Pakistan : protéger les personnes détenues est une priorité

06-10-2009 Interview

La situation humanitaire dans le nord du pays demeure précaire. En plus de pouvoir porter assistance aux populations civiles touchées par la violence, il est crucial pour le CICR d'avoir accès aux personnes détenues dans le cadre des opérations militaires et de police, comme l'explique Pascal Cuttat, chef de délégation au Pakistan.

     

     
   
    Pascal Cuttat, chef de la délégation du CICR au Pakistan      
          Quelle est aujourd'hui la situation humanitaire dans la province de la Frontière du Nord-Ouest et dans les zones tribales sous administration fédérale ?  

Au cours des derniers mois, la violence dans ces deux provinces a contraint plus de deux millions de personnes à fuir de chez elles. Si la plupart ont maintenant regagné leur village d'origine, nombreuses sont celle s qui sont encore déplacées et démunies. Dans certaines parties des districts de Buner, Swat et Dir, la situation ne s'est pas stabilisée. Les gens originaires de ces régions demeurent donc dans des familles d'accueil à l'extérieur des zones affectées par la violence.

Pour les populations qui vivent toujours dans les régions où les combats continuent, le manque de sécurité, d'abri et d'accès aux soins médicaux représente les préoccupations les plus importantes. Les gens sont dépourvus de leurs moyens habituels de subsistance et survivent donc, grâce à la solidarité typique de la société pakistanaise, mais dans une grande précarité. La poursuite de la violence ne laisse aucune place à la reprise économique dans les zones affectées.

Et puis il y a la région du Waziristân, où il est difficile d'avoir une idée exacte de ce qu'est la situation des populations car la présence humanitaire y est nulle. Nous estimons qu'environ 80 000 personnes y sont aujourd'hui déplacées. Au vu du manque de garanties de sécurité pour nos équipes, l'accès à cette région reste extrêmement difficile. Cela dit, nous avons ouvert un bureau à Bakkhar, en soutien de nos activités dans la province de la Frontière du Nord-Ouest   et les zones tribales sous administration fédérale.

 
    © Reuters      
   
    À Karachi, un homme et sa petite-fille déplacés à la suite des combats dans la vallée de Swat attendent de pouvoir regagner, en bus, leur village.      
         

  À quels problèmes ceux qui parviennent à rentrer chez eux doivent-ils faire face ?  

Les difficultés de réintégration, notamment d'ordre économique, sont énormes. Souvent, les conditions propices à la reprise d'une vie normale ne sont pas encore réunies. Les paysans ne peuvent pas retourner travailler dans les champs. Des services essentiels pour la population, tels que les soins de santé, l'approvisionnement en eau et en électricité et les écoles, ont été interrompus lorsque les combats faisaient rage et ne sont pas encore partout rétablis.

   

  Y a-t-il, à cause des combats, de nouveaux mouvements de population ?  

Ponctuellement, oui. Car la situation d'une région à l'autre change beaucoup et vite. Dans le district de Swat par exemple, des gens déjà déplacés il y a plusieurs mois et rentrés chez eux depuis, ont dû à nouveau récemment quitter leurs maisons à cause des combats. Et puis il y a des régions nouvellement affectées par les hostilités, comme dans les zones tribales sous administration fédérale. Tout récemment, dans la Khyber Agency à proximité de Peshawar, des milliers de personnes ont dû prendre la route.

  Le CICR a-t-il accès à toutes les personnes détenues dans le cadre des hostilités ?  

Non. Visiter la totalité de ces personnes dans les plus brefs délais et selon nos critères habituels est une priorité pour le CICR au Pakistan. Nous nous sommes déjà mobilisés auprès des autorités afin d'obtenir cet accès le plus rapidement possible. Un nombre important de personnes a été capturé et arrêté durant l'offensive menée ces derniers mois par l'armée pakistanaise. Il est crucial que le CICR puisse visiter ces personnes là où elles sont détenues afin de vérifier leurs conditions de détention. Comme il le fait à travers le monde, le CICR souhaite pouvoir dialoguer sur ces questions de détention avec les autorités sur une base confidentielle et pouvoir intervenir rapidement comme requis.

Distribuer des vivres et de l'eau aux populations civiles, leur fournir un abri, distribuer des semences et des outils aux paysans, aider aux soins des malades et blessés, tout cela est évidemment crucial et le CICR le fait aujourd'hui au Pakistan, en étroite collaboration avec le Croissant-Rouge pakistanais. Mais les personnes détenues ont également besoin de la protection que peut apporter le CICR. Nous continuerons nos efforts pour obtenir l'accès aux lieux de détention concernés et à tous les détenus.

  L'action humanitaire neutre et indépendante telle que la pratique le CICR est-elle possible dans un contexte tel que le Pakistan aujourd'hui ?  

Face à une situation si complexe et politisée, c'est très difficile – et même dangereux. Il est d'autant plus essentiel de rappeler, d'une part, la nécessité du respect de la vie et dignité humaine en toute circonstance et, d'autre part, celle d'une action strictement humanitaire, neutre et indépendante, qui permette d'assister et de protéger toutes les personnes affectées par la violence, quelles qu'elles soient et d'où qu'elles viennent. Il faut dire et redire qu'il n'y a pas de « bonnes victimes » et de « mauvaises victimes ».