Ouganda : repartir de zéro

21-05-2008 Éclairage

La sécurité s’étant améliorée dans le nord de l’Ouganda, de nombreuses personnes déplacées retournent dans leur foyer. Après des années d’absence, les difficultés qu’elles rencontrent sont multiples. Iolanda Jaquemet décrit l’expérience de ces personnes et les programmes du CICR visant à aider les plus vulnérables à recommencer une nouvelle vie.

Filda Monango, son époux et leurs deux enfants sont revenus à Paludar à la mi-mars, presque dix ans après avoir été forcés d’abandonner leur village situé dans l’extrême nord de l'Ouganda pour sauver leur vie, laissant derrière eux tout ce qu'ils possédaient.

 
« Ici, je me sens enfin libre. » 

 

« En voyant tant de personnes quitter le camp pour retourner dans leur foyer ces derniers mois, j’ai compris que nous étions hors de danger, explique Filda. Ici, je suis sur mes propres terres, j'ai retrouvé mon clan. Ici, je me sens enfin libre. » Tout en parlant, elle ne quitte pas des yeux son mari et son frère, qui s’affairent à mélanger de l’eau et de la terre dont ils enduisent les murs de la hutte ronde qui sera bientôt leur maison.

Les habitants du nord de l'Ouganda se déplacent à nouveau, 10 voire 20 ans après avoir fui les affrontements opposant l'Armée de résistance du Seigneur aux forces gouvernementales. Au plus fort du conflit, 1,7 million d’entre eux ont quitté leur foyer pour se regrouper dans des camps pour personnes déplacées. 

  Les départs des camps se multiplient  

Après que les parties au conflit ont signé un accord de cessation des hostilités au milieu de l’année 2006, les conditions de sécurité se sont sensiblement améliorées sur le terrain. Le mouvement lent mais régulier des personnes déplacées quittant les camps surpeuplés s’est accéléré. Le long des chemins de terre ocre du nord du pays, des groupes de paysans s’emploient désormais à d éfricher les champs laissés à l’abandon de nombreuses années.

La situation n’est pas facile, comme le souligne Filda Monango : « À 39 ans, je devrais avoir beaucoup de bétail et un ménage bien installé. Au lieu de cela, je n’ai pas plus de biens qu’une femme récemment mariée. » Christine Cipolla, chef de la sous-délégation du CICR à Gulu, résume les difficultés que rencontrent les personnes rentrées chez elles : « Des buissons denses ont recouvert les champs, les sources se sont asséchées, les routes d’accès ne sont plus que des sentiers étroits. » En outre, les villages n’ont ni les dispensaires, ni les écoles secondaires qui avaient été mis en place autour des vastes camps.

     
    ©CICR/P. Yazdi      
   
    Champs aux alentours du village d’Apyeta, dans le district de Kitgum. Dans le cadre du programme agricole « argent contre travail » du CICR, ces agriculteurs défrichent leurs champs laissés à l’abandon depuis longtemps.      
         

  Les personnes revenant dans leur village décident du soutien dont elles ont besoin  

À Paludar comme ailleurs, le CICR s’adapte à l’évolution de la situation. « Après avoir prêté assistance aux personnes déplacées dans les camps durant des années, nous sommes actuellement dans une phase de transition », explique Michel Meyer, chef de la délégation du CICR à Kampala. « Nous suivons les communautés qui ont pris l’initiative de retourner dans leur région d’origine, nous leur demandons quels sont leurs besoins et nous déterminons comment nous pouvons les aider au mieux. »

Au début de l’année, le CICR a distribué des semences et des outils agricoles à quatre déplacées sur dix dans les quatre districts d’Acholi, soit 400 000 bénéficiaires au total. Parmi eux, 40 000 personnes revenues chez elles, choisies parmi les plus défavorisées, seront également associées à un programme « argent contre travail ».

« Nous rémunérons les participants en espèces et au tarif local pour qu’ils cultivent leurs champs, qui ont été longtemps laissés à l’abandon, » explique Janet Angelei, coordonnatrice du CICR chargée de la sécurité économique. « Les participants pourront également vendre une partie de leurs récoltes. Ils parviendront ainsi à l’autosuffisance alimentaire et pourront utiliser l’argent qui leur reste pour couvrir les dépenses récurrentes comme l’écolage et les frais médicaux. »

  Le programme « argent contre travail « repose sur la solidarité  

L’un des aspects novateurs du programme est la solidarité de groupe. Chaque groupement de 15 à 25 paysans compte quelques familles vulnérables – essentiellement des personnes âgées, mais également des veuves, des ménages dirigés par des enfants, ou des personnes souffrant de maladies chroniques telles que le sida. Les personnes valides s’attellent aux travaux les plus difficiles, tandis que les membres plus faibles assument des tâches moins pénibles comme ramasser du bois ou ensemencer les champs.

 

   
    ©CICR/P. Yazdi      
   
    Village d’Apyeta, dans le district de Kitgum. Joseph Alana et sa femme assis sous le manguier qu’il a lui-même planté il y a de nombreuses années.      
        Dans quelques mois, le programme « argent contre travail » ciblera les infrastructures des villages. « Les communautés définiront leurs priorités, par exempl e améliorer les routes d'accès, protéger les sources ou construire des hangars pour entreposer les récoltes, et nous leur apporterons notre soutien », précise Janet Angelei.

Joseph Alana est l’une des personnes vulnérables bénéficiant du programme « argent contre travail » du CICR. À 67 ans, il a finalement pu revenir à Apyeta, son village d’origine situé non loin de Paludar, où 101 ménages ont été associés au programme. Il reste aujourd’hui profondément marqué par la mort de sa femme et de ses trois fils, qui ont péri dans les affrontements, et par son long exil. « Au moins, j'ai retrouvé l'arbre que j'ai planté de mes propres mains il y a fort longtemps », dit-il en montrant le manguier majestueux qui se dresse au-dessus de lui. « Ici, je ne suis pas à l’étroit comme dans le camp et je laboure mes propres champs au lieu de travailler comme journalier. Je suis si heureux que des personnes comme moi soient intégrées aux projets du CICR. »

Le retour est plus mitigé pour la jeune génération, qui connaît mal l’agriculture et avait trouvé de nouvelles possibilités dans les camps s’apparentant à des villes. À Apyeta, Francis Obedi, âgé de 22 ans, est heureux de participer au programme de travail contre rémunération : « Mon père est handicapé mental, et je suis responsable de ma mère et de mes frères et sœurs plus jeunes. Mais ce que je souhaite par-dessus tout, c’est passer l’examen de l’école secondaire et trouver ensuite du travail en ville. Ici, il n’y a qu'une école primaire, rien d'autre. »

Aujourd'hui, il se réjouit de mettre de l'argent de côté et de pouvoir reprendre ses études après deux ou trois moissons. À ses côtés, sa mère approuve d'un hochement de tête. Elle comprend que pour Francis, la « liberté » n'a pas la même signification que pour quelqu'un qui a été agriculteur toute sa vie.