Cameroun : « Des besoins humanitaires immenses, une crise négligée »

Cameroun : « Des besoins humanitaires immenses, une crise négligée »

Depuis 2014, la crise du lac Tchad, caractérisée par une violence armée effroyable, s’étend à la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, dont les habitants ont fui par centaines de milliers, principalement à l'intérieur du pays. Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les populations ont souvent été victimes d’attaques armées, et beaucoup d’entre elles ont dû se déplacer en raison de l’insécurité. Victimes d’attaques, de menaces ou d’intimidations, les écoles, les structures sanitaires et les organisations humanitaires ne sont pas épargnées par ces violences.
Article 09 décembre 2020 Cameroun Lac Tchad

Tanja, Crise du lac Tchad

Tanja Uljonen, responsable des opérations pour le CICR au Cameroun, dresse un tableau préoccupant de la situation.

Question : On parle au Cameroun d'un million et demi de personnes déracinées par la violence. Quelles sont les conséquences de ces déplacements forcés ?

Tanja Uljonen : C'est vrai, on compte dans tout le pays près d'un million et demi de personnes déplacées, parmi lesquelles 400 000 réfugiés centrafricains et nigérians. Ces déplacements s'expliquent par l'insécurité persistante, mais aussi par le manque d'accès aux services essentiels et aux biens de subsistance. Les aléas climatiques jouent aussi un rôle dans ce phénomène. La majorité de ces personnes sont déplacées depuis longtemps et ont trouvé refuge au sein de communautés d'accueil. Beaucoup sont entièrement dépendantes de leurs hôtes et de l'aide humanitaire pour se nourrir, se loger et accéder aux services de base.

D'autres se trouvent dans les centres urbains et vivent souvent dans une grande précarité en raison du manque d'accès à la terre, à la cherté de la vie, ou en raison des contraintes administratives, linguistiques ou même de la stigmatisation. Ces déplacements exercent une pression supplémentaire sur les ressources locales qui se raréfient ce qui augmente la pauvreté et la vulnérabilité des déplacés et des communautés qui les accueillent. Malgré ces difficultés, nous constatons une solidarité exemplaire entre les communautés.

 

Depuis 2014, de nombreuses familles ont été déplacées de force dans la région de l'Extrême-Nord au Cameroun.
Depuis 2014, de nombreuses familles ont été déplacées de force dans la région de l'Extrême-Nord au Cameroun. Ousmanou Balkissou/CICR

A ce phénomène s'ajoutent des chocs climatiques récurrents dans la région de l'Extrême-Nord. Les saisons sont devenues irrégulières et des pluies diluviennes peuvent succéder à de longues périodes de sécheresse. Cette année, les inondations ont commencé très tôt. Elles ont ravagé de grandes surfaces cultivables et détruit l'espoir d'obtenir des récoltes de riz, de haricots et de sorgho. Les besoins en termes de sécurité économique et alimentaire ne font que grandir dans les régions touchées, comme c'est le cas dans le Logone-et-Chari.

N'oublions pas les quelque 300 000 réfugiés centrafricains, à l'Est du pays. L'insécurité dans leur pays d'origine est telle que les perspectives de retour sont fortement compromises, et la réponse humanitaire à leurs besoins se réduit au fil des ans.

En gros, l'insécurité engendre la peur, la population comme les biens ne circulent plus comme avant, l'accès aux soins de santé, à l'éducation, aux marchés est entravé.

Au bout du compte, population locale, déplacés, réfugiés, tout le monde paie un prix très élevé à cette violence. Et c'est particulièrement vrai pour certaines communautés qui n'ont parfois même pas la possibilité de fuir, soit parce qu'elles en sont empêchées, soit tout simplement parce qu'elles ne savent pas où aller.

Enfin, que ce soit la communauté internationale ou la population du Cameroun, nous avons tous été choqués par les récentes attaques visant des écoliers et le personnel éducatif dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Des enfants sont morts, d'autres ont été blessés et hospitalisés. Les enfants et les établissements scolaires doivent être épargnés et protégés en toutes circonstances.

Originaire de Maltam dans le département de Logone-et-Chari, cet homme s'est déplacé avec sa nombreuse famille pour s'éloigner des affrontement armés.
Originaire de Maltam dans le département de Logone-et-Chari, cet homme s'est déplacé avec sa nombreuse famille pour s'éloigner des affrontement armés. Alex Lock Mbah/CICR

Que peuvent accomplir les humanitaires dans un tel contexte, et plus particulièrement la Croix-Rouge ?

Nous distribuons, parfois avec la Croix-Rouge camerounaise, et souvent dans l'urgence, de la nourriture et des biens essentiels, comme cela a été récemment le cas dans le Logone-et-Chari, où nous avons assisté 1500 ménages doublement touchés par le conflit et les inondations. Nous transférons aussi de l'argent pour aider les bénéficiaires à faire face à leurs besoins les plus pressants.

Beaucoup de personnes que nous rencontrons sur le terrain nous disent qu'elles ne veulent pas dépendre de l'aide humanitaire. « Aidez-nous à être autonomes » est leur message.

Au-delà de ces actions visant à répondre aux besoins immédiats, nous devons trouver des solutions durables, et c'est ce que nous faisons en soutenant l'accès aux soins de santé, à l'eau potable, la production agricole et les programmes de vaccination animale. Nous renforçons ainsi la résilience des communautés.

Toujours en lien avec son mandat, le CICR contribue au rétablissement des liens familiaux entre personnes séparées par la violence armée, en essayant notamment de retrouver les personnes disparues. Ceux et celles qui ont perdu un mari, un frère ou un fils durant le conflit armé vivent avec une douleur incommensurable. Nous les accompagnons , et rappelons qu'elles ont le droit de savoir ce qu'il est advenu de leurs proches.

Nous venons également en aide aux déplacés qui se retrouvent en milieu urbain. A Douala par exemple, nous initions pour eux un projet afin de faciliter l'obtention de documents d'identité, ce qui leur permettra ensuite d'accéder aux services étatiques... ce n'est pas le travail qui manque.

En 2014, cette femme s'enfuyait de la République centrafricaine pour échapper à la violence. Dans le chaos de la fuite, elle perdait la trace de son petit-fils qui l'accompagnait. Après des recherches menées par le CICR, l'enfant était retouvée au Tchad et réuni avec sa grand-mère.
En 2014, cette femme s'enfuyait de la République centrafricaine pour échapper à la violence. Dans le chaos de la fuite, elle perdait la trace de son petit-fils qui l'accompagnait. Après des recherches menées par le CICR, l'enfant était retouvée au Tchad et réuni avec sa grand-mère. Alex Lock Mbah/CICR

L'insécurité sur le terrain met-elle en péril votre action ?

C'est la tendance un peu partout dans la région : nous sommes confrontés à énormément de souffrances dans des contextes où la sécurité des humanitaires reste précaire.

Encore une fois, nous n'avons pas d'agenda politique et nous ne sommes guidés que par les besoins de la population. Les malades, les blessés ou les détenus ont des droits et nous sommes là aussi pour le rappeler et agir quand il le faut.

Le CICR s'emploie à dialoguer avec tous les acteurs et les cercles d'influence. Cela va des autorités politiques, aux porteurs d'armes, en passant par les milieux religieux. Ce dialogue, qui est mené de manière bilatérale et confidentielle, est nécessaire pour permettre d'accéder aux communautés dans des conditions de sécurité adéquates. Il permet également de discuter des problématiques liées à la protection des populations, y compris les blessés et les malades, le personnel médical, ou encore les personnes privées de liberté. Nous aidons les porteurs d'armes à renforcer leur connaissance du droit et des principes humanitaires pour que la protection des personnes protégées légalement s'améliore.

Quelle influence a eu le Covid-19 sur la situation humanitaire dans le pays ?

Les causes de la situation humanitaire au Cameroun sont profondes et ne sont pas uniquement liées au conflit ou aux violences armées. Le Covid-19 a certainement aggravé la situation. Nous avons donc soutenu les autorités dans la prévention et la gestion de la pandémie au sein des prisons et des communautés. Mais au bout du compte, pour faire face à tous ces défis, une action humanitaire seule ne suffira pas. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter des solutions multidisciplinaires à court et à plus long terme. En revanche, le développement économique comme le bon fonctionnement des services publics essentiels restent du ressort des autorités.