Népal : les femmes et leurs proches disparus

06-03-2012 Interview

Plus de 1 400 personnes – des hommes pour la plupart – sont encore portées disparues à la suite du conflit armé qui a sévi au Népal pendant dix ans. Épouses ou mères ont dû assumer le rôle d’« homme de la famille ». Dans la perspective de la Journée internationale de la femme (8 mars), Sylvie Thoral, chef de la délégation du CICR au Népal, nous explique comment elles font face à la situation.

Quelles conséquences la disparition d’un proche a-t-elle pour les femmes népalaises ?

Une femme dont le mari ou le fils a disparu pendant le conflit armé vit dans l’angoisse de ne pas savoir si ce dernier est toujours en vie. Elle doit faire face à l’incertitude qui entoure la perte de cet être cher, se demandant en permanence si elle doit se résoudre à accepter l’idée de son décès ou continuer à espérer son retour. Les familles des disparus ont besoin de réponses. Elles doivent savoir avec certitude ce qu’il est advenu de leurs proches afin de pouvoir accomplir les derniers rituels, commencer leur processus de réconciliation avec le passé et reprendre le cours de leur vie.

Les femmes dont le mari a disparu pendant le conflit sont stigmatisées au sein de leurs communautés. Ne sachant pas ce qu’il est advenu de leur conjoint, bon nombre ne se conforment pas aux traditions qui dictent la manière dont une veuve devrait se vêtir et se comporter. Les communautés ne comprennent pas leur attitude, et elles se retrouvent alors isolées, sans personne vers qui se tourner.

L’absence d’un époux ou d’un fils entraîne des difficultés économiques et des souffrances dans les familles. Les femmes doivent lutter pour satisfaire les besoins essentiels de leurs proches, notamment pour leur procurer de la nourriture et permettre aux enfants d’aller à l’école. Dans la mesure où les disparus n’ont pas de statut juridique au Népal, leur épouse se heurte à des obstacles administratifs et juridiques lorsqu’elle souhaite par exemple revendiquer une propriété afin d'aider la famille à surmonter les difficultés économiques.

Que fait le CICR pour répondre aux besoins particuliers des femmes dont des proches sont toujours portés disparus ?

Notre priorité est de créer un environnement propice pour que ces femmes puissent s’entraider et obtenir l’aide de professionnels en vue de surmonter les difficultés économiques et juridiques engendrées par la disparition des soutiens de famille.

Nous avons mis sur pied un programme communautaire basé sur des groupes de soutien, dans le but d’atténuer la détresse et les difficultés des épouses et des mères des disparus. Ce programme offre un cadre où ces femmes peuvent se rencontrer, nouer de nouvelles relations et exprimer leurs inquiétudes, leur permettant ainsi de commencer à aller de l’avant. Il s’agit de les aider à fonctionner à nouveau aux niveaux individuel, familial et communautaire. Cette approche englobe les aspects émotionnels, culturels et religieux qui entourent la disparition d’un proche et répond aux besoins de soutien communautaire. Le programme comprend notamment des services de conseil professionnel fournis par des personnes formées à cet effet, des groupes de soutien axés sur certains thèmes et des spectacles de rue destinés à sensibiliser les communautés aux problèmes rencontrés par les familles des disparus et à favoriser un soutien communautaire.

En quoi le programme a-t-il contribué à améliorer la situation de ces femmes ?

Une évaluation initiale du programme conduite auprès de 250 femmes a montré que leurs conditions de vie s’étaient notablement améliorées. L’assistance dont elles ont bénéficié a eu un effet positif sur leur vie familiale et communautaire, et leur a permis de constituer des réseaux sociaux qui ont contribué à pallier la stigmatisation sociale et culturelle découlant de leur statut. Des cérémonies commémoratives sont par exemple organisées pour les proches absents, dans le respect des croyances culturelles et spirituelles liées à la disparition. Cela aide les femmes à faire leur deuil et à tourner cette page douloureuse de leur vie. La participation des communautés à de tels événements apporte acceptation et dignité aux épouses et mères des disparus.

Que peut-on faire de plus pour aider les épouses et les mères des disparus ?

Nous travaillons en coopération avec des organisations à base communautaire et des ONG internationales spécialisées dans le développement microéconomique et la formation professionnelle afin d’aider ces femmes sur le plan économique. Dans certains cas, nous coordonnons le soutien juridique et administratif qui leur est apporté pour qu’elles puissent obtenir une aide provisoire du gouvernement et des bourses d’études pour leurs enfants. Entre 2006 et 2009, avant que le gouvernement ne lance son programme d’assistance, le CICR et la Croix-Rouge du Népal ont apporté un soutien économique pour aider les familles touchées par le conflit à rétablir leurs moyens de subsistance. Plus de 60 % de ces foyers comptaient des femmes comme chef de famille.

Nous nous attachons à faire connaître les besoins des familles des disparus à la population en général, aux organismes gouvernementaux chargés des indemnisations ou des aides provisoires et aux autres entités pouvant apporter une assistance. En outre, nous entretenons, au nom des familles des disparus, un dialogue confidentiel avec les anciennes parties au conflit, afin de faire la lumière sur le sort de ces personnes.

Comment le CICR maintient-il le contact avec les familles des personnes disparues ?

Les collaborateurs du CICR et de la Croix-Rouge du Népal coopèrent étroitement pour maintenir le contact avec ces familles. Ils doivent parfois marcher pendant des jours pour atteindre celles qui se trouvent dans les régions les plus reculées du pays, certains endroits étant inaccessibles en véhicule en raison de la nature montagneuse du terrain. Ce contact permet aux familles d’être informées lorsque des éléments nouveaux apparaissent et d’obtenir l’aide du gouvernement à laquelle elles ont droit. Le CICR dispense en outre des formations aux volontaires de la Croix-Rouge du Népal qui rencontrent les familles.

Photos

Sylvie Thoral 

Sylvie Thoral
© CICR

Des femmes participent à un groupe de soutien pour les épouses et les mères de disparus.  

Des femmes participent à un groupe de soutien pour les épouses et les mères de disparus.
© CICR

Des épouses et mères de disparus avec leurs familles lors d’une cérémonie commémorative en l’honneur de leurs proches absents.  

Des épouses et mères de disparus avec leurs familles lors d’une cérémonie commémorative en l’honneur de leurs proches absents.
© CICR

Des chèvres fournies par des organisations partenaires dans le cadre de programmes d’assistance microéconomique en faveur des familles de disparus.  

Des chèvres fournies par des organisations partenaires dans le cadre de programmes d’assistance microéconomique en faveur des familles de disparus.
© CICR