RD Congo : des civils sous tension à Béni

18-11-2014 Interview

Le territoire de Béni, dans le nord de la province du Nord-Kivu, est depuis plusieurs années marqué par la violence liée au conflit entre le groupe armé ougandais Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces – ADF) et l'armée de la République démocratique du Congo (RDC). Enlèvements, meurtres, attaques, déplacements,les conséquences sont multiples pour la population. Arnaud Meffre, chef du bureau du CICR à Béni décrit le regain de violence actuel et rappelle la nécessité de respecter et protéger la vie humaine.

Quelle est la situation à Béni et dans sa région ?

Béni, Nord-Kivu, 2014. Arnaud Meffre, Chef du bureau, après une visite terrain à Masika, zone inaccessible par voiture, dans le territoire de Lubero. 

Béni, Nord-Kivu, 2014. Arnaud Meffre, Chef du bureau, après une visite terrain à Masika, zone inaccessible par voiture, dans le territoire de Lubero.
/ CC BY-NC-ND/CICR/Anicet Mukosasenge

Près de 120 habitants ont été attaqués et tués dans les environs de la ville de Béni entre le 2 octobre et le 1er novembre. Parmi les dizaines de blessés qui ont survécu aux attaques, certains présentent de graves blessures consécutives à des tentatives de décapitation ou de démembrement  à l’arme blanche. Une peur proche de la psychose s’est emparée des habitants des quartiers et villages avoisinants. Nous avons été particulièrement choqués par ces attaques indiscriminées dont la plupart des victimes sont des femmes et des enfants. La vie et la dignité des personnes civiles doivent pourtant être respectées ! 

Des milliers de familles sont parties de chez elles pour trouver refuge dans des centres urbains comme Béni, ou dans la Province orientale plus au nord. Les chiffres sont difficiles à obtenir, mais on parle de plusieurs milliers de déplacés. Ces personnes sont pour la plupart hébergées par des familles d'accueil. D’autres logent dans des églises ou des écoles. Ainsi, certains de mes collègues qui vivent à Béni accueillent des proches qui ont fui leur domicile. Si la solidarité est très forte dans la région, l'accueil des déplacés représente un poids additionnel pour les familles hôtes. Mais comme les attaques ont surtout lieu la nuit, certaines personnes déplacées peuvent travailler dans leurs champs durant la journée et ainsi rapporter de quoi nourrir une partie de la famille.

Quelles actions ont pu entreprendre la Croix-Rouge et le CICR?

Lorsque le nombre de morts et de blessés est si élevé, le plus urgent est d’évacuer rapidement les blessés vers les structures médicales où ils pourront être soignés. Il faut également ramasser rapidement les corps de ceux qui ont été tués afin de rendre les dépouilles aux familles qui pourront ainsi les inhumer dans le respect des coutumes. Ce sont les volontaires de la Croix-Rouge de la RDC qui se chargent courageusement de cette tâche difficile. Le CICR soutient cette action en fournissant des sacs mortuaires, du chlore, des gants et des masques de protection. 

 


Béni, Nord-Kivu, 2014. Evacuation d'une femme blessée du territoire de Béni vers Goma, où elle sera prise en charge par l'équipe chirurgicale du CICR. CC BY-NC-ND/CICR/Musuba Kivasuvwamo

Concernant les blessés, en six semaines, le CICR a évacué et pris en charge 27 civils blessés par balle ou par arme blanche. Nos équipes ont ramené à l’hôpital de Ndosho à Goma un bébé de 4 mois, blessé par balle au bras. Sa mère, son frère et sa sœur étaient morts durant une attaque. Le CICR a pu localiser le père de l’enfant qui prendra soin de lui lorsqu'il sera guéri. Avec d'autres organisations partenaires, nous préparons aussi le retour chez eux d’une cinquantaine d'enfants et d’adultes qui ont été séparés de leurs familles par le conflit en cours, et nous organisons le rapatriement de quatorze enfants et d’une adulte particulièrement vulnérable vers l'Ouganda, où d’autres membres de leurs familles ont été localisés. D’autre part, depuis le début de l'opération militaire menée par l'armée de la RDC contre les ADF en janvier 2014, le CICR a régulièrement visité les personnes arrêtées en lien avec le conflit. Il a suivi ceux qui avaient besoin d'être hospitalisés, facilité le contact avec les familles et rappelé aux autorités leurs obligations vis-à-vis de ces prisonniers.

 


Béni, Nord-Kivu, 2014. Quatorze enfants et un adulte, qui avaient été séparés de leurs familles, en route pour retrouver les leurs en Ouganda. CC BY-NC-ND/CICR/Prosper Sebuhire

Dans quelles conditions travaillez-vous ?

La dégradation des conditions de sécurité, les attaques à répétition et les rumeurs incessantes ont créé un climat tendu au sein de la population. Certains personnes s’en prennent à la force internationale, d’autres rendent parfois une justice populaire expéditive. Au vu de la situation, les autorités de la ville de Béni ont décrété un couvre-feu de 18 h 30 à 6 heures du matin. Pour nous, il est fondamental de maintenir le dialogue avec les représentants des autorités, de la société civile de la ville et du territoire de Béni. Même si nous estimons que les conditions ne sont pas réunies pour que nos équipes accèdent sans risque à certaines zones, où nous n’avons pas suffisamment de garanties quant à l’acceptation de notre travail, nous arrivons tout de même à intervenir pour les cas d'urgence. Grâce à la Croix-Rouge de la RDC et aux personnes que nous connaissons dans la zone où se déroulent des activités militaires, nous arrivons à faciliter et à organiser l'évacuation des blessés de guerre civils aussi rapidement que possible.


Le Bureau de Béni a ouvert en 2007, et près de 60 personnes y travaillent, dont 4 expatriés. Ses équipes s’emploient à alléger les conséquences des conflits et de la violence pour les personnes civiles, les blessés et les détenus.