Singapour : un jeune couple uni par les liens du mariage et par sa mission humanitaire

10-04-2014 Interview

Rares sont les couples qui passent leurs premières semaines de mariage à 65 kilomètres l'un de l'autre. C’est pourtant ce qu'ont fait deux médecins volontaires de la Société de la Croix-Rouge de Singapour envoyés cette année à Samar (Philippines) dans le cadre d’une opération du CICR, dix jours seulement après s’être dit « oui ». Les docteurs Chin Siang Ong et Sheryl Ang n’ont qu’un conseil à donner aux volontaires du corps médical dans les zones frappées par des catastrophes naturelles : « Consacrez-vous entièrement à vos patients. »

Le Dr Sheryl Ang en visite sur le lieu de travail du Dr Ong Chin Siang. 

Unité de soins de santé primaires de Balangiga, Samar, Philippines.
Le Dr Sheryl Ang en visite sur le lieu de travail du Dr Ong Chin Siang.
© Société de la Croix-Rouge de Singapour / S. Ang

Entretien avec les jeunes mariés à Kuala Lumpur à l'issue de leur mission.

Pouvez-vous nous décrire brièvement votre mission ?

Chin Siang – La mission faisait partie de l'opération conjointe menée par le CICR et la Croix-Rouge philippine à la suite du passage du typhon Haiyan (ou Yolanda, comme il est appelé aux Philippines). Elle s'est déroulée en janvier sur 23 jours. Nous avons tous les deux travaillé en tant que médecins volontaires sur l'île de Samar, mais à 65 kilomètres de distance. Sheryl était postée à l'hôpital des urgences de Basey, soutenu par la Croix-Rouge de Norvège, tandis que je travaillais à l'unité de soins de santé primaires de Balangiga, soutenue par la Croix-Rouge finlandaise.

L'hôpital des urgences de Basey possède un bloc opératoire, un service des urgences avec du personnel infirmier, des appareils de radiographie et des laboratoires de base. L'unité de soins de santé primaires de Balangiga est un dispensaire en milieu rural dirigé par une équipe composée de deux médecins, de sages-femmes et de personnel infirmier pouvant pratiquer des accouchements et des soins de base, comme panser les blessures ou faire des points de suture. L'unité organise aussi le passage de dispensaires mobiles dans des zones rurales et des villages difficiles d'accès (les « barangays »). Les deux structures sont constituées de tentes de fortune installées sur des terrains de basketball intérieurs.

Qu'est-ce qui vous a poussés à devenir volontaires de la Croix-Rouge de Singapour ?

Chin Siang – Après avoir entendu parler des dégâts causés par le typhon Haiyan aux informations, nous avons tous les deux décidé d’apporter notre aide. Ayant déjà effectué une mission avec la Croix-Rouge de Singapour durant le séisme qui avait secoué Bohol en octobre 2013, j'avais déjà eu des contacts avec l'organisation. J'étais libre de partir, car mon employeur hospitalier, MOH Holdings, m'avait déjà donné son accord pour prendre deux mois de congé sans solde après mon service militaire à Singapour.

Nous voulions aussi faire quelque chose de spécial après notre mariage, qui avait eu lieu le 28 décembre. Rien n’avait plus de sens pour nous que de donner de notre temps aux victimes du typhon Haiyan, de mettre nos compétences médicales à leur service et d’appuyer les efforts déployés au niveau local en matière de soins de santé.

Quelle était votre plus grande préoccupation avant le départ ?

Le Dr Ong Chin Siang examine une fillette à un dispensaire mobile installé dans l'église à moitié en ruines du barangay de Santa Rosa. 

Balangiga, Samar, Philippines.
Le Dr Ong Chin Siang examine une fillette à un dispensaire mobile installé dans l'église à moitié en ruines du barangay de Santa Rosa.
© Croix-Rouge finlandaise / R. Syed

Chin Siang – Je me suis préparé en me documentant sur la catastrophe, afin de mieux cerner les différents types de cas que nous aurions à traiter ainsi que la zone de déploiement et les détails de la mission. Je me suis également replongé dans mes vieilles notes sur la langue tagalog (philippine), que j'avais apprise avec du personnel infirmier philippin à l'hôpital universitaire national de Singapour.

J'ai aussi préparé mes instruments et acheté un petit stock de médicaments ainsi que plusieurs ouvrages sur la médecine en milieu rural, la médecine d’urgence et la pédiatrie, au cas où j'aurais besoin d'informations sur des maladies rares.

Quelles ont été les difficultés une fois sur place ?

Chin Siang – La mission à Samar a été plus longue que celle que j’avais effectuée à Bohol, qui avait duré une semaine. Mon épouse et moi étions loin l’un de l’autre. Balangiga se situe dans une zone rurale reculée, à trois heures environ de Tacloban. Les toilettes n'étaient vidées que tous les cinq ou sept jours, et il fallait se laver à l'eau froide et manger des aliments secs (lyophilisés). Le réseau mobile et la connexion à Internet fonctionnaient au mieux par intermittence. À cause des mauvaises conditions météorologiques – des pluies incessantes les premiers temps –, nous avions du mal à faire sécher nos vêtements. Vous imaginez notre joie quand le soleil a fait son apparition à la fin de la deuxième semaine !

Quel est votre souvenir le plus mémorable ?

Le Dr Sheryl Ang lors de sa tournée du matin. 

Hôpital des urgences de Basey, Samar, Philippines.
Le Dr Sheryl Ang lors de sa tournée du matin.
© Société de la Croix-Rouge de Singapour / C. Ong

Chin Siang – Une fillette de neuf ans est arrivée un soir tard à l'unité de Balangiga, avec un rythme cardiaque de plus de 300 pulsations par minute – un rythme normal varie entre 70 et 120 – et une concentration en oxygène de moins de 70 % – alors qu’elle se situe normalement entre 95 % et 100 %. La fillette était inconsciente et avait des difficultés respiratoires. Après l’avoir réanimée à l'aide de solutions intraveineuses, d'antibiotiques et d'oxygène, je l'ai transportée à l'hôpital des urgences de Basey, où Sheryl et son équipe l’ont prise en charge. Une fois la fillette rétablie, je l'ai ramenée à Balangiga. Sheryl et moi avons énormément apprécié de travailler ensemble pour sauver cette fillette, et sa mère nous a été très reconnaissante.

Sheryl – Nous examinions aussi des patients souffrant de maladies que nous n'avions pas l'habitude de traiter à Singapour, par exemple la leptospirose, qui se transmet par le contact avec l'eau, la nourriture ou le sol contenant de l'urine d'animaux contaminés, comme les rats. Une fois, je me suis occupée d'une fillette de sept ans qui souffrait d’une hernie ombilicale importante, et donc aussi de malnutrition, depuis quatre ans. J'ai également examiné un patient atteint d’un cancer de la langue à un stade très avancé qui s'était propagé à tous les ganglions lymphatiques alentour, où la tumeur avait érodé la peau.

Que vous a apporté cette expérience ?

Chin Siang – J'ai fini par comprendre que la pratique de la médecine en milieu rural a ses limites – il faut prendre en compte les ressources locales disponibles en matière de soins de santé ainsi que les conditions socioéconomiques dans lesquelles vivent les patients. Souvent, il n'est pas possible d’effectuer des tests sanguins ou d’avoir accès à des techniques d'imagerie, ou alors le patient ne peut pas assumer le coût de tels examens. Dans ces cas-là, il faut le soigner de façon clinique en s'appuyant uniquement sur ses antécédents et en l’auscultant.

Sheryl – Pour ma part, j'ai accumulé beaucoup de connaissances, je me suis fait énormément d'amis et j’ai acquis une grande expérience. Tout d'abord, j'ai beaucoup appris sur les dégâts causés par le typhon Haiyan et les problèmes qui en ont découlé pour les Philippins en matière d'accès aux soins de santé de base. Ensuite, je me suis liée d’amitié avec d’autres volontaires à l'hôpital des urgences de Basey ; certains œuvraient pour la Croix-Rouge de Norvège et d'autres venaient d'Islande, d'Australie et de Hong Kong. Parallèlement, j'ai sympathisé avec le personnel infirmier local, des traducteurs et d'autres professionnels de santé. Enfin, je sais désormais ce qu’est le travail au cœur d'une unité de secours d'urgence, et j’ai connu des conditions de vie très différentes de celles auxquelles je suis habituée à Singapour.

Réitéreriez-vous l'expérience ? Quels conseils donneriez-vous à ceux qui voudraient remplir une mission similaire ?

Ensemble – Nous réitérerions l’expérience sans hésiter ! Il faut toujours rechercher activement de nouvelles possibilités d’évoluer et, si elles se présentent, les saisir et ne pas les laisser filer, car elles ne se représenteront peut-être pas de sitôt. Prenez le temps de faire des recherches, et informez vos supérieurs hiérarchiques dès que vous aurez pris une décision. Ils devraient vous soutenir, sauf si votre vœu nuit au traitement des patients hospitalisés ou à votre formation. Utilisez votre congé annuel si nécessaire.

Par ailleurs, chassez toute idée préconçue de votre esprit sur la mission ou les conditions de vie avant d'arriver sur le terrain. Cela vous évitera d’être déçu. Préparez-vous à parer à toute éventualité et restez concentré. Une fois sur place, utilisez les ressources à disposition pour travailler et rappelez-vous les objectifs de la mission. Et surtout, consacrez-vous entièrement à vos patients.