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Pakistan : les personnes déplacées en proie à un bouleversement social

17-09-2008 Éclairage

Les affrontements entre les forces gouvernementales et l’opposition armée se poursuivent dans la région frontalière aux confins de l’Afghanistan, et les civils leur paient un lourd tribut. Sitara Jabeen, un collaborateur du CICR, relate les problèmes culturels et sociaux auxquels sont confrontées les personnes déplacées sur la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan.

 

©CICR/A. Majeed/pk-e-00631 
   
Enfants à la corvée d’eau dans un camp pour personnes déplacées en provenance de Bajaur. 
         

Le conflit en cours entre les forces gouvernementales pakistanaises et l’opposition armée a connu une nouvelle flambée le 10 août dernier, contraignant des milliers de civils à fuir. S'il leur a été difficile d'abandonner leur foyer avec guère plus que ce qu'elles avaient sur elles, ces personnes, connues pour leur fierté, doivent aujourd'hui faire face au traumatisme émotionnel causé par la précarité dans laquelle elles se retrouvent, et qui se heurte aux valeurs profondément enracinées qui sont les leurs.

Les sept agences qui constituent les zones tribales sous administration fédérale (FATA) se trouvent sur territoire pakistanais, le long de la frontière avec l'Afghanistan. Dans ces montagnes, une alternance de verts luxuriants et de bruns arides constitue le décor d'une culture traditionnellement pacifique. On parle de la vallée de Swat comme de la «  Suisse de l’Asie  », et elle est renommée pour son climat très clément et sa grande richesse culturelle. Pour ces populations aussi hospitalières que fières, riches d’une culture qui puise ses racines dans une tradition ancienne, s’adapter aux conditions de vie d’un camp pour personnes déplacées est souvent très difficile. Pour une carte de la région, voir ReliefWeb  : Pakistan: Floods and IDPs (as of 5 Sep 2008) (en anglais uniquement).    
   
    Refuser de quitter Swat : les temps sont durs pour ceux qui restent    
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Une jeune veuve de 20 ans est en pleurs. Sa petite fille de quatre mois est tout ce qui lui reste depuis que des hommes armés ont fait incursion chez elle. Cette nuit-là, après avoir fait sortir les femmes, ils ont incendié la maison avec tout ce qu’elle contenait. Puis ils ont ouvert le feu sur cinq hommes de sa famille. Son mari, le père de celui-ci et un de ses fils ont été exécutés sous ses yeux. Deux autres de ses beaux-frères ont pu s’échapper. Les balles lui ont enlevé l’homme avec qui elle devait passer sa vie. Quant aux flammes, elles ont effacé toute trace qui aurait pu le lui rappeler. Dorénavant, cette jeune mère élèvera seule sa fille, qui grandira sans l’amour et l’affection de son père. Toutes les photographies étant parties en fumée, elle ne saura jamais à quoi il ressemblait. 
         

Beaucoup ont fui les combats qui font rage dans le district de Swat, mais bien plus nombreux sont ceux qui sont restés. Des raisons très diverses poussent certains à ne pas partir, qui vont de l'attachement à leur terre d'origine à l’appréhension des conditions qui les attendent dans les camps pour déplacés, en passant par la crainte des pillages. Quoi qu’il en soit, vivre dans une région en proie à la violence armée est extrêmement éprouvant.

La pénurie de denrées al imentaires apporte son lot de problèmes. La vie économique est paralysée   : les magasins sont fermés et les marchés ne sont plus ravitaillés. Les résidents locaux dépendent de l’aide extérieure pour la fourniture de vivres, de médicaments et d’autres articles de première nécessité. Traditionnellement, les habitants du district de Swat ont toujours vécu dans l’aisance. Cette dépendance subite constitue pour eux une atteinte à leur dignité et une source d’abattement. Ces personnes qui, jusqu'à il y a peu, jouissaient d’un niveau de vie élevé peinent aujourd’hui à assurer abri et subsistance à leur enfants.   Fuir Bajaur       : les temps sont durs pour ceux qui partent  

Bajaur est l’une des agences qui constituent les FATA. Plus de 200 000 personnes déplacées de Bajaur vivent actuellement dans des camps situés dans la province de la Frontière du Nord-Ouest.

La plupart de ces personnes se sont enfuies de chez elles le 10 août, lorsque le conflit s’est soudainement intensifié. Elles n’ont pas eu le temps de rassembler leurs biens, et dépendent aujourd’hui complètement de l’aide extérieure. La température, qui avoisine quarante degrés, rend les conditions d’hygiène des camps surpeuplés encore plus désastreuses.

Un autre problème que pose la vie dans ces camps réside dans le fait que les habitants de cette région sont habitués à vivre dans des maisons strictement organisées en fonction des sexes. Il est interdit aux femmes d'être vues par des hommes autres que leurs proches parents. Vivre dans des tentes constitue donc un énorme bouleversement de la vie sociale et de la routine quotidienne. Chez ell es, les femmes peuvent enlever leur voile en l’absence d’hommes étrangers au cercle familial. Dans les camps, où les hommes sont susceptibles de les apercevoir à tout moment, elles doivent rester couvertes de la tête aux pieds 24 heures sur 24. Dans ces conditions, il leur est impossible de se laver. Selon Wasif, un collaborateur local du CICR qui a récemment effectué des distributions de secours dans les camps, «    ces femmes n’ont pu se laver ni les mains ni le visage depuis plus de dix jours ».  
©CICR/A. Majeed/pk-e-00636 
   
Le CICR distribue des articles ménagers de première nécessité à des personnes déplacées en provenance de Bajaur. 
          Mais les femmes ne sont pas les seules à avoir la vie dure dans les camps. Et Wasif d'ajouter     : « Ce sont les enfants qui me touchent le plus. Lorsqu’ils ont vu venir notre véhicule, ils se sont pressés autour, un à un ; très rapidement, ils étaient entre 50 et 60. Tous en haillons, le visage crasseux ; leurs magnifiques yeux bleus et leur jolie peau ternis par les épreuves qu'ils avaient traversées. Leurs traits à tous trahissaient la tristesse, le trouble et l’inquiétude. D u regard, ils imploraient l’espoir et la sécurité. Leur peau, qui auparavant était si saine, s’était parcheminée, et ils souffraient de diarrhée en raison de la pénurie d’eau, à cette saison où tout le monde transpire abondamment. Favorisées par ces mauvaises conditions d’hygiène, les épidémies sont en train de se propager. Ces enfants ont besoin d’aide. » Wasif connaît les habitants de la région et il les respecte. «     Leurs normes sociales sont toujours très fortes. Ce sont les personnes les plus hospitalières du pays : ils te donneront tout ce qu’ils possèdent, ne serait-ce qu’un verre d’eau. Tu seras toujours leur hôte. Mais attention ; s'ils ont l'impression que tu leur manques de respect ou que tu rejettes leurs valeurs culturelles, ils peuvent se fâcher pour de vrai. » «    Le CICR mène des activités de part et d’autre de la frontière, si bien que beaucoup des personnes déplacées connaissent l’institution. C’est toujours un plaisir pour nous qui travaillons sur le terrain, lorsqu’on nous accueille chaleureusement ». Si le passé pacifique de Swat et des FATA risque rapidement de ne plus être qu’un souvenir, il passera plus de temps avant que les habitants de ces régions retournent à une vie normale. Maintenant, c’est une réponse globale qui s'impose   : il ne s’agit pas uniquement de répondre à leurs besoins matériels, mais il faut aussi leur donner les moyens de recouvrer leur dignité.