Afghanistan : l’eau au cœur des témoignages des habitants de Qoliobchakan

07-02-2012 Éclairage

Un matin vers la fin de l’année dernière, Mir Ahmad Shah, un ingénieur eau du CICR, emmène trois de ses collègues féminines voir un projet sur lequel il travaille à Qoliobchakan, sur les hauteurs de Kaboul. Quelque 15 000 personnes déplacées par le conflit vieux de 30 ans en Afghanistan, dont beaucoup sont originaires de la vallée du Panshir, vivent dans ce lieu.

L’air est frais, et les premières neiges sont tombées sur les montagnes entourant Kaboul. Les uns après les autres, les habitants sortent de chez eux pour s’entretenir avec les visiteurs. La matinée est riche en récits remontant à trois décennies, sur les défis auxquels les femmes avaient et ont toujours à faire face, et sur cette eau dont personne ne peut se passer.

Qoliobchakan se dresse sur une pente abrupte à quelques kilomètres du centre de Kaboul. Pour atteindre les maisons toutes simples qui semblent ancrées dans les rochers, il faut emprunter des sentiers battus vertigineux. Pendant de nombreuses années, la communauté tirait son eau d’une pompe manuelle située au bas de la colline, près d’un cimetière. Remonter la pente avec des seaux et des bidons remplis d’eau était éreintant, un travail accompli principalement par les femmes. « Nous avions tellement de problèmes », se rappelle Malika, encore enfant à l’époque. Née à Qoliobchakan, la jeune femme a aujourd’hui 31 ans et est mère de huit enfants.

En 2003, la Croix-Rouge espagnole et le CICR ont travaillé ensemble pour permettre aux familles de disposer d’eau plus près de leurs foyers. Ils ont commencé par réaliser un forage dans une montagne avoisinante et par poser une conduite d’eau, puis ils ont installé un réservoir dans le haut de Qoliobchakan. Chaque jour à heure fixe, une petite station de pompage alimentait des robinets aménagés près des habitations. « Vous n’avez pas idée comme cela nous a changé la vie, poursuit Malika. Nous n’avions plus de problèmes. »

Un garde, payé par le service des eaux de Kaboul, partenaire du projet dès l’origine, a été recruté pour ouvrir et fermer la pompe.

Les années ont passé et davantage de familles fuyant l’insécurité et les troubles dans diverses régions de l’Afghanistan sont arrivées à Qoliobchakan. Elles ont construit des maisons tout aussi précaires sur les rochers, érigées encore plus haut dans la pente. La colline est progressivement devenue le dédale de foyers délabrés. Ces nouveaux habitants devaient descendre pour accéder aux robinets et ensuite remonter péniblement leurs récipients. En hiver, ce trajet était un cauchemar à cause de la neige et du verglas.

C’est pourquoi, en 2011, le CICR, a fait poser d’autres conduites et installé d’autres robinets plus près du sommet de Qoliobchakan. L’institution a aussi permis aux familles qui le souhaitaient d’être connectées à peu de frais au réseau de distribution d’eau à l’intérieur de leur maison. C’est précisément ces nouvelles conduites que Mir Ahmad Shah souhaite montrer à ses collègues.

Par cette belle mais fraîche matinée, un groupe de femmes invite les trois visiteuses à prendre le thé dans la maison du gardien, près de la station de pompage. Le jeune homme délègue souvent cette tâche à sa sœur de 13 ans, Mursal, l’hôte de nos visiteuses. Lorsqu’on lui demande si ce n’est pas trop lourd d’être responsable de l’eau de toute la communauté, la jeune fille répond timidement : « Tout le monde me connaît, mon travail est bien accepté. »

Malika, la jeune maman qui a témoigné de sa fatigue à aller chercher de l’eau quand elle était enfant, est elle aussi présente. Elle est assise à côté de Mursal sur un matelas couvert de coussins. Les murs couleur lilas et les rideaux violets donnent une teinte douce et mauve à la pièce, qui tranche avec le rouge du tapis afghan. Alors que chacune se sert de thé et de douceurs, la conversation passe de l’eau à d’autres questions pratiques.

« Je devais recevoir un certificat ce matin, explique Malika, mais je voulais passer du temps avec vous. J’irai le chercher cet après-midi. »

« Quel genre de certificat ? », demandent nos visiteuses.

« Un certificat attestant que je peux neutraliser un kamikaze », répond Malika à leur grande surprise. La jeune femme est, en fait, policière.

Ses mots ramènent toutes les femmes à la réalité. À boire du thé vert sur ce matelas et ces coussins douillets, elles en auraient presque oublié que l’Afghanistan est secoué par des guerres depuis 30 ans et que la population doit faire face quotidiennement à des problèmes autrement plus graves que le rationnement de l’eau et les travaux harassants.

C’est alors qu’entre la souriante Hamida, une femme corpulente, d’âge moyen, portant un vêtement ample noir et blanc et un foulard gris foncé. Elle s’assied lourdement sur les coussins et accepte une tasse de thé.

La conversation s’oriente à nouveau sur la vie à Qoliobchakan. « Ma famille est originaire de Panshir, confie Hamida, mais nous vivons ici depuis très longtemps. Je confirme tout ce que Mme Malika a dit sur les problèmes d’eau que nous avons connus par le passé. »

Estimant peut-être avoir mérité sa place au sein du groupe par sa remarque, Hamida en vient à des questions plus personnelles. « Je voudrais monter une ONG de développement », explique-t-elle en sortant un épais tas de documents et de lettres de recommandation d’une grande enveloppe. « J’ai besoin de financements. Est-ce que le CICR pourrait m’aider ? »

Les visiteuses lui expliquent que le CICR n’étant pas un bailleur de fonds, il ne peut malheureusement pas l’aider.

« Ah oui c’est vrai, je m’en souviens maintenant », déclare Hamida d’un air pensif, tout en souriant. « La Croix-Rouge n’est-elle pas venue en aide à des femmes et des veuves démunies à une époque ? » Fouillant à nouveau dans son enveloppe, elle en sort ce qui semble être un bon alimentaire.

« Oui, en effet, cela a fait partie de l’action du CICR dans les années 1990. »

Le petit groupe retrouve Mir Ahmad Shah, qui a attendu patiemment à l’extérieur, et s’engage sur les sentiers raides pour aller inspecter les nouvelles conduites qui s’étendent presque jusqu’au sommet de la colline. Le sentier est parsemé de rochers, ce qui rend la montée difficile. Des écoliers rentrant à la maison après leurs leçons se précipitent pour devancer les visiteurs, escaladant les rochers sans aucune difficulté.

La section supérieure de la conduite passe près des maisons les plus en amont. Des bidons jaunes sont alignés près d’un robinet, dans l’attente du début de l’approvisionnement en eau. La vue est spectaculaire. Kaboul s’étend aux pieds de la colline, sous le reflet des montagnes blanches.

Lorsque le groupe s’arrête pour se reposer, Mir Ahmad Shah explique ce qui a été fait. « Les travaux n’étaient pas difficiles à réaliser. Nous avons fourni les conduites et les fixations, et les membres de la communauté ont fait le reste. Ainsi, le projet leur appartient vraiment. »

Photos

Malika (au premier plan) et Hamida à l’extérieur de la maison d’Hamida. Les deux femmes vivent à Qoliobchakan depuis des années. 

Malika (au premier plan) et Hamida à l’extérieur de la maison d’Hamida. Les deux femmes vivent à Qoliobchakan depuis des années.
© CICR / J. Barry

Mir Ahmad Shah montre l’un des robinets à sa collègue Joana Cameira. De l’eau est disponible à intervalles réguliers pendant la journée.  

Mir Ahmad Shah montre l’un des robinets à sa collègue Joana Cameira. De l’eau est disponible à intervalles réguliers pendant la journée.
© CICR / J. Barry

Des habitants ont aligné leurs bidons en attendant le début de l’approvisionnement en eau.  

Des habitants ont aligné leurs bidons en attendant le début de l’approvisionnement en eau.
© CICR / J. Cameira

Mir Ahmad Shah décrit les travaux en cours en vue de l’installation des conduites.  

Mir Ahmad Shah décrit les travaux en cours en vue de l’installation des conduites.
© CICR / J. Barry

Devant les visiteurs, des écoliers gambadent dans les pentes abruptes.  

Devant les visiteurs, des écoliers gambadent dans les pentes abruptes.
© CICR / J. Barry