Haïti : La recrudescence des affrontements plonge la population dans une crise humanitaire sans horizons

En Haïti, la situation devient chaque jour plus dramatique. La violence armée s’intensifie à Port-au-Prince et dans d’autres régions, contraignant des milliers de familles à fuir leur domicile dans l’urgence. Les affrontements entre les groupes armés de la coalition “Viv Ansanm” et les forces gouvernementales plongent le pays dans une spirale de chaos, rendant l’accès aux services essentiels presque impossible.
Dans les quartiers les plus touchés, les populations manquent de tout : soins médicaux, eau potable, nourriture, sécurité. Parmi elles, de nombreux enfants, femmes, malades et blessés sont laissés sans protection, exposés à une violence quotidienne.
Depuis janvier 2024, au moins 5 600 personnes ont perdu la vie, et plus d’un million de personnes ont été contraintes d’abandonner leur foyer, selon l’ONU. La crise, déjà alarmante, s’aggrave encore depuis novembre 2024, avec l’extension des affrontements armés dans plusieurs zones, notamment à Kenscoff en février 2025 et à Mirebalais en mars 2025.

Annette, la cinquantaine, vit seule dans un site de déplacés (site d'Haitel) à Port-au-Prince. Elle vivait paisiblement à Pernier avec un membre de sa famille lorsque des groupes armés ont envahi son quartier. Sans emploi depuis plusieurs années et sans aucun autre endroit où aller, elle a été forcée de venir vivre dans ce camp de déplacés. Elle a tenu ces propos lors d'une distribution de kits d'hygiène.
L’effondrement des services essentiels
Les conséquences de cette violence sont catastrophiques. Les hôpitaux ne peuvent plus fonctionner correctement : l’Hôpital Universitaire de l’État d’Haïti (HUEH), le plus grand établissement public du pays, a été attaqué alors qu’il préparait sa réouverture. L’hôpital privé Bernard Mevs, tout comme plusieurs agents humanitaires, a également été la cible de violences. Déjà en 2024, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) indiquait que moins de 40 % des structures de santé fonctionnaient normalement dans la capitale.
Dans de nombreux quartiers, l’accès à l’eau potable devient un défi quotidien, voire un danger mortel. Les habitants doivent souvent risquer leur vie pour aller chercher de l’eau, car certains points d’approvisionnement sont situés dans des zones affectées par des affrontements armés. Les fournisseurs d’eau, publics comme privés, hésitent à livrer dans ces quartiers à cause des risques d’attaques.
“Tous les besoins sont urgents”, alerte Marisela Silva Chau, Cheffe de Délégation du CICR en Haïti. “Les services de base sont à l’arrêt : les écoles ferment, le système de santé s’effondre et trouver de la nourriture ou de l’eau devient un véritable calvaire, aussi bien pour les populations déplacées que pour celles qui restent dans ces zones meurtries.”

Un contexte aggravé par les épidémies et les violences sexuelles
La crise humanitaire ne se limite pas aux pénuries. Haïti est également confronté à une résurgence alarmante du choléra : en mars 2025, 200 cas ont été signalés à Cité Soleil, un quartier affecté par une violence armée prolongée, ainsi que dans plusieurs camps de déplacés autour de la capitale.
L’éducation est elle aussi en péril : au moins 200 écoles ont été détruites entre 2024 et 2025. D’autres sont occupées par des familles déplacées, qui n’ont nulle part où aller. Des centaines de milliers d’enfants sont ainsi privés d’enseignement, un facteur qui risque d’accentuer encore plus l’instabilité à long terme.
Autre drame silencieux : l’explosion des violences sexuelles. En janvier 2025, l’ONU a signalé une augmentation de 1 000 % des cas de violences sexuelles sur les enfants. Sans accès à des structures de soutien adapté, les victimes se retrouvent livrées à elles-mêmes, dans un climat de terreur et d’impunité.
“La flambée de la violence et les attaques incessantes ont un impact psychologique dévastateur”, poursuit Marisela Silva Chau. “Il est urgent de prévenir les violences sexuelles, d’assurer la protection des populations et d’offrir une prise en charge aux victimes. Un soutien psychologique est indispensable pour aider les familles et les communautés à surmonter ces traumatismes.”

Willy, âgé d'une quarantaine d'années, vit actuellement dans un site de déplacés à Port-au-Prince (Cité-Castro). Auparavant, il vivait chez lui avec sa femme et ses deux filles. Il a dû quitter sa maison et ses activités quotidiennes pour se réfugier dans ce camp. Ses deux filles ne vont plus à l'école à cause de la violence armée.
Il a tenu ces propos lors d'une distribution de kits d'hygiène et de lampes solaires à Port-au-Prince (Cité-Castro).
Un engagement humanitaire malgré des conditions extrêmes
Face à cette catastrophe, le Comité International de la Croix-Rouge et la Croix-Rouge Haïtienne restent mobilisés pour venir en aide aux populations les plus touchées. En 2025, selon OCHA, 6 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence, un chiffre qui continue d’augmenter.
Pour répondre à cette crise, le CICR a mis en place en 2024 des actions concrètes :
Accès aux services basiques de santé
- Etablissement de points de stabilisation médicale dans les zones affectées par la violence armée comme Boston, Simon Pelé, Christ Roi, où les évacuations médicales sont souvent difficiles.
- Formation de 600 membres (dont 250 femmes) de communautés fortement touchées par la violence armée, aux premiers secours de base afin de les outiller à bien stabiliser les blessés avant leur évacuation vers des structures de santé pour y recevoir des soins appropriés.
- Soutien aux services ambulanciers nationaux en apportant une assistance financière pour la maintenance des ambulances et pour des primes de motivation pour le personnel mobilisé pendant les pics de violence.
- Donation de produits et matériel médicaux à 10 établissements de santé de la région métropolitaine de Port-au-Prince, ainsi qu'à 3 hôpitaux, afin de réduire le coût des soins et de permettre le traitement de plus de 2,000 patients blessés par arme à feu.
- Assistance financière à l’Hôpital Universitaire de la Paix (HUP) afin de couvrir les frais de restauration de son personnel d’astreinte mobilisé 24h/24 et 7 jours/7 pour faire face à l’afflux de blessés.
- Organisation de séances de sensibilisation aux violences sexuelles auxquelles 102 membres de la communauté et du personnel hospitalier ont participé afin de mieux comprendre ce fléau et de faciliter l'échange d'informations et le référencement des cas.
- Support psychologique individuel aux membres du personnel médical travaillant dans la salle d'urgence de l'Hôpital Universitaire La Paix (HUP) et des services ambulanciers nationaux après des incidents critiques sur leur lieu de travail.
Accès à l’eau, hygiène et assainissement pour les personnes plus affectées par la violence armée, y compris les populations déplacées
- 2,6 millions de litres d’eau potable distribués à plus de 55 000 personnes à Cité Soleil, Delmas et Tabarre.
Installation de réservoirs d’eau pour stocker 10 000 litres et mise en place de dispositifs de lavage des mains pour lutter contre les maladies. - Fourniture de carburant, de chlore et d’équipements hydrauliques aux fournisseurs d’eau afin d’assurer la distribution dans les quartiers difficiles d’accès.
- Distribution de 2 000 kits d’hygiène, 2 000 bâches et 3 000 lampes solaires pour aider 2 500 familles déplacées (environ 12 500 personnes).
- Installation de lampadaires solaires sur les sites de déplacés pour améliorer la sécurité nocturne.
- Lancement de campagnes de nettoyage et d’assainissement dans 20 quartiers affectés par le déplacement des personnes pour améliorer l’hygiène et freiner la propagation des maladies.
Protection des populations les plus affectées par la violence armée
- Renforcement des capacités de la Croix-Rouge Haïtienne à comprendre et à répondre aux besoins des personnes séparées à la suite de la violence ainsi que du retour des migrants. Formation de 8 volontaires pour répondre aux besoins à Port au Prince, à Ouanaminthe, à Belladère ainsi qu’à Anse-à-Pitre.
- Engagement avec les communautés affectées pour renforcer leurs mécanismes de résilience tout en répondant à leurs besoins en matière d’assistance et protection.
- Organisation de 9 séances de diffusion sur la protection des droits des personnes à l’endroit des communautés, des autorités, des leaders influents dans la région métropolitaine Port au Prince.
Sensibilisation des porteurs d’armes sur le droit et la protection des personnes
- Sensibilisation de 400 officiers de la police haïtienne sur le respect des droits humains dans leurs opérations.
- Formation de 140 officiers internationaux (Kenya, Jamaïque, Bahamas, Belize) déployés en Haïti dans le cadre de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité.
- Rappel aux groupes armés des principes d’humanité pour garantir la protection des populations, des communautés et de la mission médicale.
Coopération avec la Croix-Rouge Haïtienne
- Soutien aux services d’ambulance, ayant permis de prendre en charge 900 patients, dont 170 victimes de violences armées.
- Distribution d’aide humanitaire (kits d’hygiène, bâches, lampes solaires) à 500 familles déplacées.
- Formation de 80 volontaires de la Croix-Rouge aux premiers secours en situation de violence
Dans un contexte aussi instable, le CICR poursuit sans relâche ses opérations pour garantir un accès à l’eau, aux soins, à la nourriture et à la protection des populations les plus vulnérables.
“Notre réponse reste neutre et impartiale”, conclut Marisela Silva Chau. “L’urgence est de protéger les populations les plus affectées par la violence armée et de garantir l’accès aux services essentiels.”
