Ouganda : une grossesse assombrie par le VIH, et malgré tout, un sourire

15-05-2008 Éclairage

Margret Achieng est séropositive pour le VIH, et elle va bientôt accoucher. Grâce à un programme mis en place avec le soutien du CICR, son enfant ne devrait cependant pas être infecté. Récit de Iolanda Jaquemet depuis le nord de l’Ouganda.

     

    ©CICR/P. Yazdi      
   
    Camps de Bibia pour déplacés internes – district d'Amuru. Margret Achieng porte dans ses bras sa fille de quatre ans, Grace Apio. Margret Achieng est une des bénéficiaires du centre de santé local, qui jouit du soutien du CICR.      
        Margret Achieng * ne se souvient que trop bien du jour où l’infirmière lui a annoncé qu’elle était séropositive. Cette jeune femme de 23 ans venait de se soumettre à un test de dépista ge des femmes enceintes, introduit peu de temps auparavant par le centre de soins de santé de Bibia, un des établissements médicaux soutenus par le CICR dans le nord de l’Ouganda. « Cette nouvelle m’a beaucoup attristée », dit-elle en jouant nerveusement avec un bout de ficelle bleue.

Pas loin de là, à l’entrée d’une hutte, sa belle-mère prépare du manioc, tandis qu’un couple de canards passe en se dandinant. Grace Apio *, 4 ans, la fille de Margret, court joyeusement autour de la hutte.

C’est dans cet énorme camp de Bibia pour personnes déplacées, situé à juste 7 km de la frontière soudanaise, que Margret a grandi. Au plus fort du conflit entre l’Armée de résistance du Seigneur et le gouvernement ougandais, le centre de santé avait même dû fermer ses portes. Les membres survivants de la famille de Margret s’étaient réfugiés dans ce camp, après que son père, son oncle et sa tante eurent été tués. Elle était alors très jeune. « Je n’ai rien connu d’autre et je n’ai pas de point de comparaison ; tous mes souvenirs sont liés à ce camp. »

     
 
   
Les « mama kits » font un tabac

    Un lame de rasoir stérile, du coton, du désinfectant, une jolie pièce d’étoffe dont la mère se ceindra après l’accouchement et, le plus important, une serviette éponge de qualité, tel est le contenu des « mama kits », ces assortiments que le CICR distribue aux centres de santé qu’il soutient. « Le but recherché est de garantir des accouchements en toute sécurité et dans de bonnes conditions d’hygiène », explique la collaboratrice du CICR Florence Aneko Ogwang. Dans ce sens, la lame de rasoir stérile pour couper le cordon ombilical est essentielle : à la maison, le cordon est souvent coupé au moyen d’un couteau ou d’un rasoir sale, ce qui accroît le risque d'infection postnatale.

    Toutefois, ce que les mères apprécient par-dessus tout, ce sont les serviettes moelleuses et les savonnettes. « Un savon comme celui-ci coûte 2 500 shillings ougandais (1,60 dollar US), une somme que la plupart des mères de cette région ne peuvent se permettre de dépenser. En plus, avec cette savonnette, on pourra faire la toilette du bébé pendant deux mois », précise Florence Ogwang. Dans un pays qui, avec une fécondité de 6,7 enfants en moyenne par femme, a un des taux de natalité les plus élevés au monde, il est indispensable que les femmes puissent accoucher sans risque.

    Bien que, dans le nord de l’Ouganda, la majorité des femmes accouchent toujours à la maison, la proportion des naissances dans des centres de santé augmente progressivement. Des établissements de meilleure qualité, comme les maternités que le CICR construit ou remet en état, constituent un facteur d’attraction. Les « mama kits » en sont un autre. Au centre de santé d’Arum, Samson Ocaya, responsable de l’établissement, se souvient : « Au début, seules quelques rares femmes venaient accoucher ici. Petit à petit, cependant, leur nombre s’est accru et, le mois passé, nous avons eu 67 naissances au centre. Nos sages-femmes n’ont plus le temps de dormir ! »

    À la maternité d’Arum, Grace Akot récupère sur un lit recouvert de la feuille de plastique jaune vif distribuée par le CICR, son bébé de trois heures dans les bras. À 24 ans, cette jeune femme vient de donner naissance à son troisième enfant. « C’est la première fois que j’accouche hors de chez moi. Je sais que c'est plus sûr. Et puis, c'était chic de recevoir un "mama kit". »      
       
©CICR/P. Yazdi 
   
Grace Akot avec son fils né trois heures plus tôt à la maternité d’Arum, qui est soutenue par le CICR.      
         

  Un traitement simple met les bébés à l’abri du VIH  

Alors que sa grossesse était déjà avancée, Margret s’était rendue au centre de santé pour subir un examen et se faire vacciner, et pour recevoir « la moustiquaire qu’on donne aux femmes enceintes, ainsi qu’à leurs maris, lorsque ceux-ci acceptent de les accompagner ». À cette occasion, elle avait fait un test volontaire de dépistage du VIH, qui lui avait été proposé dans le cadre de la politique nationale de santé. Lorsqu’elle a appris le résultat, elle a demandé à son mari de se faire tester à son tour, mais il a refusé.

Toutefois, grâce à un traitement relativement simple, son enfant a de grandes chances de ne pas être infecté. « Afin d’éviter de transmettre le virus à leur nouveau-né, ces femmes doivent prendre une dose de niverapine quelques heures avant l’accouchement », explique Florence Aneko Ogwang, responsable des programmes de santé reproductive du CICR à Gulu. Quant au bébé, on lui administrera un sirop à base de le même substance au cours des 72 heures suivant la naissance. »

Les professionnels de la santé se battent, au dire de nombreuses sages-femmes, pour convaincre toutes les femmes qu’ils peuvent, et ce, indépendamment de leur statut sérologique, d’aller accoucher dans les centres de santé. Lorsque cela n’est pas possible – si les futures mères entrent en travail la nuit, alors q ue les gens n’osent pas sortir, ou pour toute autre raison –, les femmes séropositives reçoivent une dose de nivarepine qu’elles conservent chez elles, et on leur explique qu’elles doivent absolument présenter leur bébé au dispensaire dans les 72 heures.

Un autre problème se pose : théoriquement, les mères infectées ne devraient pas allaiter leur bébé, car leur lait peut transmettre le virus. « Mais, explique Florence Ogwang, en raison du niveau de pauvreté que l’on trouve dans cette région, elles n’ont pas vraiment d’autre choix. » En outre, le risque que le nouveau-né contracte une diarrhée mortelle à cause de l’eau contaminée utilisée pour préparer le lait maternisé est, en réalité, plus élevé que celui que sa mère lui fait courir en l’allaitant.
 

  Bien peser les risques  

« En guise de compromis, nous conseillons aux jeunes mamans d’allaiter pendant quatre mois, puis de passer à une alimentation exclusivement solide », ajoute Florence Ogwang. Dès lors, il s’agira de ne plus mélanger les aliments : en cas de diarrhée due à des aliments solides, l’inflammation des intestins qui en résulte favorise la transmission du VIH contenu dans le lait maternel.

Axé sur le dépistage et le traitement, le projet « Prévention de la transmission mère-enfant » (PTME) a récemment été mis en route dans trois des quatorze centres de santé que le CICR soutient dans le nord de l'Ouganda. Deux autres devraient s’y associer prochainement.

Margret Achieng peut désormais mettre son enfant au monde d’un moment à l’autre. « On m’a dit d’aller accoucher au centre de santé, et je suivrai le conseil. Aujourd’hui, j’ai accusé le coup et je suis plus rassurée qu’au début. L’infirmière m’a expliqué que grâce à ce médicament, mon enfant allait être séronégatif. » Et lorsqu’on lui demande si elle aimerait avoir un garçon, après Grace Apio, elle répond avec un large sourire qui illumine son beau visage : « Je prendrai ce que Dieu me donne. »

  * Noms fictifs