Projet de protocole sur les armes à sous-munitions et autres questions à l’ordre du jour de la Conférence d’examende la CCAC

15-11-2011 Déclaration

Déclaration de Jakob Kellenberger, Président du CICR. Quatrième Conférence d’examen des États parties à la Convention sur certaines armes classiques, 14-25 novembre 2011, Genève, Suisse

Les conférences d’examen ne permettent pas seulement d’examiner des propositions visant à l’établissement de nouvelles normes, mais aussi de se rendre compte dans quelle mesure les engagements énoncés dans les protocoles en vigueur sont bien mis en œuvre. Elles sont aussi l’occasion de réfléchir à l’adéquation des protections existantes à la lumière de l’évolution des technologies et des pratiques militaires. Nous espérons que la quatrième Conférence d’examen consacrera suffisamment de temps et d’attention à tous ces objectifs.

Une des principales questions sur lesquelles se sont penchés les États parties depuis la dernière Conférence d’examen concernait un ensemble de mesures visant à mettre fin au coût humain inacceptable des armes à sous-munitions. Après cinq ans de travaux, deux projets de textes ont été soumis la Conférence pour examen. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se félicite que plusieurs pays détenteurs d’importants stocks d’armes à sous-munitions aient reconnu les graves conséquences humanitaires de ces armes et soient prêts à prendre des mesures positives dans ce domaine.

Le CICR est convaincu que la Convention sur les armes à sous-munitions traite de façon complète et efficace les problèmes d’ordre humanitaire associés aux armes à sous-munitions. Il a, néanmoins, constamment soutenu les travaux effectués dans le cadre de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC), certain que des règles pourraient être adoptées pour les États qui ne seraient pas prêts à adhérer à la Convention sur les armes à sous-munitions, et que ces règles constitueraient une réponse urgente qui ne serait pas en contradiction avec cette dernière, mais la compléterait.  

Le CICR est très sensible aux efforts résolus déployés par le président du Groupe d’experts gouvernementaux, M. Gary Domingo, et les amis du président pour aplanir des divergences importantes sur de nombreuses questions. Nous sommes tout à fait conscients que le projet de protocole interdirait l’utilisation de certaines armes à sous-munitions, à savoir celles qui ont été produites avant 1980, et que cela devrait, à terme, aboutir à la destruction de ces types d’armes. Ayant lancé, pendant des années, des appels à l’élimination des armes à sous-munitions imprécises et non fiables, nous ne pouvons que saluer ces mesures. Nous nous félicitons aussi que les dispositions prévues énoncent des engagements importants concernant la dépollution et l’assistance aux victimes. Cependant, ces mesures positives doivent être mises en balance avec le coût humain que représenteraient les quantités beaucoup plus grandes d’armes à sous-munitions dont l’emploi serait autorisé soit pendant 12 ans, soit indéfiniment.  

Pour diverses raisons que je vais préciser, le CICR reste convaincu que le projet de protocole soumis à cette conférence ne constitue pas une réponse urgente, ni une réponse adéquate, aux problèmes humanitaires causés par les armes à sous-munitions. Il risque au contraire de perpétuer ces problèmes à bien des égards.

Tout d’abord, le protocole proposé permettrait de continuer à utiliser toutes les armes à sous-munitions produites après 1980, y compris celles qui ne comporteraient pas de dispositifs de sécurité, pendant un maximum de 12 ans après son entrée en vigueur. Ainsi, même s’il entrait en vigueur dans deux ou trois ans, toutes les armes à sous-munitions ultérieures à 1980 pourraient être utilisées jusqu’en 2026. Si son entrée en vigueur était retardée, l’utilisation de ces engins pourrait se poursuivre encore plus longtemps.

Ensuite, le projet de protocole autorise les parties à utiliser indéfiniment les armes à sous-munitions produites après 1980 et dotées d’un seul dispositif de sécurité, même si l’on sait qu’un nombre important d’engins à sous-munitions ainsi équipés n’ont pas fonctionné comme ils l’auraient dû. Le coût humain de tels dysfonctionnements serait multiplié par le fait que le nombre de sous-munitions autorisé par arme ne soit pas limité.

Troisièmement, il est probable que le protocole proposé entraînerait un investissement à long terme dans la mise au point et la production d’armes à sous-munitions dotées d’un seul mécanisme de sécurité, et ce bien que de graves inquiétudes subsistent quant à la fiabilité et la précision de ces armes. Il est donc permis de douter que les États qui s’engageraient dans cette voie seraient prêts à adopter encore des restrictions ou des interdictions au cours des prochaines décennies.

Le CICR est particulièrement inquiet de ce que l’adoption du projet de protocole sous sa forme actuelle créerait un précédent regrettable dans le droit international humanitaire. Ce serait la première fois que les États adopteraient un instrument de droit humanitaire conférant aux civils une protection moindre que celle que leur confère un traité déjà en vigueur.  

J’ai exposé les préoccupations du CICR dans une lettre que j’ai envoyée en octobre aux ministres des Affaires étrangères de tous les États parties à la Convention sur certaines armes classiques. Si nous sommes tout à fait conscients que c’est aux États qu’incombe la responsabilité ultime d’adopter les instruments de droit international, nous les invitons à garder soigneusement à l’esprit les conséquences évoquées par le CICR lorsqu’ils prendront leur décision. Quelle que soit l’issue de cette réunion, nous demandons instamment à tous les États de faire le maximum, au niveau national, pour éviter que l’emploi d’armes à sous-munitions ne continue d’infliger des souffrances aux populations civiles.

Outre les décisions concernant le projet de Protocole sur les armes à sous-munitions, le CICR espère que la Conférence d’examen consacrera suffisamment de temps à examiner l’état de mise en œuvre et le fonctionnement de la Convention et de ses protocoles existants. À notre avis, on n’a pas passé assez de temps, ces dix dernières années, à évaluer la mise en œuvre des protocoles en vigueur, l’attention s’étant concentrée principalement sur la négociation de nouveaux instruments.

À la session d’août du Groupe d’experts gouvernementaux, le CICR a mis l’accent sur certains aspects de la Convention qui mériteraient un examen de fond. Il s’agit notamment des mécanismes de mise en œuvre des obligations découlant de la CCAC au niveau national, par exemple des questions de législation, de formation et de mesures administratives. Il convient aussi d’examiner dans quelle mesure les États ont établi des mécanismes permettant d’examiner la légalité des nouvelles armes qu’ils mettent au point ou acquièrent. Ces mécanismes sont nécessaires pour l’application des règles générales du DIH et sont exigés par l’article 36 du Protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève. L’importance de ces mécanismes d’examen a été soulignée dans les déclarations finales des deuxième et troisième Conférences d’examen.

Il conviendrait en outre d’évaluer si les civils bénéficient d’une protection suffisante contre les armes à effets incendiaires significatifs, et notamment d’examiner les dispositions du Protocole III sur les armes incendiaires. L’emploi qui a été fait de ces engins, par le passé, dans des zones densément peuplées met en évidence les dangers auxquels sont exposées les populations civiles et la nécessiter d’examiner plus avant cette question. Le CICR estime qu’il serait extrêmement utile d’examiner les aspects militaires, techniques, juridiques et humanitaires de ces armes soit dans le cadre du Groupe d’experts gouvernementaux de la CCAC, soit dans d’autres enceintes.  

Enfin, le CICR est convaincu que la présente Conférence d’examen offre une occasion importante de souligner la nécessité d’une mise en œuvre pleine et entière des prescriptions du Protocole relatif aux restes explosifs de guerre concernant l’enregistrement. Ces dispositions capitales, qui prévoient que les États parties devraient instituer des procédures nationales visant à enregistrer l’emploi et l’abandon de munitions explosives par leurs forces armées, sont essentielles au succès du Protocole. Il n’est toutefois pas certain que tous les États parties au Protocole V soient en mesure de s’acquitter de cette responsabilité. Il faut que de telles procédures soient en place et intégrées officiellement dans la doctrine et la formation, et fassent l’objet d’exercices réguliers. Si ce n’est pas fait, les États parties ne seront pas en mesure, pendant un conflit armé, de s’acquitter de leurs obligations en matière d’enregistrement et de conservation des renseignements nécessaires, ni d’utiliser ces renseignements pour faciliter les opérations de dépollution à la fin des hostilités actives.

Le CICR demande instamment aux délégations de veiller à ce qu’il soit procédé à un examen complet et approfondi de tous les aspects de cette importante convention de droit international humanitaire. Nous sommes sensibles à la possibilité qui nous est donnée de contribuer aux travaux de cette conférence, et serons heureux de nous exprimer, au moment opportun, sur plusieurs des thèmes présentés ici.

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Jakob Kellenberger, président du CICR
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