Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) adresse un appel à l'action à tous les États, les dirigeants et les citoyens du monde entier alors que le risque qu'une arme nucléaire soit utilisée va croissant.
L'emploi d'armes nucléaires, que ce soit dans le cadre d'un conflit régional ou opposant de grandes puissances, aurait des conséquences irréversibles et catastrophiques sur le plan humanitaire.
Si une guerre nucléaire éclatait aujourd'hui, et même si l'emploi d'armes nucléaires restait limité, aucun plan international ni aucun acteur ne serait à même de répondre de manière adéquate aux besoins des victimes. La prévention est donc la seule option responsable. Nous demandons que des efforts soient déployés sans délai pour faire en sorte que les armes nucléaires ne soient plus jamais utilisées.
Afin d'éviter une catastrophe mondiale, tous les États doivent mettre en place de façon urgente les mesures suivantes :
- Les États dotés d'armes nucléaires et leurs alliés doivent prendre des mesures d'urgence pour réduire et, à terme, éliminer le risque que de telles armes soient utilisées. Les autres membres de la communauté internationale ont tout intérêt à veiller à ce qu'il en soit ainsi.
- Les États parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires doivent saisir l'occasion offerte par la Conférence d'examen de 2020, et la réunion de son Comité préparatoire qui se tient en avril 2018 à Genève, pour opérer un changement de cap. Il est en effet temps qu'ils renoncent aux menaces d'utilisation de l'arme nucléaire et à la modernisation des armements pour se consacrer à la pleine mise en œuvre des engagements qu'ils ont pris par le passé, notamment en 2010, en faveur de la réduction des arsenaux nucléaires, de l'atténuation des risques et, plus globalement, du désarmement nucléaire.
- Les États devraient prendre les dispositions requises pour adhérer au Traité sur la non prolifération des armes nucléaires de 1968, au Traité d'interdiction complète des essais nucléaires de 1996, au Traité sur l'interdiction des armes nucléaires de 2017 et aux autres traités sur le désarmement nucléaire et la non-prolifération auxquels ils ne sont pas encore parties, ainsi que pour assurer la mise en œuvre pleine et entière de ces instruments.
Le CICR lance le présent appel alors que le risque semble s'accroître que des armes nucléaires soient utilisées à nouveau. En cette époque où les garde-fous du passé disparaissent progressivement et où des responsables politiques de premier plan n'hésitent plus à menacer d'avoir recours à l'arme nucléaire, la priorité ne semble plus tant de promouvoir la non-utilisation et l'élimination des armes nucléaires que de rendre cette utilisation possible ou plus probable.
- Alors que des incidents militaires impliquant des États dotés d'armes nucléaires et leurs alliés se produisent à une fréquence inquiétante, le danger nucléaire est peut-être encore plus grand aujourd'hui que pendant la Guerre froide.
- Le Secrétaire général de l'ONU a récemment lancé cette mise en garde devant le Conseil de sécurité : « La guerre froide est de retour [...] avec une différence, puisque les mécanismes de sauvegarde destinés à gérer les risques d'escalade qui existaient alors semblent avoir disparu. »
- Les États détenteurs d'armes nucléaires projettent de les adapter de façon à pouvoir les utiliser dans des contextes plus variés. Parallèlement, leurs systèmes de commande et de contrôle sont désormais plus vulnérables aux cyberattaques.
Le CICR ne conteste pas que tous les États, et notamment ceux qui sont engagés dans des conflits dans des régions instables du monde, font face à des défis complexes lorsqu'il s'agit d'assurer leur sécurité et celle de leurs alliés. Les conflits régionaux sont aujourd'hui inextricablement liés aux rivalités internationales et une multitude de conflits prolongés perdurent sans aucune solution politique en vue. Néanmoins, l'introduction des armes nucléaires dans ces conflits et la menace d'y recourir ne font qu'envenimer la situation, augmentant le risque d'une conflagration mondiale qui causerait des souffrances irrémédiables à la majeure partie de l'humanité. De fait, dans certains cas, la possession d'armes nucléaires et les avantages qui leur sont attribués en termes de sécurité figurent parmi les causes premières des tensions.
Nous reconnaissons aussi qu'au cours des deux dernières décennies, des mesures importantes ont été prises pour réduire le nombre d'armes nucléaires en circulation depuis la Guerre froide. Mais ces seules réductions n'atténuent pas le risque qu'elles soient utilisées au vu des faits et dangers décrits plus haut. Il est donc urgent d'engager une action concertée pour réduire le risque nucléaire, et cette responsabilité incombe au premier chef aux États dotés d'armes nucléaires et à leurs alliés. Les mesures à prendre sont bien connues et comprennent :
- l'engagement ferme de ne jamais être la première partie à utiliser l'arme nucléaire ;
- l'abaissement du seuil d'alerte opérationnelle des armes nucléaires ;
- la notification préalable des exercices militaires susceptibles d'exiger des tirs de missiles ou le recours à d'autres systèmes associés à des armes nucléaires ;
- le rétablissement de centres d'alerte précoce conjoints pour fournir des éclaircissements en temps réel sur les événements inattendus et potentiellement déstabilisants ;
- la diminution progressive du rôle des armes nucléaires dans les politiques de sécurité.
Le présent appel se fonde sur l'expérience de première main acquise par le CICR à Hiroshima et Nagasaki il y a 73 ans et sur celle accumulée par les hôpitaux de la Société de la Croix Rouge du Japon qui, aujourd'hui encore, continuent de soigner des milliers de survivants des bombardements atomiques. Cette expérience et les enseignements tirés de notre coopération avec des experts de l'environnement, des Nations Unies et d'autres organisations nous permettent de dégager les conclusions suivantes :
- Les conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire des armes nucléaires ne peuvent être limitées dans le temps et dans l'espace. Dans les mois et les années suivant le déclenchement d'une telle arme, les effets de l'irradiation, les cancers et d'autres maladies feraient davantage de victimes que l'explosion elle-même.
- Il n'existe pas à ce jour de plan international ni de capacités suffisantes pour fournir une assistance humanitaire adéquate en cas d'emploi d'armes nucléaires.
- Même l'utilisation d'une centaine d'armes nucléaires, ce qui ne représente qu'une petite partie des arsenaux existants, contre des cibles urbaines pourrait entraîner une diminution des températures mondiales, un raccourcissement des saisons agricoles, des pénuries alimentaires dans de vastes régions du monde et la mort de plus d'un milliard de personnes.
L'appel lancé aujourd'hui par le CICR reflète aussi les préoccupations urgentes de l'ensemble du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, dont ses 191 Sociétés nationales et ses millions de volontaires à travers le monde. En novembre dernier encore, le Mouvement s'est dit profondément préoccupé par le risque accru que des armes nucléaires soient utilisées et a souligné « que tout risque d'utilisation de ces armes [était] inacceptable étant donné leurs effets catastrophiques sur le plan humanitaire ». Ensemble, les composantes du Mouvement ont adopté un plan d'action quadriennal ambitieux pour faire en sorte que les armes nucléaires ne soient plus jamais utilisées et parvenir à leur élimination.
Il y a trois ans, j'avais pris la parole devant les membres du corps diplomatique à Genève en amont de la Conférence des Parties chargée d'examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 2015. J'avais conclu mon allocution ainsi : « Nous savons aujourd'hui plus que jamais que les risques sont trop élevés et les dangers trop réels. Il est temps pour les États, et tous ceux d'entre nous en mesure d'exercer une influence sur eux, d'agir avec urgence et détermination pour mettre fin à l'ère des armes nucléaires. »
La communauté internationale s'est trop souvent révélée incapable de prévenir des crises pourtant prévisibles. Cette fois-ci, nous devons tout faire pour empêcher la catastrophe qui nous menace – il en va de notre survie. Il est plus urgent que jamais d'unir nos efforts pour réduire le risque que présentent les armes nucléaires et progresser vers leur élimination.