J'étais il y a peu à Tombouctou (Mali), où j'ai rencontré des familles qui n'avaient pas de quoi se nourrir faute de récoltes suffisantes et qui avaient perdu plusieurs de leurs enfants, tués par des engins explosifs improvisés. J'ai été bouleversé par leur immense souffrance et leurs conditions de vie extrêmement précaires.
Au terme de ma visite en Afrique de l'Ouest, je me rendrai directement au Forum économique mondial de Davos pour sensibiliser les décideurs présents à la tragédie humaine qui se déroule au Sahel.
Actuellement, pas moins de 120 millions de personnes à travers le monde ont besoin d'une assistance vitale du fait de la violence et des conflits. Au Yémen, en Syrie et au Soudan du Sud, la souffrance est partout. Au Sahel, la situation devient encore plus critique : le changement climatique aggrave les effets déjà dévastateurs des conflits, de la pauvreté et du sous-développement. Les habitants de cette région pauvre en ressources ont toutes les peines du monde à survivre. La hausse des températures y est presque deux fois supérieure à la moyenne mondiale. Si nous n'agissons pas, les vulnérabilités et l'insécurité s'intensifieront inévitablement, tout comme les besoins de la population.
Il n'y a pas de solution miracle pour atténuer ou prévenir les effets dévastateurs de ces phénomènes de grande ampleur particulièrement complexes. L'assistance humanitaire d'urgence restera une nécessité, mais elle ne suffira pas face à l'immensité des besoins.
Cette année, nous devons impérativement réorienter notre approche de l'assistance humanitaire, les solutions politiques durables tant attendues dans bien des endroits du globe tardant à prendre corps. Il est urgent de repenser en profondeur l'action humanitaire et d'élaborer des réponses de plus grande envergure axées sur le long terme. Je suis convaincu que la mise en œuvre des huit orientations suivantes permettra de répondre plus efficacement aux besoins humanitaires en 2019.
1. Se concentrer sur les crises majeures
Sur l'ensemble des crises qui sévissent actuellement dans le monde, vingt des plus violentes d'entre elles sont à elles seules à l'origine de plus de 80 % des déplacements et des besoins humanitaires.
Pour sortir de l'impasse, les décideurs politiques doivent prendre des mesures fortes à même de briser le cycle de la violence et soutenir les tentatives encore chancelantes de stabilisation.
En 2019, les contextes prioritaires resteront la Syrie, l'Irak, le Yémen, la Corne de l'Afrique, le bassin du lac Tchad et la région du Sahel, l'Afghanistan et le Myanmar/Bangladesh.
2. Mobiliser les connaissances, compétences et ressources de divers secteurs
Aucun secteur n'est en mesure, à lui seul, de faire face à l'immensité et la diversité des besoins engendrés par les crises humanitaires : pour une action plus efficace, il faudra un soutien solide de la part des États, des organisations internationales et de l'ensemble de la société civile.
Les espaces humanitaires neutres, impartiaux et indépendants continuent d'offrir le cadre le plus propice à la reconstruction et la réconciliation, et les acteurs humanitaires peuvent jouer un rôle moteur sur le terrain et servir de guides aux autres intervenants dans un environnement fragmenté, où les défis en matière de sécurité sont nombreux et les besoins multiples.
Les organisations locales et internationales peuvent se compléter efficacement ; les milieux universitaires alimentent la réflexion par leurs analyses critiques et leurs études chiffrées ; le secteur privé est le mieux placé pour faciliter le relèvement économique et aider les communautés à créer des entreprises, renforcer leurs capacités et développer leurs compétences.
Présent dans plus de 190 pays, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dispose de tous les moyens requis pour coordonner les efforts déployés aux niveaux local et international et lancer des actions de plus grande envergure. Le système des Nations unies a quant à lui le pouvoir unique de rassembler les États autour d'initiatives humanitaires plus ambitieuses.
Enfin, le Mécanisme d'action contre la famine mis en place par la Banque mondiale, en coopération avec Google, Amazon, le Programme alimentaire mondial et le CICR, est un instrument qui, en mettant à profit de nouvelles perspectives et compétences, pourrait contribuer de manière décisive au recul et à la prévention de ce fléau qui sévit depuis trop longtemps et menace d'innombrables vies.
3. Accroître les investissements pour une action durable
Le modèle de financement traditionnel de l'action humanitaire repose sur la collecte de fonds destinés à répondre aux situations d'urgence. Alors que les crises contemporaines tendent à se prolonger et que l'écart entre les besoins et la capacité à y répondre continue de se creuser, l'assistance traditionnelle doit s'accompagner d'investissements à plus long terme axés sur les personnes, le renforcement des compétences et la création de revenus par et pour les communautés.
La grande question, pour 2019, est de savoir si les parties prenantes sont prêtes à aller plus loin et à investir davantage dans les contextes fragiles, notamment par le biais des obligations à impact humanitaire, et si les risques pourront être répartis de manière à favoriser le développement de ce type de financement innovant.
4. Encourager l'autonomie et non la dépendance
Toute communauté touchée par la guerre a une capacité propre à faire face. Au lieu d'entretenir la dépendance à l'assistance humanitaire, nous devons aider les personnes touchées à s'affranchir rapidement des secours d'urgence pour subvenir elles-mêmes à leurs besoins.
Dans certaines régions, les transferts monétaires ont remplacé les aides en nature, tandis que le microcrédit a ouvert la voie à la création d'activités économiques indépendantes. L'aide d'urgence reste indispensable dans une très large mesure, mais il est temps de mettre en œuvre des solutions plus élaborées, à l'impact humanitaire durable, et de les déployer à plus grande échelle.
5. Adapter la réponse humanitaire
Au vu de l'essor des moyens de connectivité à travers le monde, les acteurs humanitaires doivent renforcer leur proximité avec les membres des communautés touchées, être plus à l'écoute de leurs besoins et mieux leur rendre compte de leur action. Ils doivent davantage soutenir leurs initiatives en tant qu'intervenants de première ligne et veiller à ce que la réponse internationale soit conçue en soutien aux acteurs locaux. Cela suppose d'abandonner les modèles préétablis au profit d'une assistance « à la carte » adaptée à chaque contexte, voire à chaque personne.
6. Tirer parti des outils numériques en veillant à ne pas nuire
Les outils numériques ont déjà commencé à transformer la manière de fournir les secours et d'interagir avec les populations touchées – une tendance qui va se poursuivre dans les années à venir. Les défis qui nous attendent en 2019 sont multiples, de la collecte d'informations à des fins humanitaires à l'application du droit international humanitaire à la cyberguerre. La transformation numérique présente à la fois des avantages – amélioration des procédés d'analyse et des chaînes d'approvisionnement – et des risques. Un consensus doit être trouvé sur les questions de l'identité numérique et de la protection des données, en particulier dans les zones de conflit.
7. Soigner les blessures invisibles
Aujourd'hui, nous sommes de plus en plus confrontés à des maux moins immédiatement perceptibles : les problèmes de santé mentale et d'anxiété chez les victimes de violences sexuelles sont par exemple très répandus. Lorsqu'une crise humanitaire de grande ampleur survient, on estime qu'entre 10 et 15 % des personnes touchées souffrent par la suite de troubles mentaux légers ou modérés, et que 4 % d'entre elles peuvent développer des troubles mentaux sévères. La prise en charge des troubles de santé mentale doit donc être une priorité dans les situations d'urgence, au même titre que celle des blessures physiques. La protection de la santé mentale peut contribuer à sauver des vies dans les situations de conflit et de violence, exactement comme les soins aux blessés ou l'accès à l'eau potable.
8. Respecter le droit en toutes circonstances
Alors que nous célébrons cette année le 70e anniversaire des Conventions de Genève, nous tenons à rappeler qu'elles ont sans aucun doute contribué, au fil des décennies, à sauver des millions de vies, à limiter les répercussions de la guerre sur les civils et à créer les conditions propices à la stabilité et à l'instauration d'une paix durable.
Il est néanmoins nécessaire de les interpréter et de les mettre en œuvre en tenant compte des défis d'aujourd'hui : je veux qu'en 2019 chacun réaffirme son engagement à recourir à la force dans le strict respect du droit, à traiter les détenus avec humanité et à protéger les populations civiles. Le respect des principes fondamentaux est un impératif en toutes circonstances, y compris dans les conflits armés, les opérations antiterroristes, les guerres asymétriques et les situations d'insécurité publique généralisée ou de violence intercommunautaire.