Géorgie / Abkhazie : des réponses et un peu de soulagement pour les familles de disparus

05 juin 2016
Géorgie / Abkhazie : des réponses et un peu de soulagement pour les familles de disparus
Géorgie. Assise auprès de son mari Valerian, Zhuzhuna Okruashvili, dont le fils était porté disparu depuis 24 ans, dédicace l’un des recueils de poèmes qu’elle écrit pour exprimer ce qu’elle ressent. CC BY-NC-ND / CICR

En Géorgie et en Abkhazie, la question non résolue des personnes disparues continue de peser sur les familles et sur la société de nombreuses années après la fin du conflit armé de 1992-1993. D'après les données dont dispose le CICR, plus de 2 300 personnes seraient toujours portées disparues par suite de ce conflit.

Voici l'histoire de deux familles – l'une géorgienne, l'autre abkhaze – qui ont vu des proches disparaître durant le conflit et qui, après 22 ans d'incertitude, ont enfin pu savoir ce qu'il était advenu de leurs chers.

La poésie pour exorciser la douleur

Zhuzhuna et Valerian Okruashvili sont mariés depuis 60 ans. Elle a 84 ans et lui 90. Depuis des années, ils vivent plongés dans le chagrin d'avoir perdu leurs deux enfants.

Leur fils aîné Zaza avait 17 ans lorsqu'il est mort dans un accident de voiture. La douleur de cette disparition était encore vive lorsque leur cadet, Zurab, a disparu durant la guerre d'Abkhazie. Zurab était à bord d'un avion qui a été abattu en septembre 1993. « L'avion de Babushara », comme il a été appelé en référence à l'endroit où il a été abattu, est devenu synonyme de la disparition de plus de 120 personnes.

Zhuzhuna se souvient : « Zurab avait un don – c'était un peintre habile et un poète. Il avait quitté la maison en cachette pour rejoindre les volontaires qui se rendaient en Abkhazie. Je ne savais pas où il était et encore moins qu'il était à bord de cet avion. Mais lorsque j'ai vu les images de la scène du crash à la télévision, j'ai senti comme une déchirure en moi. Cette nuit-là, j'ai vu en rêve un immense incendie et Zurab prisonnier des flammes qui m'appelait au secours. C'était une prémonition. » Deux jours plus tard, la terrible nouvelle est arrivée : Zurab était bien à bord de l'avion qui s'était écrasé.

Zhuzhuna et Valerian étaient anéantis. Zhuzhuna a essayé de mettre fin à ses jours, mais elle a survécu. De son côté, et malgré d'inlassables efforts, Valerian n'a pas réussi à trouver la moindre information au sujet de son fils.

Georgia. Zhuzhuna Okruashvili, whose son was missing 24 years, sits alongside her husband Valerian and signs one of her books in which she expresses her emotions through poetry. CC BY-NC-ND/ICRC

Géorgie. La psychologue du CICR Maia Alkhazishvili s'entretenant avec Zhuzhuna Okruashvili. CC BY-NC-ND / CICR

Il y avait 24 ans que Zurab avait disparu, lorsqu'enfin une équipe d'experts médicolégaux argentins a fouillé le site où étaient enterrées les victimes de l'avion de Babushara. Valerian se souvient : « J'avais peur qu'il ne faille beaucoup de temps à la Croix-Rouge pour identifier toutes les victimes et que, vu notre âge, nous ne vivions pas assez longtemps pour voir le jour où Zurab serait retrouvé. »

En avril, les restes de Zurab Okruashvili ont finalement été identifiés et il a pu être enterré dignement auprès de son frère, dans le cimetière où reposent les siens. Zhuzhuna et Valerian expliquent que cela a été un grand soulagement pour eux de voir leur fils enterré comme il se doit et sa patrie lui rendre enfin hommage. « Nous ressentons un certain apaisement de savoir que nos deux fils sont réunis dans le même cimetière. »

Zhuzhuna écrit des poèmes ; elle en a publié deux recueils. « La poésie m'a permis de surmonter ma douleur », explique-t-elle en dédicaçant ses ouvrages « au personnel de la Croix-Rouge, avec gratitude, pour Zurab ». « Beaucoup de mes poèmes parlent de Zurab et de ce que j'ai ressenti suite à sa disparition. Mon cœur de mère savait qu'un jour on me rendrait mon fils – et ce jour est arrivé avec l'aide du CICR. »

Gravir une montagne pour trouver des réponses

Firuza Chamaghua Kapba est la mère d'Almas Kapba, disparu durant le conflit de 1992-1993. Elle dirige l'antenne de Soukhoumi des « Mères d'Abkhazie », une association qui regroupe les familles qui ont perdu des proches.

Avant que la guerre ne commence, les Kapba menaient une vie paisible à Soukhoumi, leur ville natale. Firuza travaillait à l'imprimerie locale, et Almas l'y avait rejointe à l'âge de 16 ans, après avoir terminé ses études. Il venait d'avoir 17 ans quand la guerre a éclaté et il est parti au combat.

Almas a disparu en 1993. Durant 22 ans, sa famille n'a rien su de ce qui lui était arrivé. Firuza explique : « Parfois, je pensais qu'il était vivant. L'incertitude était une souffrance. Je ne savais pas sur quelle tombe me recueillir dans le Parc Slavi [Parc de la gloire], où les corps d'une soixantaine de personnes non identifiées avaient été ensevelis. »

La quête sans relâche des Kapba pour retrouver Almas les a conduits dans différents endroits, notamment sur les sommets de l'Akhbiuk, où un hélicoptère s'était écrasé avec plusieurs personnes à bord en juillet 1993.

Firuza raconte : « Lorsque nous avons gravi la montagne, nous avons vu des ossements et des corps calcinés. Je me souviens d'un vieux monsieur qui avait trouvé une plaque de cuivre portant le numéro 1013. Nous avons appris qu'il s'agissait du matricule de son fils, dont les restes ont été identifiés par la suite. Tous les ossements retrouvés sur le lieu du crash ont finalement été rassemblés et mis dans deux cercueils. Depuis, je me suis toujours demandé comment les restes auraient pu être identifiés. »

Les experts médicolégaux du CICR ont commencé par exhumer les corps ensevelis dans la fosse commune du Parc Slavi. Ils y ont retrouvé les restes de 64 personnes, dont ceux d'Almas, qui ont été identifiés en 2014. Un douloureux chapitre long de 22 années d'incertitude s'est ainsi refermé pour Firuza.

« Maintenant, je dépose des fleurs sur sa tombe le jour de son anniversaire et de l'anniversaire de sa mort. Je m'assois, je pleure et je lui parle », raconte-t-elle. « Je fais partie des "Mères d'Abbkhazie" et je sais qu'il y a de nombreuses familles qui n'ont pas encore retrouvé leurs chers. C'est pour cela que l'action du CICR est très importante pour nous tous. »

L'action du CICR en faveur des familles de disparus

Depuis 2010, en sa qualité d'intermédiaire neutre et indépendant accepté par toutes les parties, le CICR préside le mécanisme de coordination chargé d'élucider le sort des personnes disparues dans le cadre du conflit armé de 1992-1993 et dans son prolongement.

Ce mécanisme, qui s'articule autour de principes purement humanitaires, a pour vocation de faire valoir le droit de savoir des familles des disparus. Composé de représentants abkhazes et géorgiens, il vise à aider les familles à découvrir ce qu'il est advenu de leurs proches et à décider des actions qu'il convient d'engager.

Entre 2013 et 2015, les restes de 162 personnes (46 en Géorgie et 116 en Abkhazie) ont été retrouvés avec l'aide des experts médicolégaux du CICR. À ce jour, sur ces 162 personnes, 81 ont été identifiées et leurs dépouilles remises à leur famille. Les travaux se poursuivent pour identifier les autres.