Déclaration

La question des disparus : avant tout une question humanitaire

Exposé du président du CICR Peter Maurer au Conseil de sécurité des Nations Unies sur « La protection des civils dans les conflits armés : les personnes disparues dans les conflits armés »

Certaines des conséquences les plus horribles de la guerre sont celles que l'on ne peut pas voir. Quand les traumatismes sont invisibles, ils sont négligés, ignorés ou jugés non prioritaires.

C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les personnes disparues. Chaque jour en effet, des gens disparaissent dans des conflits, des situations de violence, des catastrophes et au cours de migrations.

Aujourd'hui, tandis que nous sommes ici réunis pour examiner la question des personnes disparues dans les conflits armés, je dois relever que le CICR a constaté ces dernières années une hausse alarmante de ces disparitions.

Pendant la seule année 2018, plus de 45 000 nouveaux cas ont été enregistrés par l'Agence centrale de recherches du CICR, organisme neutre institué au titre des Conventions de Genève. Or nous savons que ce chiffre ne représente que la partie émergée de l'iceberg ; il ne traduit pas la véritable ampleur du problème ni ne rend justice à la souffrance de chacune des familles concernées.

Je remercie le Koweït d'avoir pris l'initiative de proposer ce débat aujourd'hui. Le CICR salue l'adoption de cette résolution, la première du Conseil de sécurité des Nations Unies entièrement consacrée à la question des personnes disparues dans les conflits armés, et il se félicite de l'engagement du Conseil à cet égard.


Chaque fois qu'une personne disparaît, une famille attend des réponses. Ballottée entre espoir et désespoir, elle en est réduite à marquer les anniversaires de la disparition – un an, deux ans, dix ans.


Le traumatisme d'une perte ambiguë est l'une des blessures de guerre les plus profondes qui soit. La douleur touche des communautés entières et dure pendant des décennies, empêchant les sociétés de se réconcilier.
Le CICR est témoin de cette souffrance tous les jours. Nos équipes sont fréquemment sollicitées par des mères qui recherchent un fils, par des maris qui recherchent leur femme.

Parfois, il y a des réponses : chaque minute, le CICR, en collaboration avec les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, aide une famille séparée par un conflit à rétablir le contact.

Mais nous pouvons faire beaucoup plus. Pour peu que les parties aux conflits respectent l'obligation qui leur incombe de rechercher les personnes disparues et qu'elles assurent une prise en charge méthodique et digne des morts, des personnes disparues pourront être retrouvées, des dépouilles pourront être identifiées et des réponses pourront être apportées.

Nous disposons du cadre juridique pour cela : le droit international humanitaire établit des obligations visant à prévenir les disparitions dans les conflits armés et à déterminer le sort et la localisation des personnes disparues.

Nous avons aussi de l'expérience dans ce domaine : empêcher la séparation des familles (par exemple pendant les évacuations), enregistrer toutes les personnes privées de liberté ou remettre des plaques d'identité aux forces armées, voilà autant de mesures concrètes qui peuvent être prises aujourd'hui.


Ce dont nous avons besoin, c'est d'une volonté politique plus forte et d'une coopération plus étroite.

 Le CICR en est fermement convaincu, en tant que gardien du droit international humanitaire, et à la lumière des nombreuses années qu'il a passées à travailler avec les parties aux conflits pour résoudre des cas de disparition.

Les activités du CICR sont variées – présider des mécanismes de coordination, fournir des conseils pour l'élaboration de lois et de politiques nationales, enregistrer des détenus, apporter un soutien aux familles ou encore mettre à disposition des compétences forensiques.

Nous avons vu ce qui peut être réalisé grâce à la volonté politique et à la coopération. L'accord sur l'identification des dépouilles de soldats non identifiés ayant participé au conflit des îles Falkland/Malouines en est un exemple frappant. Nous notons également les efforts conjugués de la Commission tripartite sur les disparus de la guerre du Golfe menés ces dernières semaines en vue de récupérer des dépouilles dans le sud de l'Irak. Ces avancées donnent un espoir considérable aux familles qui attendent des réponses depuis des décennies.

Les guerres d'aujourd'hui posent de nouveaux défis mais offrent aussi de nouvelles possibilités en matière de recherche de personnes disparues. Bien que la question demeure complexe, il existe de nos jours une multitude de nouvelles sources d'informations qui peuvent faciliter les recherches. Alors que l'Agence centrale de recherches du CICR s'apprête à célébrer ses 150 ans d'existence l'année prochaine, nous nous attachons à moderniser nos méthodes de travail, notamment en investissant dans des technologies de recherche améliorées, telles que la reconnaissance faciale.

Nous pouvons en outre compter sur un bagage de plus en plus important de compétences techniques et d'expérience, y compris dans le domaine des sciences forensiques, pour améliorer nos méthodes de prévention et d'intervention. Le CICR s'emploie à mettre en place une communauté de pratique et, à travers son projet sur les « Personnes disparues », interagit avec des experts et des praticiens, des organisations internationales et non gouvernementales, des institutions nationales et des familles afin de recenser les meilleures pratiques, d'élaborer des recommandations techniques et de coordonner les efforts.


Pour nous, il est évident que la manière dont la question des personnes disparues est traitée pendant et après un conflit peut avoir une incidence sur l'ampleur du problème, ses répercussions sur les communautés et les relations futures entre les parties au conflit.

Il est fondamental que les cas de personnes disparues soient traités sans discrimination : ces personnes ainsi que leurs familles ne doivent pas être pas une monnaie d'échange.

J'exhorte les États Membres à adopter les quatre mesures suivantes, dans le cadre de la mise en œuvre de la résolution adoptée aujourd'hui et au-delà.

Premièrement, les États et les parties à un conflit armé doivent respecter et faire respecter le droit international humanitaire dans leurs opérations. Ils doivent défendre le droit des familles de savoir ; assurer la protection des civils ; faire en sorte que personne ne « disparaisse » lors d'un conflit armé, pendant les hostilités ou après son arrestation ; et veiller à ce que les morts soient pris en charge de manière méthodique et digne.

En particulier, nous demandons aux parties à un conflit de permettre au CICR d'accéder aux lieux de détention et de faciliter les contacts familiaux. Cette mesure importante contribuerait grandement à empêcher que des détenus disparaissent.

Deuxièmement, les États doivent mettre en place des mesures préventives. Si l'on n'agit pas de manière précoce, le travail de recherche pour retrouver une personne disparue n'en devient que plus considérable, de même que la douleur des familles et le soutien qui sera nécessaire pour répondre à leurs besoins.

Les obligations ne commencent pas après la fin des hostilités.

Troisièmement, la question des personnes disparues doit être avant tout une question humanitaire et doit être dissociée de tout intérêt politique et tout processus d'établissement des responsabilités.


Les États doivent traiter les cas de personnes disparues sans discrimination.

Trop souvent, nous assistons à une manipulation politique de cette question, ou constatons que les familles d'anciens ennemis sont stigmatisées ou privées de ce service.

Enfin, les États doivent soutenir une action humanitaire professionnelle, neutre et impartiale sur la question des personnes disparues.

Par le biais de vos experts techniques et de vos institutions, vous pouvez vous joindre au CICR et aux autres organisations locales et internationales pour soutenir la création d'une communauté de pratique mondiale ainsi que l'élaboration de normes techniques et de recommandations universellement reconnues.

Il est urgent que tous les acteurs fassent preuve d'une volonté politique et d'une détermination plus fortes en vue de respecter leurs obligations concernant les personnes disparues. Nous demandons aux États d'assumer leurs responsabilités et de prendre les mesures nécessaires pour relever ce défi humanitaire crucial et pourtant largement négligé.