Merci, Madame l'Ambassadrice.
Excellences, chers délégués et chers collègues,
La réalité est claire : nous vivons une décennie définie par la guerre.
L'escalade militaire entre l'Iran et Israël risque de plonger la région – et au-delà – dans une situation incontrôlable, avec des conséquences dévastatrices pour les civils de part et d’autre. En parallèle, les conflits à Gaza, au Soudan, en Ukraine et ailleurs continuent de s'intensifier.
À ce jour, le CICR recense quelque 130 conflits armés. C'est plus que nous n’en décomptions il y a tout juste un an, et bien davantage qu'il y a 25 ans.
À l'heure où les guerres se multiplient, le respect du droit international humanitaire (DIH) est en crise, et cela menace le cœur de nos existences.
L’ampleur des destructions pousse les systèmes internationaux au bord du précipice. Les conséquences économiques des conflits d'aujourd'hui dépassent de loin les lignes de front et sapent le développement humain.
La violence sans retenue et ce que l’on appelle les guerres sans limites font le lit d'atrocités à venir. À une époque où les alliances se brouillent, le respect des règles de la guerre est peut-être le meilleur garde-fou dont les États disposent pour assurer la sécurité de leurs propres peuples.
Sinon, pourquoi les États auraient-ils eux-mêmes créé ces règles en s’appuyant sur leur expérience de deux guerres mondiales incroyablement destructrices ?
Et pourtant, malgré des décennies de consensus et d'avancées sur les traités humanitaires en vue de limiter les souffrances dues à la guerre, les fondements mêmes du DIH se trouvent à nouveau attaqués.
Il n'est plus nécessaire d'appuyer sur la détente pour être complice de crimes de guerre potentiels. Il en va de l’intérêt – et de la responsabilité – de chaque État d’inverser la tendance très dangereuse à l’érosion de l’espace normatif qui protège notre dignité humaine.
Pour ce faire, nous devons de toute urgence orienter nos efforts collectifs dans quatre directions:
Tout d’abord, il est possible de faire la guerre tout en en respectant les règles.
Empêcher les violations du DIH ne constitue pas seulement une obligation légale – c’est une obligation morale. Il s’agit d’une responsabilité d’ordre politique qui incombe en premier lieu aux gouvernements et aux chefs d’État.
La protection des hôpitaux, des lieux d’habitation, des écoles et des services essentiels est au cœur du DIH, et cette protection doit être élevée au rang de priorité dans toute stratégie, qu’elle soit diplomatique ou militaire.
Deuxièmement, nous devons préserver l’objectif humanitaire du DIH.
À l’heure où de nouvelles technologies émergent et où la nature même des conflits évolue, nous devons rester vigilants et adopter des mesures efficaces pour empêcher que ne s’élargisse notre tolérance aux souffrances humaines et à la destruction.
L’interprétation des règles de la guerre ne saurait varier selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre, ou en fonction de la nature du conflit.
Troisièmement, nous devons prendre conscience du fait que le respect du DIH est essentiel à la paix future.
Les guerres que nous connaissons aujourd’hui n’auront pas de vainqueurs. Il faut s’élever contre chaque conflit armé avec le dessein, à terme, d’un retour à la paix. Le respect du DIH peut contribuer à la médiation et à la réconciliation.
La paix peut commencer dans la cellule d’une prison. En permettant au CICR de rendre visite aux détenus de toutes les parties aux conflits, on empêche des disparitions et on entretient des liens familiaux vitaux, qui préservent l’espoir et la dignité.
Enfin, nous devons faire en sorte que l’aide humanitaire atteigne celles et ceux qui en ont besoin. Cette aide est manipulée et militarisée de façon odieuse, et les travailleurs humanitaires sont de plus en plus souvent pris pour cible et tués pendant qu’ils s’emploient à sauver des vies.
C’est intolérable.
Mais l’espoir existe.
En septembre dernier en effet, le CICR a lancé, avec l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, la France, la Jordanie et le Kazakhstan, une initiative mondiale visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du DIH.
Depuis, plus de 75 États ont rejoint cette initiative – ce qui donne une vive illustration de la pertinence du DIH et signale sans ambiguïté le fait que le monde n’est pas prêt à renoncer à son humanité face à la guerre.
Parmi ces États, 24 travaillent avec nos équipes juridiques dans le cadre de sept axes de travail qui aboutiront à l’élaboration de recommandations concrètes visant à améliorer le respect du DIH.
Il s’agira notamment d’établir de bonnes pratiques pour empêcher les violations, d’accompagner le développement de commissions nationales en matière de DIH, et de réfléchir à la façon dont ce dernier peut permettre d’éliminer les obstacles à la paix. Ces États œuvrent aussi à se mettre d’accord au sujet de la protection des infrastructures civiles – en particulier les hôpitaux –, des technologies de l’information et de la communication ainsi que de la guerre navale.
Au cours des dernières semaines, plus de 130 États ont pris part à des consultations sur ces sujets. Les 24 co-présidents étatiques collaborent maintenant étroitement avec notre équipe juridique afin de synthétiser les recommandations.
Ils proposeront un plan pour explorer plus avant certaines des idées avancées par les États et par d’autres parties prenantes lors des événements organisés en septembre à New-York et à Genève, avec comme objectif de nous emmener vers des mesures concrètes et, plus important encore, prises en toute indépendance pour contribuer à améliorer le respect des règles de la guerre d’ici à la fin de 2026.
Je remercie les six États à l’origine de l’initiative, les co-présidents des axes de travail, ainsi que les autres collaboratrices et collaborateurs qui nous aident à mener ce projet à bien. L’appel à l’action lancé en amont de la présente réunion, qui met fortement l’accent sur l’importance de respecter et de promouvoir le DIH, me semble également encourageant.
Chaque personne dans cette pièce – et chacun en dehors – a un rôle essentiel à jouer.
Je l’ai déjà dit, je le redis aujourd’hui avec plus encore d’urgence : l’humanité est en train de vaciller, et nous en sommes tous témoins.
Nous avons besoin de volonté politique pour endiguer cette vague si dangereuse.
Je vous remercie.