Le droit international humanitaire et les défis que posent les conflits armés contemporains

06-12-2003 Rapport

Atelier 1, XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève, 2 au 6 décembre 2003

  Note : le présent rapport n'engage pas le CICR.  

L’atelier, organisé conjointement par le Gouvernement suisse et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), s’est penché sur les principaux défis posés au droit international humanitaire (DIH) dans les conflits armés contemporains. Dans les situations où la protection de la dignité humaine est conditionnée par le respect du DIH, il est nécessaire que cette branche du droit offre des solutions qui, face aux nouvelles réalités de la guerre, garantissent aux personnes touchées par un conflit armé la protection complète de leur dignité.

Le professeur Marco Sassoli, de l’Université du Québec, a traité, entre autres choses, de la qualification de la « guerre contre le terrorisme ». Il n’a jamais été considéré que la guerre froide, qui a opposé communisme et capitalisme à l’échelon mondial, était un conflit armé international régi par le DIH, dans lequel les dissidents pouvaient être internés comme « combattants ennemis », même si certaines « batailles » de cette guerre d’idéologies ont effectivement pris la forme de conflits armés, parfois internationaux, comme les guerres du Viet Nam et de Corée, parfois non internationaux, comme les conflits en Amérique latine. La même approche doit être adoptée en ce qui concerne la qualification de la « guerre contre le terrorisme ». Chaque composante de cette lutte doit être analysée séparément afin de déterminer si elle constitue un conflit armé.

Le professeur Sassoli a souligné que si une situation équivalant à un conflit armé opposait deux États, celle-ci était régie par les règles du DIH applicables au x conflits armés internationaux. Cependant, si une telle situation impliquait un État et un groupe armé organisé, elle ne pouvait pas être régie par les règles du DIH, même si elle s’étendait au delà des frontières nationales. Il a discuté du point à partir duquel une situation de violence doit être qualifiée de conflit armé non international. Un certain nombre de facteurs doivent être pris en compte, notamment les tactiques utilisées : des opérations militaires coordonnées seraient un facteur suggérant que l’on est en présence d’un conflit armé. D’autres éléments sont à prendre en compte : le degré d’organisation et de discipline des parties à la situation de violence, l’intensité de la violence, du point de vue du nombre de participants et de victimes, et le contrôle exercé de facto par la partie non étatique sur certaines victimes. En revanche, la durée des violences est un critère moins pertinent.

Le professeur Sassoli a également examiné la protection des personnes dans une situation de conflit armé, qui exige que différentes branches du droit international soient appliquées en complément des règles du droit international humanitaire. Le droit des droits de l’homme s’applique dans les situations de conflit armé, même si la réalisation de certains droits peut être suspendue. Différentes questions peuvent, selon la situation, relever principalement soit du DIH, soit du droit des droits de l’homme. Par exemple, si les motifs d’internement des prisonniers de guerre sont régis exclusivement par le DIH, la détention de civils peut dans certains cas relever du DIH et dans d’autres du droit relatif aux droits de l’homme. La base permettant d’évaluer la licéité de la privation de liberté dans les conflits non internationaux est régie exclusivement par le droit des droits de l’homme et la législation nationale.

Dans sa présentation, le brigadier Githioria, chef des services juridiques du ministère kényen de la Déf ense, a traité de la mise en œuvre du DIH dans les conflits armés non internationaux. Il a souligné qu’il était un fait généralement admis qu’un grand nombre des règles sur la conduite des hostilités contenues dans les traités régissant les conflits internationaux faisaient désormais partie des règles coutumières de DIH applicables aux conflits non internationaux, y compris le principe de distinction, la définition des objectifs militaires, l’interdiction des attaques frappant sans discrimination et le principe de proportionnalité.

L’absence de mécanisme permettant de qualifier une situation de conflit non international et de déclencher l’application du DIH lorsque les États refusent de reconnaître l’existence d’un conflit, l’absence de mécanismes de contrôle tels que la Commission internationale d’établissement des faits pour les conflits non internationaux, le manque de formation et la faiblesse des structures de commandement des groupes armés organisés sont autant d’obstacles au respect du DIH dans les conflits armés non internationaux.

Pour surmonter ces problèmes, un certain nombre de moyens pratiques et d’incitations concrètes ont été suggérés. Par le biais des accords spéciaux prévus à l’article 3 commun aux Conventions de Genève, on pourrait peut-être donner aux groupes armés organisés la possibilité de consentir à être liés par tout ou partie des dispositions du DIH. On pourrait expérimenter de nouvelles méthodes de diffusion comme la radiodiffusion ou les techniques de formation faisant appel au folklore local. En ce qui concerne les mesures d’incitation à respecter le DIH, on pourrait accorder aux membres des groupes armés organisés « l’immunité du combattant » qui les mettrait à l’abri des poursuites en cas de simple participation aux hostilités – et non, bien évidemment, en cas de violations du DIH qu’ils pourraient avoir commises - ou encore proclamer une amnistie pour cette participation. Une autre possibilité serait de réduire les sanctio ns infligées en vertu du droit national, au motif de la participation aux hostilités. L’importance d’incitations stratégiques, comme le respect pour les captifs et la légitimité en tant qu’acteurs politiques qui peut découler du respect du DIH, a aussi été mentionnée.

M. Henckaerts, conseiller juridique à la Division juridique du CICR et coauteur de l’étude sur le droit coutumier, a mis en lumière quelques problèmes additionnels liés aux conflits armés non internationaux : le faible niveau de ratification du Protocole additionnel II par les États impliqués dans des conflits de ce type ; le fait que les groupes armés organisés n’ont pas exprimé leur consentement à être liés par le DIH ; et l’absence de règles détaillées régissant la conduite des hostilités issues du droit conventionnel en vigueur applicable aux conflits armés non internationaux.

L’étude du CICR sur le droit coutumier, qui s’intéressera aux règles applicables dans les situations de conflits armés non internationaux, apportera quelques réponses à certains de ces problèmes ; en effet, bon nombre des règles du DIH régissant la conduite des hostilités en cas de conflit armé international sont des règles coutumières applicables aussi aux conflits armés non internationaux. En ce qui concerne le fait que les groupes armés organisés n’ont pas déclaré leur consentement à être liés par le DIH, M. Henckaerts a fait remarquer que les accords spéciaux risquaient de ne couvrir que certaines règles, alors que les parties à un conflit armé sont liées par l’intégralité des dispositions du DIH. Ces accords spéciaux risquent de rester en deçà des obligations existantes. Il a aussi a estimé que l’absence de mécanismes d’exécution, et notamment l’absence de mécanismes destinés à tenir le groupe responsable de ses actes, constituait une lacune importante du système actuel.

Dans leurs interventions, M. Shin, directeur général du Bureau des traités du ministère des Affaires étrangère s de la République de Corée, et M. Bugnion, directeur du droit international et de la coopération au sein du Mouvement (CICR), ont présenté les nombreux mécanismes existants pour améliorer le respect du DIH durant les conflits armés. Ces mécanismes n’ont pas été suffisamment utilisés. Citons-en quelques-uns

  • la procédure d’enquête ouverte à la demande d’une partie à un conflit prévue dans les quatre Conventions de Genève. Cette procédure devant être convenue entre les parties, il a été pratiquement impossible d’y avoir recours. Des directives types sur l’emploi de cette procédure pourraient contribuer à résoudre ce problème.

  • La Commission internationale d’établissement des faits, prévue par l’article 90 du Protocole additionnel I. Bien qu’elle existe depuis quelques années et qu’elle se soit déclarée prête à enquêter aussi sur des incidents survenant durant des conflits armés non internationaux, la Commission n’a pas donné toute sa mesure faute de volonté politique. Ce problème pourrait trouver une de ses solutions si le Conseil de sécurité saisissait la Commission internationale d’une situation particulière par le biais d’une résolution contraignante.

  • le système des Puissances protectrices prévu dans les Conventions de Genève. Les États recourent rarement à ce mécanisme. Il serait possible de relancer cette procédure au moyen d’un traité prévoyant la désignation obligatoire et automatique d’une Puissance protectrice.

  • La coopération des États avec l’Organisation des Nations Unies, telle qu’elle est prévue dans le Protocole additionnel I. Des opérations de maintien ou d’imposition de la paix pourraient être mises en place pour faire face aux violations généralisées du DIH. Ce type de coopération est illustré par certains exemples remarquables comme la création par le Conseil de sécurité de tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.

  • La possibilité d’organiser des réunions des Hautes Parties contractantes, prévues par le Protocole additionnel I.

Le rôle important que joue le CICR pour assurer le respect du DIH a été souligné. Ce rôle pourrait être renforcé mais non d’une manière qui risque de compromettre la neutralité et l’impartialité de l’institution.

M. Bugnion a aussi rendu compte des travaux de cinq réunions régionales d’experts organisées par le CICR en 2003 pour trouver les moyens d’améliorer le respect du DIH, en évaluant les mécanismes existants et en menant une réflexion créative sur d’autres approches possibles, en particulier des conflits non internationaux. Dans tous les séminaires, les États ont réaffirmé l’importance que revêt l’obligation de respecter et faire respecter le DIH, établie dans l’article premier commun aux Conventions de Genève.

Les participants ont encouragé le CICR et ses partenaires à poursuivre leurs travaux en quête de méthodes nouvelles pour améliorer le respect du DIH, et à relancer les importants mécanismes qui existent déjà en nombre.

  Rapport préparé par le Comité International de la Croix-Rouge, Genève, septembre 2003 :  

 
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