Longtemps, Pavithra, la fille de Ranjinithevi, a cru que son grand-père maternel était son père. Ranjinithevi a dépensé beaucoup en diseuses de bonne aventure pour essayer de retrouver la trace de son mari disparu. Après avoir bénéficié du soutien du Programme d’accompagnement pendant plusieurs mois, Ranjinithevi a réussi à accepter l'absence de son mari. «En assistant à ces réunions de groupe, j’ai appris à faire face à la situation», dit-elle. «Je crois encore qu’il est quelque part et qu’il va revenir.» «Pour le moment, je me concentre sur mes enfants », ajoute-t-elle. «Pavithra veut être enseignante plus tard».
Chaque fois que Jeyanayaky renconctre une femme, elle recherche le visage de sa fille disparue dans le leur. Cette dernière avait 16 ans au moment de sa disparition en 2009. Depuis, Jeyanayaky, 58 ans, a dû vivre avec un cancer du sein, entres autres ennuis de santé.
«Interagir avec d'autres personnes dans le groupe de soutien me permet de retrouver un peu de la santé mentale que nous avons perdue moi et ma famille» dit-elle les larmes aux yeux.
Bandula a adopté Leo, son chien, quelques mois après son retour de l’armée. Pour cet homme de 68 ans, l’adoption de Leo était une façon de se rapprocher de son fils, disparu depuis 2000, peu avant d’être nommé capitaine. Tout ce qui reste au père maintenant, c’est un certificat de décès temporaire. Il perçoit la pension de l’armée de son fils, qui l’aide à faire vivre la famille. «C’est douloureux», dit-il. «Chaque bouchée que je mange me rappelle mon fils». Huit ans plus tôt, Bandula a perdu le pied gauche à cause du diabète. Après plusieurs essayages, il a reçu récemment du CICR une nouvelle prothèse dans le cadre du Programme d'accompagnement – groupe d’entraide de pairs qui aident les familles de disparus à s’en sortir. Pour l’instant, il a Leo. «Leo est tout le temps là», ajoute-t-il. «Il attend avec moi sur la véranda que mes petits-enfants rentrent de l’école.»
Les deux filles de Jeyarani ont été piégées dans le conflit en 2009. La plus jeune est rentrée quelques mois plus tard ; après avoir échappé à ses ravisseurs, elle a retrouvé le chemin de la maison de ses parents. L’aînée n’est jamais revenue. Jeyarani s’est repliée sur elle-même, refusant de parler à qui que ce soit. Elle est allée aux séances de groupe du Programme d'accompagnement sur les instances de son mari. Le fait de rencontrer d’autres personnes qui éprouvaient des difficultés semblables aux siennes a été pour elle comme une catharsis. L’incertitude quant au sort de sa fille – est-elle morte ou encore en vie ? – la ronge jour après jour mais elle est en train d’apprendre à en parler. «Je crois qu’elle reviendra – un jour», dit-elle.
Meenamal aide sa belle-fille à tenir un petit atelier de confection. Des marchés de Colombo où règne une activité débordante au calme de la ville de Kandy, ses sacs, mules, peintures et robes fantaisie font partie d’un artisanat né du besoin des femmes de retrouver la stabilité après la disparition de leurs époux qui faisaient vivre la famille. Cette femme de 75 ans est fière de ce que sa belle-fille a réussi à monter après plusieurs années de lutte. «Elle arrive avec des idées de création et de motifs, explique-t-elle, et je l’aide chaque fois qu’elle a besoin de moi.»
Lorsque Krishanthy, qui est tamoule, a épousé un Cinghalais, sa communauté lui a battu froid. Quand son mari a été porté disparu début 2008, elle n’a reçu aucune aide de sa famille. La jeune épouse a dû se battre pour sa fille et pour elle-même les années qui ont suivi. «J’ai compris très vite que la société ne traite pas une mère célibataire avec beaucoup de respect», dit la jeune femme de 29 ans, en se souvenant des premières années. «J’ai dû apprendre à être autonome et à m’occuper de ma petite fille». Elle tient maintenant un centre d’enseignement pour enfants ; elle loue une petite pièce à Vavuniya, où elle donne des cours de cinghalais et de tamoul. L’argent qu’elle gagne l’aide à payer la scolarité de sa fille et le loyer de sa maison. «J’ai acheté les bancs avec l’argent que j’ai reçu du Programme d’accompagnement», dit-elle. «Cela m’a aidée à ouvrir mon centre d’enseignement.»
Longtemps après que les armes se sont tues, les familles continuent à rechercher leurs proches disparus dans un conflit. Elles vivent dans un état intermédiaire, ne sachant pas si leur proche est vivant ou mort.
Ces familles ont aussi besoin d'un soutien psychosocial, d'un coup de pouce pour se doter de moyens d'existence, et d'une assistance médicale, juridique et administrative. En 2015, le CICR a lancé à Sri Lanka un programme de soutien qui couvre tous ces domaines ; c'est le Programme d'accompagnement, qui a pour but d'aider les familles à s'en sortir.
Tant que ces familles n'auront pas eu de réponse à leurs questions, elles continueront à attendre leurs proches disparus.
• Le CICR a dénombré au total 16 000 personnes portées disparues dans le conflit.
• Plus de 6 000 familles ont reçu un soutien psychosocial et plus de 1 000 familles ont retrouvé des moyens d'existence depuis le lancement du Programme d'accompagnement.
• Les familles de disparus ayant besoin d'aide sur les plans administratif, juridique, médical et économique ont été aiguillées plus de 800 fois sur des fournisseurs de services.