Journée de réflexion à l’occasion des 40 ans de l’adoption des Protocoles additionnels de 1977 aux Conventions de Genève, Paris, 16 novembre 2017. Déclaration du président du CICR, Peter Maurer.
De l’Iraq à la Côte d’Ivoire, de la Syrie au Soudan du Sud, du Nigeria à l’Ukraine, un même constat: trop de civils sont la cible de combats, trop de civils sont blessés, mutilés, déplacés, trop d'hôpitaux sont bombardés - au mépris des règles humanitaires impératives.
C’est pour moi un grand honneur d'être à Paris aujourd'hui pour cette journée de réflexion organisée à l’occasion du 40e anniversaire de l'adoption des deux Protocoles additionnels du 8 juin 1977.
En tout premier lieu, je souhaite remercier nos partenaires dans l'organisation de cette journée : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère des armées, l’Organisation internationale de la Francophonie, l'Ambassade de Suisse, et la Croix-Rouge française. De même je voudrais remercier particulièrement l'Assemblée nationale qui nous accueille dans son enceinte et son Président, Monsieur François de Rugy, qui a accordé son haut patronage à cette journée.
Cette excellente coopération atteste des liens étroits tissés entre la France et le CICR depuis près de 20 ans.
Elle démontre aussi la volonté de la France et, plus largement, de l’espace francophone, de promouvoir le droit international humanitaire afin d'assurer une plus grande protection des victimes des conflits armés.
Les fondements du droit international humanitaire ou DIH ont été jetés il y a plus de 150 ans. Grâce à Henry Dunant, les principes humanitaires coutumiers ont été codifiés, puis développés au fil des ans jusqu’à l’adoption, en 1949, des quatre Conventions de Genève, puis, en 1977, de leurs deux Protocoles additionnels. Ce droit s’est développé autour d’une idée simple et qui se retrouve dans toutes les cultures et tous les continents: le principe d’humanité.
Quarante ans après leur adoption les Protocoles restent toujours aussi pertinents. Pour qu’ils le restent, nous devons nous pencher sur les défis que posent les conflits d’aujourd’hui et de demain.
Le premier grand défi me semble être l’application des règles de 1977 aux conflits contemporains.
Dans un certain sens, les conflits n’ont pas changé depuis 1977. Les auteurs de Protocoles avaient à l’esprit des conflits asymétriques – les guerres de libération nationale – et les conflits le sont encore aujourd’hui. Le terrorisme était alors une préoccupation centrale pour les Etats et les Protocoles interdisent pour la première fois les actes qui répandent la terreur parmi la population civile; cette préoccupation perdure.
Mais les conflits ont aussi évolués et présentent des caractéristiques nouvelles:
- La fragmentation et la multiplication des parties et donc des lignes de front tout d’abord : nous ne sommes plus dans des conflits qui opposaient un ou deux groupes à un gouvernement – pensons à la Syrie, au Yémen, à la Birmanie, ou au Soudan du Sud.
- La régionalisation et l’internationalisation des conflits ensuite.
- La superposition de différents phénomènes de violence : conflits au sens du DIH, violence armée, crime organisé.
- L’urbanisation des conflits: une étude récente du CICR au Moyen-Orient a montré que cinq fois plus de civils sont morts dans les opérations militaires qui se sont déroulées dans les villes que sur d’autres champs de bataille.
- La longue durée des conflits : dans nos dix opérations les plus importantes dans le monde, nous sommes présents en moyenne depuis 36 ans!
- Les nouvelles technologies, la guerre à distance, la guerre automatisée, la cyber-guerre.
Pour répondre à « l’hypercomplexité » des conflits contemporains, aux zones de plus en plus grises, aux dilemmes humanitaires et juridiques, il faut continuer à interpréter le droit à la lumière des réalités conflictuelles d’aujourd’hui. Comment qualifions-nous juridiquement les situations comme celles au Moyen-Orient ? Comment s’articule la relation entre le DIH et les droits de l’homme? Comment interpréter les Protocoles dans l’espace virtuel, alors qu’ils ont été pensés à une époque où il n’y avait pas d’ordinateurs ?
Le deuxième grand défi a trait au respect et à la mise en œuvre du droit international humanitaire. Alors que nous disposons d'un corpus juridique fondé sur le bon sens, accessible à la compréhension de tous, universellement accepté et contraignant, comment pouvons-nous encore être aujourd'hui confrontés à tant de drames ?
Il s'agit d'une affaire de volonté. Volonté de tous les États, mais aussi des groupes armés non étatiques, qu'il faut tenter de convaincre, encore et encore, inlassablement.
Même si çà et là des voix s’élèvent pour en contester la pertinence ou l’efficacité dans les conflits armés contemporains, le droit humanitaire a fait – et fait encore – ses preuves. Pour ne prendre que deux exemples qui attestent de son utilité, citons les règles de distinction, de proportionnalité et de précaution, codifiées pour la première fois dans les Protocoles de soixante dix-sept: elles sont largement reprises par nombre de manuels militaires et personne aujourd’hui ne les conteste. Citons encore les nombreux traités sur les armes qui ont été adoptés dans le sillon des Protocoles. Depuis l’entrée en vigueur du traité d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel en 1997, le nombre de personnes tuées ou mutilées par des mines a baissé de plusieurs milliers par an et plus de 50 millions de mines ont été détruites.
J’en appelle à une vigilance de tous les instants, à la vigilance de chacun. J’en appelle, dans notre monde tourmenté, à raison garder et à toujours préférer le chemin de l’humanité face aux tentations destructrices.
Je nous souhaite des discussions fructueuses qui fassent émerger des solutions « innovantes » qui garantissent une meilleure application des règles en vigueur.
Voir aussi le site du colloque à l'occasion des 40 ans des Protocoles additionnels aux Conventions de Genève, Paris, 16 novembre 2017.