Agence centrale de recherches du CICR : un demi-siècle de rétablissement des liens familiaux
07-04-2010 Interview
L'Agence centrale de recherches du CICR fournit différents services de recherche de personnes dans le monde entier, afin de permettre aux détenus et aux civils touchés par des conflits, des catastrophes ou d'autres situations telles que les migrations, de rétablir le contact avec des membres de leur famille. À l'occasion du 50e anniversaire de l'Agence, le conseiller historique du CICR et la directrice adjointe des opérations parlent de son évolution et de ses activités actuelles.
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Photos : l'Agence centrale de recherches du CICR a 50 ans

Le CICR célèbre le cinquantième anniversaire de l’Agence centrale de recherches, mais l’institution conduit des opérations de recherche de personnes depuis sa création. Comment ces activités ont-elles commencé ?
Le premier geste qui illustre ce qui deviendra l'Agence de recherches du CICR est accompli par Henry Dunant en 1859, lors de la bataille de Solferino. Celui qui contribuera ensuite à créer la Croix-Rouge écrit, dans son récit Un souvenir de Solferino : « Un jeune caporal d'une vingtaine d'années, à la figure douce et expressive, nommé Claudius Mazuet, a reçu une balle dans le flanc gauche, son état ne laisse plus d'espoir, et il le comprend lui-même, aussi après que je l'ai aidé à boire il me remercie, et les larmes aux yeux il ajoute : “Ah ! Monsieur, si vous pouviez écrire à mon père, qu'il console ma mère !” Je pris l'adresse de ses parents, et peu d'instants après il avait cessé de vivre. »
Dunant ajoute en note : « Les parents, qui demeuraient rue d'Alger, 3, à Lyon et dont ce jeune homme, engagé comme volontaire, était le fils unique, n'ont eu d'autres nouvelles de leur enfant que celles que je leur ai données : il aura été, comme tant d'autres, porté “disparu” ».
Quand les recherches sont-elles devenues l’un des principaux domaines d’activité du CICR ?
Le travail de maintien et de réunion du lien familial effectué par la Croix-Rouge connaît ensuite une fortune remarquable sous le nom d'Agence de Bâle lors de la guerre franco-prussienne de 1870.
Mais c'est durant les Première et Deuxième Guerres mondiales, respectivement sous le nom d'Agence internationale des prisonniers de guerre puis d'Agence centrale des prisonniers de guerre, qu'elle gagne une place capitale au centre de l'action humanitaire du CICR. À tel point d'ailleurs que durant la guerre de 1914-1918 le CICR se fond entièrement dans l'Agence et ne reprendra une activité autonome qu'en 1919.
En 1960, l'Agence prend le nom d'Agence centrale de recherches. En quoi ce changement est-il significatif ? A-t-il été motivé par un événement particulier ?
Le CICR entend manifester ainsi qu'il prend en compte les victimes de conflits armés de caractère interne ou même de troubles intérieurs, que les autorités intéressées refusent souvent de considérer comme des événements de guerre au sens habituel du terme.
En effet, à partir de 1945, l'activité de l'Agence touche de nouvelles catégories de personnes, des civils en liberté, des réfugiés. Elle procède à des regroupements de familles et à la recherche de captifs et de disparus dans les conflits internes, auxquels les gouvernements refusent la qualité de belligérants.
En 1960, l'ancienne dénomination ne correspond plus aux nouvelles activités du CICR, celles menées durant les conflits de la guerre froide, comme l'insurrection hongroise de 1956, ou liés à la décolonisation, comme la guerre d'Algérie ou la révolte des Mau-Mau au Kenya. De plus, le CICR envisage la possibilité que l'Agence étende son activité à la recherche de victimes de catastrophes naturelles, comme cela avait été le cas après le séisme d'Agadir au Maroc en 1960. Il fallait donc que la nouvelle désignation n'y fasse pas obstacle.
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Le CICR a une longue expérience en matière de recherches. En quoi ces activités sont-elles importantes, et quels en ont été les principaux jalons ?
Je pense que nous pouvons tous imaginer combien il serait dur qu’un membre de notre famille disparaisse soudainement, sans que nous ne sachions où il se trouve ni comment il va. Pour la plupart des gens, pouvoir maintenir le contact avec ses proches est un besoin élémentaire et primordial.
Dès sa création, le CICR a œuvré pour que les prisonniers de guerre puissent garder le contact avec leur famille. Aujourd’hui, nous continuons à faire de même pour les détenus du monde entier, mais nous aidons aussi des civils touchés par des conflits, des catastrophes ou d’autres situations critiques telles que la migration, en fournissant toute une gamme de services de recherches grâce auxquels les membres d’une même famille peuvent rétablir le contact.
Ces dernières années, le CICR a collaboré beaucoup plus étroitement avec les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans le cadre des activités de recherches. Ce partenariat est essentiel pour répondre aux besoins des personnes séparées de leur famille. Grâce à cette coopération, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est en mesure de fournir des services au-delà des frontières nationales, pour aider les familles à rétablir le contact avec leurs proches ou à éclaircir le sort de parents disparus.
À titre d’exemple, durant les dix ans qui ont suivi le génocide de 1994 au Rwanda, le CICR, conjointement avec plusieurs Sociétés nationales et d’autres organisations, a réuni des dizaines de milliers d’enfants avec leur famille. La tâche était colossale : il a notamment fallu écouter l’histoire de chaque enfant et comprendre sa situation particulière, assurer la coordination avec les autorités, transmettre des messages et vérifier l’identité des parents et des enfants. Les délégués sont toujours profondément émus lorsqu’ils sont les témoins de retrouvailles joyeuses au sein d'une famille.
Une autre étape importante pour la recherche de personnes a été la reconnaissance du besoin qu’ont les familles de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches avec qui elles ont perdu le contact. Cet impératif a été inscrit dans le droit international humanitaire et le droit relatif aux droits de l’homme. Les familles ont désormais le droit de connaître le sort de leurs proches portés disparus.
Dans notre monde actuel, où l’Internet et les téléphones portables sont omniprésents, pourquoi peut-on encore avoir besoin des services de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ?
Comme on pouvait s’y attendre, les progrès technologiques ont eu un impact majeur sur les recherches, principalement parce qu’ils ont accru la vitesse de transmission des informations pour un très grand nombre de personnes. Le CICR a évolué avec son temps et tire pleinement parti de ces nouveaux outils pour permettre aux familles de communiquer avec leurs proches.
Par exemple, à la suite du tremblement de terre récent en Haïti, le CICR a lancé un site web pour aider des milliers de personnes sans nouvelles de leurs proches à rétablir le contact avec eux. Tandis que nos équipes sur le terrain enregistraient les survivants en Haïti, les personnes vivant à l’étranger pouvaient y inscrire le nom des proches qu’elles recherchaient. De nombreuses personnes ont ainsi pu retrouver des membres de leur famille, et certaines nous ont contactés pour nous dire leur soulagement et leur joie de savoir qu'un de leurs proches était en vie. Les technologies modernes ont permis à certains d’obtenir des nouvelles très rapidement. Mais beaucoup d'autres, hélas, ne recevront aucun signe rassurant de leurs proches.
Il serait de toutes façons faux de croire que de nos jours, tout le monde sait se servir d'ordinateurs ou de téléphones portables et y a accès.
En période de crise, de nombreuses personnes parviennent à joindre leurs proches par leurs propres moyens et n’ont donc pas besoin de nos services. Cependant, ces crises touchent souvent des personnes qui étaient déjà vulnérables avant la crise. Et les populations touchées n’ont pas forcément accès à Internet, ni même au téléphone. Cela veut dire qu'il y a encore beaucoup de gens qui dépendent de l’aide de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour rétablir le contact avec leurs proches disparus.
Les recherches exigent une coopération étroite avec les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Comment le CICR collabore-t-il avec ces Sociétés nationales pour rechercher des personnes portées disparues ou séparées de leur famille ?
En effet, les activités de recherches nécessitent une collaboration et une coopération très étroites avec un partenaire bien ancré dans la région, qui en connaît bien la culture et l’environnement. Les Sociétés nationales sont parfaites dans ce rôle, et nous avons de la chance de travailler avec elles.
Nous utilisons tous la même approche pour venir en aide à des personnes séparées de leur famille. Prenons l’exemple d’un réfugié somalien au Royaume-Uni, à la recherche d’un proche dont il a perdu la trace en raison des combats à Mogadiscio, en Somalie. Il peut s’adresser à la Croix-Rouge britannique au Royaume-Uni, qui contacte le CICR et le Croissant-Rouge de Somalie sur place. Les recherches commencent alors à Mogadiscio, mais les informations obtenues peuvent indiquer que la personne recherchée a fui au Yémen. C'est alors par l’intermédiaire du Croissant-Rouge du Yémen que nous pourrons peut-être localiser cette personne, qui pourra alors être mise en contact avec son parent au Royaume-Uni.
C’est là un exemple de fin heureuse, grâce à un réseau mondial qui fonctionne comme il se doit. En tant que responsables de l’Agence centrale de recherches, notre rôle consiste notamment à coordonner des actions comme celle-ci afin de contribuer au maintien des contacts entre les membres d’une même famille.
En 2009, le CICR a visité des lieux de détention avec une population totale de 479 669 détenus. Plus de 28 000 d'entre eux ont bénéficié des programmes de visites familiales du CICR. Durant cette année, le CICR a :
- recueilli et distribué plus de 253 000 messages Croix-Rouge ;
- publié plus de 83 000 noms sur son site de restauration des liens familiaux (FamilyLinks.icrc.org) ;
- facilité plus de 12 000 appels téléphoniques qui ont permis à des personnes séparées de leur famille de reprendre contact ;
- procédé à 1 063 réunions de familles ;
- et travaillé sur 45 605 cas de demandes de recherche, dont les demandes reçues en 2009.