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RD Congo : réunifier des familles, un enjeu vital au Nord-Kivu

Deux collaborateurs du CICR en charge du rétablissement des liens familiaux
Jonathan Busasi / CICR

Dans la province du Nord-Kivu, dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), les conflits armés qui perdurent continuent de provoquer des déplacements massifs et répétitifs des populations. Alors que la crise s’étend sur plusieurs territoires, de nombreuses familles se sont soudainement retrouvées séparées pendant la fuite.

Les enfants sont les premières victimes de cette situation. Localiser et réunifier les membres d’une même famille, séparée par le conflit, est un travail périlleux, particulièrement dans un contexte en proie à une insécurité grandissante et à des difficultés d’accès.

Dans un village, à environ 80 km à l’ouest de Goma, un attroupement se forme dans la cour d’une maison. Sur une des nombreuses collines verdoyantes du territoire de Masisi, des enfants, des jeunes et des adultes se réunissent pour célébrer le retour de Safi* et Shukuru*. Agées de dix et huit ans, elles viennent de retrouver leur oncle paternel.

« Je les croyais déjà mortes », confie-t-il après d’interminables embrassades.

Sur les visages des filles, un mélange d’émotions est perceptible. Quand les affrontements ont éclaté dans la région, en mai 2024, leurs parents ont dû fuir, sans elles, vers la province voisine du Sud-Kivu. Depuis, elles n’ont plus eu de nouvelle d’eux.

« J’étais encore sceptique jusqu’à hier. Les voir arriver à la maison après plusieurs mois de recherches infructueuses relève d’un miracle !».

Pour l’occasion, les filles ont pu se choisir de nouvelles robes dans un marché de Goma. La veille, prévenu de leur arrivée imminente, tout le village était prêt à les accueillir. Mais, à cause du mauvais état des routes, empiré par les conditions météorologiques et des lignes de front à franchir ; les véhicules qui les transportaient ont été retardés. Les filles ont dû faire halte pour la nuit, à quelques kilomètres seulement de chez leur oncle.

« Pour mener à bien les réunifications familiales dans divers territoires du Nord-Kivu, il faut une bonne préparation en amont et particulièrement s'assurer de la sécurité de chacun », explique Salomon Muhindo, agent de Protection des liens familiaux du CICR qui vient de ramener Safi et Shukuru.

« Comme d’habitude, nous veillons à toujours notifier nos mouvements à toutes les parties au conflit afin de nous assurer de la sécurité de nos équipes et des enfants que nous accompagnons. À cela s’ajoute des problèmes logistiques parfois liés à l’état des routes qui sont dégradées notamment à cause des pluies. »

Sifflements de balles et vent de panique

Depuis l’intensification des conflits entre Forces Armées de la RDC et la branche armée du Mouvement du 23 mars (M23), en octobre 2023 au Nord-Kivu, ce sont des centaines de milliers de familles qui ont été obligées de fuir leurs maisons.L’ONU estime à 2.8 millions le nombre de personnes déplacées dans la province  [i]. Le territoire de Masisi, notamment, est le théâtre d’affrontements armés et connaît de fortes vagues des déplacements de populations.

« C’était un jeudi dans la matinée, il y a six mois. Sous la panique chacun avait pris la fuite, dans sa direction. Nous fuyions pensant que les hommes en armes allaient massacrer tout le monde », raconte une mère venue rencontrer Salomon.

Elle espère, elle aussi, retrouver son enfant dont elle a perdu la trace en même temps que Safi et Shukuru.

« C’était sauve-qui-peut, lorsque la rumeur annonçant des rapprochements des combats s’est propagée », ajoute-t-elle. Depuis ce jour, elle n’a aucune nouvelle de son enfant.

Dans la ville de Goma, parmi les zones restées plus ou moins épargnées jusque-là par les combats, la Division des Affaires Sociales (DIVAS) ne cesse d’enregistrer un nombre croissant d’enfants non accompagnés.

« L’augmentation est due au fait que les combats s’étendent sur plusieurs villages, dans divers territoires, et que les populations fuient vers des zones sécurisées », explique Guylain Ramazani, responsable des informations à la DIVAS.  « Il peut arriver que dans la panique les enfants prennent une route, par exemple celle menant vers Goma, alors que les parents, eux, fuient plus au nord vers le territoire de Lubero », précise-t-il.

Avant d’être reconduites dans leur village, dans le territoire de Masisi, Safi et Shukuru ont dû être hébergées pendant quelques semaines au Centre des Jeunes Don Bosco Ngangi à Goma. Comme elles, de nombreux autres enfants y sont logés à titre transitoire par le CICR lorsque leurs proches ont été localisés et que le processus de réunification est lancé.

Pour la Sœur Melpomène Kayiba, responsable de la maison Ushindi, composante du Centre des Jeunes Don Bosco, l’établissement accueille également de plus en plus d’enfants non accompagnés ces derniers mois. 
« Quand les combats faisaient rage, nous accueillions par semaine en moyenne cinq enfants. Pourtant, c'était le nombre mensuel avant l'intensification des affrontements », indique Sœur Melpomène.

réunifier des familles, un enjeu vital au Nord-Kivu

Un travail de longue haleine

Dans le camp de déplacés de Buhimba, dans la périphérie de Goma, Pascal Mutarushwa, volontaire et assistant du chef de bureau du département de Protection des Liens Familiaux (PLF) de la Croix-Rouge, circule dans les différents abris de fortune pour discuter avec des personnes déplacées. Il tente de collecter des informations sur le cas d’une petite fille de 10 ans dont le père a perdu la trace depuis cinq mois.

« Nous avions une piste selon laquelle l’enfant se trouvait dans une famille d’accueil à Mweso, à environ 116 km d’ici. Mais elle s’est de nouveau déplacée avec cette famille. Là, nous sommes venus essayer de trouver des informations additionnelles quant aux mouvements des populations et les différentes directions prises par les personnes dans la zone où elle se trouvait », explique Pascal.

Pour arriver à retrouver des membres de familles séparées, le CICR s’appuie sur un vaste réseau de plus de 500 000 volontaires de la Croix-Rouge à travers le pays. Au Nord-Kivu, ils étaient à plus de 17 600 au mois de mai 2024 à apporter leur aide. Et une trentaine parmi eux avaient reçu, comme Pascal, une formation en rétablissement des liens familiaux.

Pour faciliter leur travail, les volontaires en rétablissement des liens familiaux se munissent des formulaires appelés « Messages Croix-Rouge (MCR) » où ils notent les nouvelles familiales ainsi que les réponses des personnes à la recherche de leurs proches.

Pour sa mission de réunification dans le village de l’oncle paternel de Safi et Shukuru, dans le territoire de Masisi, Salomon, a également ramené avec lui tous les MCR précédemment écrits par des personnes à la recherche de leurs proches.

« Dites à ma mère que je suis restée au Nord-Kivu. J’habite près de Ngungu, et notre petite sœur est dans un village proche de Murambi avec une ancienne voisine. Notre frère est sans domicile fixe. Il dort où le sommeil le trouve », dicte Dina*, 20 ans, à Salomon, comme réponse au message de sa mère déplacée installée au Sud-Kivu.

Rechercher des personnes séparées de leur famille par le conflit est un travail conjoint entre le CICR et la Croix-Rouge nationale. Les volontaires de la Croix-Rouge, lors de ce processus, bravent d’énormes risques, parfois au péril de leur vie, afin de voir se dessiner un sourire sur le visage d’un enfant et de son ou ses proches.

« Les volontaires vivent au sein des communautés et quand les combats se rapprochent, ils fuient comme tous les autres membres de ces communautés », explique Pascal Mutarushwa. « Nous avons actuellement des zones entières dans différents territoires du Nord-Kivu qui sont sans point focal VRLF parce que tout le monde a fui. Dans ces conditions, les recherches prennent plus de temps avant d’aboutir. » 

Le CICR s’appuie sur un vaste réseau de plus de 500 000 volontaires de la Croix-Rouge à travers le pays.

Entre janvier et novembre 2024, 96 enfants non accompagnés affectés par la crise au Nord-Kivu ont été réunifiés avec leurs proches. Ils étaient 153, à la même période en 2023, lorsque la crise commençait à connaître sa résurgence.


*prénom d’emprunt

[i] OCHA