Pakistan : la vie et la survie en jeu

10-09-2010 Interview

Cinq semaines après le début des inondations qui ont frappé le Pakistan à la fin juillet – faisant des millions de victimes toujours sinistrées – Pascal Cuttat, chef de la délégation du CICR à Islamabad, évoque les priorités et quelques-uns des défis que pose l’acheminement des secours.

     
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Muzzafargarh, province du Punjab. Des familles déplacées par les inondations ont trouvé un refuge et de la nourriture dans une école. 
       

       
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Nowshera, district de Nowshera, province de Khyber-Pakhtunkhwa. Une femme et sa petite fille d'un an dans une classe d'école.  
       

       
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Azel Khel, district de Nowshera, province de Khyber-Pakhtunkhwa. Des familles déplacées dans un camp de fortune, aux conditions sanitaires désastreuses. 
       

       
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Gujrat, district de Muzzafargarh, province du Punjab. Ce vieil homme est aveugle et handicapé. Il a été secouru par hélicoptère et a été conduit dans un camp sans abri, toilettes, électricité, ni eau potable. 
       

       
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Taga Khuh, district de Muzzafargarh, province du Punjab. Des personnes déplacées dorment sur le bas-côté d'une route. 
       

       
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Muzzafargarh Hôpital du district, province du Punjab. Ce bébé de trois mois souffre de diarrhée, de vomissements et de fièvre; il reçoit des antibiothiques par intraveineuse. Le bébé et sa famille avaient été évacués suite aux inondations qui ont ravagé Gujrat. 
           

  Pouvez-vous brièvement résumer la situation qui prévaut sur le terrain dans les zones où le CICR et le Croissant-Rouge du Pakistan sont présents ?  

Ce qui est stupéfiant, réellement stupéfiant, c’est que presque cinq semaines après le début des inondations, des personnes soient encore contraintes de fuir. Des centaines de milliers de personnes au Sindh, par exemple, prennent toujours la fuite.

La décrue a lieu dans le nord – une bonne nouvelle certes – mais les pluies s’intensifient dans le sud et, de ce fait, la catastrophe perdure.

De plus, s’ajoute à cela la difficulté de venir en aide aux victimes, à cause des ponts et des routes endommagés, des contraintes de sécurité ou tout simplement en raison de l’ampleur de la tâche. Le CICR apporte son soutien à 100 000 volontaires du Croissant-Rouge du Pakistan qui distribuent des vivres, des articles ménagers et des articles d’hygiène aux personnes sinistrées. Ils accomplissent un travail fantastique mais la catastrophe est d’une ampleur sans précédent et les défis sont énormes.

  La politisation de l’aide et le manque d’accès aux zones sinistrées ont récemment été à la une des médias à cause de la situation de sécurité. Qu’en pensez-vous ?  

Nous sommes présents au Pakistan pour apporter de l’aide aux personnes touchées par les combats. Notre action consiste à venir en aide aux victimes de violences armées, sur la base de notre mandat, partout dans le monde. Pendant la seule année dernière, plus d’un million de personnes ont été déplacées par les co mbats dans la division de Malakand. Elles ont été secourues par le Croissant-Rouge du Pakistan et le CICR. Bon nombre sont toujours déplacées et nous continuons à leur apporter notre soutien. Les inondations se sont ajoutées à cela, et des dizaines de milliers de personnes souffrent à la fois de la violence armée et des inondations.

Par exemple, prenez le Baloutchistan. Le Baloutchistan est frappé par la violence armée et, aujourd’hui également par les inondations. Aider les personnes touchées dans les zones rurales du Baloutchistan, qui ont été déplacées par la violence armée et qui sont aujourd’hui durement frappées par les inondations, doit être l’une de nos priorités.

L’action du CICR est indépendante de celle de toutes les autres organisations, même si nous coordonnons notre action avec toutes les autres parties pour assurer la transparence et éviter toute duplication des efforts. Depuis le début des inondations, le CICR, agissant avec le soutien du Croissant-Rouge du Pakistan, a été en mesure de fournir des vivres et d’autres produits de première nécessité à plus d’un demi-million de victimes des inondations. Notre but est de soutenir le Croissant-Rouge du Pakistan dans les efforts qu’il déploie pour fournir une assistance d’urgence à plus de 1,4 million de personnes au cours des trois prochains mois et pour rétablir les moyens de subsistance de 350 000 personnes à long terme.

Toute tentative visant à refuser l’accès aux victimes, en menaçant d’attaquer les humanitaires ou par d’autres moyens, ne ferait qu’entraver toute action humanitaire massive alors que sévit l’une des plus grandes catastrophes naturelles dans l’histoire du Pakistan. Le CICR estime que son mandat neutre, indépendant et humanitaire est bien connu dans les zones du pays où il est présent depuis presque 30 ans et que toute tentative de mettre un terme à ses opérations pour des motifs de sécurité ne ferait qu’accroître les souffrances des victimes qui ont besoin de soutien.

S’agissant de la politisation alléguée de l’aide, permettez-moi simplement de dire que lorsque le besoin d’aide humanitaire est vital, – comme c’est le cas aujourd’hui, un besoin d’une ampleur sans précédent, dans de vastes zones du pays – tous les efforts de secours doivent consister à déployer une action purement humanitaire. Je parle des efforts de tout un chacun – des autorités, de l’armée, de la communauté internationale et des ONG locales, sans parler du soutien très généreux témoigné par des « gens ordinaires » pour aider leurs frères et sœurs démunis. La politique n’a pas sa place lorsqu’il est question de vie, voire de survie.

  Tout le monde convient que les besoins en vivres et abris sont plus qu’urgents mais quelles sont les autres priorités pour le CICR, par exemple s’agissant de la santé et de l’approvisionnement en eau ?  

Nous sommes toujours très préoccupés par la situation sanitaire. En effet, des millions de personnes déplacées n’ont pas accès à de l’eau propre et risquent donc d’être des victimes potentielles de la propagation de maladies d’origine hydrique, telles les maladies diarrhéiques, et de maladies vectorielles, comme le paludisme.

Nous sommes agréablement surpris et soulagés par l’absence d’épidémie de maladies infectieuses d’origine hydrique à ce jour mais nous restons néanmoins très préoccupés à l’idée d’être à un moment ou un autre confrontés à une telle épidémie si la situation sur le terrain ne s’améliore pas.

Le CICR adopte une approche préventive en matière de santé en approvisionnant en eau propre les communautés touchées et en leur distribuant du savon et d’autres articles d’hygiène.

Les ingénieurs hydrauliciens du CICR et des responsables sur le terrain, en commun avec les communautés locales, ont à ce jour nettoyé qu elque 75 puits contaminés au Khyber Pakhtunkhwa. Ils ont également repéré des sources d’eau propre, foré des trous, commencé à réparer les systèmes d’approvisionnement en eau et transporté par camion de l’eau à des milliers de personnes déplacées vivant dans des camps ou le long des routes autour de Dera Ismail Khan. Les volontaires du Croissant-Rouge du Pakistan, avec le soutien du CICR, ont également distribué des dizaines de milliers de bouteilles d’eau minérale aux personnes privées d’eau potable dans différentes régions sinistrées du pays.

Les mesures de santé préventives que nous avons prises comportent la mise sur pied de deux centres de traitement des maladies diarrhéiques : une à Paroa, en dehors de Dera Ismail Khan, et l’autre à Hangu. Deux autres centres de traitement des maladies diarrhéiques devraient voir le jour dans l’hôpital de district à Dera Ismail Khan et dans la ville avoisinante de Tank. Dera Ismail Khan semble être une des zones les plus sinistrées de la province de Khyber Pakhtunkhwa pour ce qui est de la diarrhée aqueuse. En effet, le centre de traitement des maladies diarrhéiques de Paroa a traité plus de 1 000 patients depuis son ouverture le 13 août. Tous les cas n’étaient toutefois pas des cas de diarrhée aigue.

On ne saurait trop souligner à quel point il importe d’adopter une perspective globale en matière de médecine qui associe des initiatives visant à améliorer la situation de l’approvisionnement en eau et la santé publique. Par exemple, nous avons pu localiser le plus grand nombre de personnes atteintes de maladies diarrhéiques dans la zone autour de Dera Ismail Khan. Lorsque nous identifions une ville ou bien un village particulièrement sinistré, nous envoyons nos ingénieurs hydrauliciens sur place pour observer l’état du système d’approvisionnement en eau et y apporter des améliorations. C’est ce qui s’est passé, par exemple, tout récemment à Mehra, une ville de plus de 50 000 habitants.

Nous avons également fourni des dizaines de milliers de paquets de sels de réhydratation orale à nos collègues médecins du Croissant-Rouge du Pakistan. L’utilisation qui a en été faite dans les unités de santé de base, dans le district de Larkana dans la province du Sindh par exemple, s’est révélée être très efficace et a évité que les personnes présentant des symptômes de diarrhée ne tombent gravement malades.

En plus du soutien que nous apportons au Croissant-Rouge du Pakistan, en distribuant notamment des médicaments et des secours à leurs unités de santé de base et leurs unités mobiles, nous fournissons aussi, sur demande, des médicaments aux hôpitaux de district et aux unités de santé de base gérées par le gouvernement.

Les infections cutanées, comme la gale, figurent au nombre des problèmes les plus courants de santé, à l’exception de la diarrhée. Alors que les eaux refluent, laissant de l’eau stagnante derrière elles, le paludisme risque de faire beaucoup de victimes s’il continue de faire chaud.

  Qu’est-ce que le CICR prévoit de faire à l’avenir, lors de la décrue et quand les personnes se prépareront à rentrer chez elles ?  

La reconstitution, ou la constitution à partir de zéro, du système sanitaire pour des millions de personnes dans les zones les plus pauvres du Pakistan occupera le gouvernement et la communauté internationale pendant des mois, voire des années. Il importe que le gouvernement et la communauté internationale déploient un effort considérable de développement et de reconstruction, mais vu l’expérience relativement faible du CICR dans ce domaine, ce n’est pas notre priorité première.

En ce qui concerne le CICR, une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui déterminera notre action dans les mois à venir. Allons-nous continuer à soutenir les unités de santé de base du Croissant-R ouge à l’avenir ? Absolument. Prévoyons-nous d’aider les communautés touchées par la violence armée et par les inondations à améliorer leurs systèmes d’approvisionnement en eau ? Absolument. Mais nous prévoyons aussi d’aider les personnes à recouvrer leurs moyens de subsistance et à redevenir autosuffisants plutôt que de rester dépendants des dons alimentaires. Nous le ferons en distribuant au moment opportun des semences, des engrais et des outils de sorte que ceux qui vivent normalement de l’agriculture puissent se relever aussi rapidement que possible.

Tenter quelque chose de plus dépasserait le cadre de notre mandat et irait au-delà de ce que nous sommes véritablement capables de faire. Et je le répète, notre priorité est double, il nous faut d’une part soutenir nos collègues du Croissant-Rouge du Pakistan et leur réseau de 100 000 volontaires, et d’autre part axer nos activités sur les régions du pays où nous sommes présents depuis des décennies au nom des victimes du conflit.



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