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Une menace insidieuse : en Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’impact du Covid-19 sur la santé mentale

Depuis plus de 30 ans, Félix Soal consacre sa vie à soigner des patients à l’hôpital général de Mendi, dans la province des Hautes-Terres méridionales de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Au cours de sa longue carrière, Félix a dû faire face à de nombreuses difficultés étroitement liées au territoire, les flambées de violences tribales restant fréquentes dans la région. Pour autant, il n’avait jamais rien vu de semblable aux effets produits par la pandémie mondiale de Covid-19 ces derniers mois.

Même s'il a été formé à rester calme en toutes circonstances, Félix reconnaît que la propagation généralisée d'un virus inconnu génère un stress qui éprouve durement les personnels de santé. Beaucoup d'entre eux ressentent de l'anxiété, de l'irritabilité et de la frustration.


Felix Saol. CC BY-NC-ND/CICR/R.TABEL

Soucieux du bien-être psychologique des intervenants de première ligne, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a organisé quatre ateliers de formation dans plusieurs provinces afin d'aider près de 60 participants à faire face à cette situation inédite. Beaucoup d'entre eux n'avaient jamais été sensibilisés aux questions de santé mentale.


Charlotte Blackman, déléguée du CICR spécialisée en santé mentale et soutien psychosocial, expliquant aux participants comment repérer les signes de stress au cours d'un atelier de deux jours à Mendi. CC BY-NC-ND/CICR/R. Tabel

Dans le cadre de l'un de ces ateliers, Félix a évoqué les craintes qu'il a commencé à éprouver peu après l'arrivée de la pandémie en Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Au départ, c'était la peur de l'inconnu. Je craignais de ramener le virus à la maison et d'infecter ma famille. Nos proches ont cessé de nous rendre visite parce qu'eux aussi étaient inquiets. Je me suis senti rejeté.

À l'issue de l'atelier, les réactions des participants ont révélé que la stigmatisation est l'un des principaux facteurs de stress pour de nombreux soignants. Charlotte Blackman, déléguée du CICR chargée d'animer l'atelier, explique :

La triste réalité est que certains d'entre eux étaient déjà stigmatisés, aussi bien par leur famille que par leur communauté. Une participante a même dit que son mari lui avait « interdit de revenir à la maison » si elle continuait de travailler à l'hôpital.
À l'origine du stress, on retrouve la peur d'être infecté ou d'infecter les proches, la peur de la stigmatisation, la crainte de voir mourir des collègues ou des patients, ou encore l'épuisement professionnel.

CC BY-NC-ND/CICR/R.TABEL

Félix Soal (au milieu) et les membres de son groupe notant les résultats de leurs échanges au cours de l’atelier de deux jours organisé pour les personnels de santé à Mendi.

Partout dans le monde, le Covid-19 menace la santé physique et mentale des populations. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, où les structures de santé peuvent être éloignées et difficiles d'accès, la pandémie est venue aggraver un contexte déjà compliqué. Dans les communautés, elle suscite un climat d'incertitude lié à la disparition soudaine ou inattendue de proches, ou à la perte des moyens de subsistance, qui vient s'ajouter aux douloureuses cicatrices laissées par les conflits tribaux. Ces effets se cumulent. Anxiété, tristesse, désespoir, insomnie, fatigue, irritabilité et colère ne sont que quelques-unes des manifestations du risque épidémique sur la santé mentale des communautés.


Parmi les conseils qui leur ont été prodigués pour faire face à la situation, les participants ont notamment été encouragés à ne suivre que les sources d'information crédibles concernant le Covid-19, afin d'éviter le surcroît d'anxiété qui accompagne les rumeurs. Et Charlotte Blackman d'ajouter :

Nous leur avons aussi appris à repérer tout changement dans leurs réactions émotionnelles, y compris la peur et l'anxiété, le déni et la minimisation, la colère et l'agressivité, ou encore les sentiments d'incertitude, de désespoir ou d'impuissance.

En admettant qu'il faudra du temps pour s'adapter à la « nouvelle normalité », Félix explique que les méthodes et les conseils transmis pendant l'atelier aideront les personnels de santé à se protéger et à protéger leurs familles, mais également à éviter les facteurs de stress liés à la pandémie.

Les spécialistes de la Croix-Rouge ont dissipé mes doutes sur le Covid-19 et ont insisté sur l'importance de rester en forme tant physiquement que psychologiquement durant cette période. Si nous prenons les précautions nécessaires, nous pourrons nous en sortir.

Selon Charlotte Blackman, les personnes souffrant déjà de troubles mentaux risquent de voir leur détresse psychologique et leurs symptômes traumatiques s'aggraver du fait de l'isolement.

Leur traitement pourrait être interrompu. Cela ne faciliterait pas la tâche des personnes chargées de s'occuper de ces patients. Nous continuerons de leur apporter tout le soutien possible.
Nous travaillons également à l'échelle des communautés et nous utilisons des supports de communication, tels que des vidéos ainsi que d'autres outils.

Dans les Hautes-Terres, le CICR prévoit de continuer à accompagner et à superviser le personnel formé afin de s'assurer qu'il dispose du soutien dont il a besoin.

CC BY-NC-ND/CICR/R.TABEL

Au cours de l’atelier, Félix Soal (au milieu) et des membres de son village réfléchissant ensemble aux principaux problèmes de santé mentale rencontrés dans leur communauté.

De retour à l'hôpital général de Mendi, Félix souligne l'importance d'adopter des habitudes améliorant le bien-être ainsi que des techniques de respiration profonde, qui s'avèrent très utiles durant une crise comme celle-ci.

L'entraide est essentielle. Il sera difficile d'appliquer la distanciation sociale, de se laver fréquemment les mains avec du savon et d'éviter les rassemblements, sachant que cela ne correspond pas du tout à nos coutumes ancestrales. Mais si nous acceptons les changements et que nous nous soutenons mutuellement, nous y arriverons.
Je me suis engagé à aider les miens et je tiendrai cet engagement.