise, ces actions sont une bouffée d’espoir et offrent un peu d’humanité. 

Notre détermination à atteindre les personnes qui ont besoin de notre aide

Malgré tous nos efforts, nous n’avons qu’un accès limité, voire parfois aucun accès, à certaines zones critiques, telles qu’El Fasher et la région de Kordofan. Notre priorité absolue est d’atteindre les personnes qui s’y trouvent. Pour y parvenir, nous devons obtenir des garanties de sécurité de la part de toutes les parties et avoir les moyens logistiques de conduire nos opérations en toute sécurité.  

Les lignes de front ne sont pas statiques. Une ville accessible telle semaine peut devenir un champ de bataille la semaine suivante, ce qui nous oblige à adapter constamment nos plans. Notre capacité à franchir ces lignes n’est pas acquise : elle se bâtit au jour le jour dans le cadre d’un dialogue permanent et confidentiel avec les porteurs d’armes, fondé sur la confiance accordée à notre action exclusivement humanitaire et impartiale.

Notre présence au Soudan – la plus vaste opération menée par le CICR en Afrique – est un engagement envers le peuple soudanais. Si la portée de nos opérations doit faire l’objet de négociations quotidiennes, notre détermination, elle, est non négociable.  

Nous continuons d’appeler toutes les parties au conflit à respecter le droit international humanitaire, à protéger les civils et à garantir que l’aide humanitaire puisse atteindre les personnes les plus affectées. Au Soudan, les besoins sont immenses. En fournissant protection et assistance à la population dans les délais les plus brefs, nous lui épargnons des souffrances supplémentaires. L’humanité ne se met pas en veille. Le peuple soudanais ne peut se permettre d’attendre.

Sudan Tawila October 2025
Assistance-in-Tawwila-Sudan
Families-in-Tawila-Sudan-October-2025
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